République des Palaos: partons à la découverte
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, le 28 avril 2016, diploweb
Partons à la découverte d’un Etat insulaire d’Océanie, la République des Palaos, un archipel micronésien concerné par bien des enjeux géopolitiques dont le changement climatique. Les Palaos sont situées en Micronésie, dans le Pacifique occidental, au nord de la Nouvelle-Guinée, entre les îles Carolines et les Philippines. Présentation de deux ouvrages : Collectif, Palau and its Neighbors in the Pacific, CNRS Editions, 185 p., 35€ ; et Jean Rolin : Peleliu, P.O.L., 154 p, 14 €.
DEUX livres sur la République des Palaos publiés en France en un mois voici qu’y est pour le moins inhabituel. Si peu assurées de l’existence d’un public francophone pour un ouvrage collectif et académique sur l’archipel micronésien, les Editions du CNRS ont imprimé leur manuscrit en anglais. Ils ont aussi bénéficié du soutien de la Fondation Mikati dont l’un des fondateurs, M. Taha Azmi Mikati, est le représentant de Ngerulmud à Paris auprès de l’UNESCO.
Agrémenté de quelques photos de rêve de Patrick Augelet, l’ouvrage cherche à donner une vue aussi précise que possible de l’Etat le plus à l’Ouest du monde océanien. Il est vrai que même dans la langue de Shakespeare les monographies consacrées aux Palaos sont rarissimes. Les seuls livres qui s’attachent à dépeindre l’archipel sis à plus de 12 000 kilomètres de Paris se limitent à quelques guides touristiques et des témoignages des combats féroces de la Seconde guerre mondiale. Point de monographie politique, économique et culturelle !
Afin de remédier à cette aporie de connaissances sur la République des Palaos, la coordonnatrice du projet éditorial Mme Sania El Kadi a fait se succéder pour présenter les réalités palaosiennes un rappel des données statistiques essentielles, une esquisse des étapes historiques pré-européennes et une présentation séquencée des périodes des puissances tutélaires successives (espagnole, allemande, japonaise, états-uniennes). L’analyse de la colonisation berlinoise a été l’occasion de remettre en valeur les recherches de l’ethnologue allemand, le Dr Augustin Kramer (1865 – 1941), en reproduisant des extraits de ses écrits de l’entre-deux guerres, illustrés des iconographies rapportées de son séjour insulaire au début du XXème siècle (croquis, dessins, photos).
Données générales
Nom officiel : République des Palaos
Nature du régime : Démocratie parlementaire de type présidentiel
Superficie : 458 km² (340 îles)
Capitale : Melekeok (depuis 2006)
Villes principales : Koror, Meyuns
Langue(s) officielle(s) : palaois, sonsoral, tobi, angaur et anglais
Langue(s) courante(s) : palaois (64,7%), tagalog (13,5%), anglais (9,4%), chinois (5,7%)
Monnaie : US dollar
Fête nationale : 1er octobre
Source : diplomatie.gouv.fr
Dans un souci de présenter la République des Palaos dans son environnement régional, il a été pris le parti de détailler les relations entretenues avec chacun des Etats et territoires océaniens y compris ceux qui sont sous souveraineté française (Clipperton, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna). En sus, trois études thématiques ont été retenues pour souligner les défis majeurs auquel le gouvernement doit faire face. Le Secrétaire permanent pour le Pacifique français est lui revenu sur le complexe écheveau politique institutionnel micronésien, le professeur Jean-Christophe Gay (université de Nice Sophia Antipolis) sur l’économie régionale du tourisme et Jérôme Guehenneux, chargé de mission au Secrétaire général de la défense et la sécurité nationale, sur les enjeux politico-militaires des petits Etats insulaires en développement d’Océanie.
L’émergence d’une identité politique micronésienne, la gestion durable de l’attrait touristique d’un des plus extraordinaires spots de plongée sous-marine de la planète – sans même parler du lac aux méduses -, et les enjeux de sécurité liés aux changements climatiques sont les défis structurants auxquels le petit pays de 458 km² habité par environ 20 000 habitants doit faire face aujourd’hui. Si ces enjeux sont présentés dans le livre du CNRS de manière universitaire, l’écrivain et journaliste Jean Rolin leurs donnent plus de chair. Dans ce que certains pourront présenter comme un récit de voyage, on retrouve son ironie mordante et la mélancolie que l’on connaît bien à l’ex grand-reporter de presse.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre du livre, J. Rolin ne se contente pas de dépeindre la bataille de Peleliu (septembre – novembre 1944) sur les 13 km² du territoire. Certes, son récit a été nourrit par la lecture de la dizaine de souvenirs de guerre des acteurs des combats. Il a l’honnêteté de les citer dans le corps du texte et de les rassembler dans sa courte bibliographie. Ces témoignages sont poignants mais ils sont aussi essentiels à la mémoire collective car peu de reportages de presse ont couverts sur le moment in situ les affrontements qui proportionnellement au nombre des soldats engagés du côté américain se sont révélés les plus meurtriers de la guerre du Pacifique après ceux de la bataille d’Iwo Jiwa (préfecture japonaise de l’archipel d’Ogasawara, février – mars 1945).
L’affrontement qui ne devait durer que trois jours s’est terminé dans un conflit d’attrition d’une rare violence, une somme de corps-à-corps et d’abominations mutuelles, notamment au centre de l’île dans les monts Umurbrogol. Dans cette détermination à se battre jusqu’aux derniers des hommes, la petite-histoire a retenu que le dernier groupe de soldats de l’Empire Levant ne s’est rendu sur l’île de Peleliu que le… 21 avril 1947.
L’âpre et longue bataille s’est révélée d’autant plus controversée par son bilan victimaire qu’elle ne fut stratégique en rien. L’aérodrome saisi ne fut que très peu employé lors de la campagne des Philippines et jamais instrumentalisé dans les opérations engagées ultérieurement plus au nord. Néanmoins, le souvenir de ce chapitre de la guerre est profondément ancré dans la mémoire des hommes, à défaut de l’être en détails dans les livres d’histoire.
Preuve s’il fallait de cet impact mémoriel sur le temps long, c’est aux Palaos que l’Empereur Akihito et l’impératrice Michiko sont venus commémorer en avril 2015 le 70ème anniversaire de la fin de la guerre et toutes ses victimes. Ce fut d’ailleurs le seul voyage à l’étranger du souverain de 81 ans, une première depuis dix ans en Océanie et son séjour à Saipan (Commonwealth des Mariannes du Nord). Autrement dit, le « reportage » de Jean Rolin décrit les lieux où le chef de l’Etat japonais s’est rendu quelques mois après lui. Il nous fait découvrir les divers lieux du souvenir comme le Peace Memorial ou l’obélisque de Bloody Nose Ridge. Il décrit l’environnement géophysique des combats (The Point, White Beach One, The Promontary, …), leur atmosphère. Celle-ci est toujours aussi prégnante pour les férus d’histoire comme pour les autres touristes en des lieux aussi divers que les bords de plage, l’ex station radiogoniométrique installée dans un bunker, les grottes closes où sont demeurés les cadavres des soldats tombés au feu. Les sanctuaires emmurés d’où le gouvernement nippon voudrait excaver tous les corps sont certainement les lieux de mémoire les plus émouvants du territoire.
Le travail méticuleux de J. Rolin nous fait comprendre qu’un lieu d’affrontement aussi sérié qu’une île n’est pas pour autant un isolat polémologique. Il est lié par la logistique, la manœuvre guerrière et par la mémoire à bien d’autres territoires distants, dont certains furent aussi terribles que les plages et les vallées de Peleliu (cf. les îles de Pavuvu et Banika aux Salomon). Le journaliste montre aussi les traces toujours visibles des combats, les détritus des lieux de vie, les infrastructures délabrées et les épaves abandonnées ici et là par l’aviation, la marine et les unités débarquées des corps de Marines. En passant, le narrateur rappelle que certaines armes laissées sur le terrain peuvent encore tuer. Les munitions non explosées (grenades, mortiers, roquettes,…) et les mines anti-personnel sont encore légion. Pour en débarrasser le pays, une ONG britannique - Cleared Ground Demining –, avec le soutien du gouvernement australien depuis 2011, est toujours à la tâche. La République n’est d’ailleurs que l’un des neuf Etats océaniens a toujours faire face à cette menace avec les Etat fédérés de Micronésie, les Kiribati, Nauru, la Papouasie Nouvelle Guinée, les îles Salomon, Tuvalu ou encore le Vanuatu. Le sol français du Pacifique n’est pas lui aussi exempt de ces engins de mort. En quittant ses cantonnements de Wallis-et-Futuna, l’armée américaine a déversé dans les tréfonds du lac Lalolalo ses engins de mort. De nos jours, des pêcheurs imprudents cherchent à en retirer les explosifs pour de la pêche à la dynamite au large. Des comportements aussi dangereux qu’incongrus mais que l’on observe en bien d’autres lieux du Pacifique. Aux Palaos, les conservateurs des musées de Koror voient ainsi de temps à autres des villageois venir leur proposer et déposer devant leurs entrées ces munitions non explosées et ainsi enrichir croient-ils leurs collections consacrées à la Seconde guerre mondiale.
Le souvenir de la guerre envahit tous les sens nous rappelle Jean Rolin. Bien que né en 1949, l’ex militant de la Gauche prolétarienne nous fait partager le caractère olfactif des combats. Les odeurs nauséabondes ne sont pas seulement la conséquence de la décomposition des corps des hommes dispersés sur quelques km² mais aussi celles des noix de coco – les plantations dédiées à la production de coprah n’étant plus entretenues – et d’un environnement saturé d’ordures. La guerre produit aussi ses sons, ceux du fracas incessant des armes et des bombardements, associés aux images que les artistes d’Hollywood (Jerry Colonna, Bob Hope, Frances Langford, Tony Romano, Patty Thomas,…) sont venus colporter par leurs shows jusqu’aux premières lignes d’affrontement.
L’expérience sensorielle de la guerre, on peut la ressentir jusqu’à nos jours. La marche difficile sur le calcaire corallien est une expérience inoubliable si on la vie en se remémorant la course de survie d’un Gi’s harnaché sortant en courant de son L.S.T. (Landing Ship Tank) qui vient de le débarquer sous les feux roulants de l’ennemi. Tant d’hommes sont morts sur les arpents de Peleliu qu’il est impossible de faire l’impasse sur les comportements du commandement, de ne pas évoquer les rivalités imbéciles ayant opposé le corps des Marines à l’armée de terre, la gestion de la peur, l’opiniâtreté des combats au corps-à-corps, l’horreur animale liée à la prolifération des rats et des crabes de terre ou encore le suicide au combat. L’horreur du chapitre guerrier de Pepeliu en a inauguré bien d’autres, ne serait-ce par les techniques de guerre employés : l’usage intensif des lance-flammes, des grenades thermites, des effets des canisters de napalm, pour n’en citer que quelques-unes.
Ce retour très documenté sur l’Histoire n’a pas empêché Jean Rolin de saisir toutes les réalités palaosiennes contemporaines. Les architectures urbaines peu avenantes de Koror, de Melekeok ou encore de Kloulklubed, là où a été inhumé le premier président des Palaos, Haruo Remeliik, assassiné en juin 1985, le caractère erratique des transports inter-îles, la médiocrité éditoriale de la presse locale, la production aux vues de tous d’herbes stupéfiantes (marijuana) et l’emprise des églises protestantes (ex. Adventiste).
En prenant son temps, en parcourant aux quatre cardinalités Peleliu, Jean Rolin par petites touches donne une idée des difficultés environnementales des Etats et territoires océaniens en développement. Son intérêt pour le règne animal lui fait évoquer les effets dévastateurs des macaques mangeurs de crabes sur l’île d’Angaur et la déréliction des dizaines de chiens abandonnés. En évoquant l’île de Kayangel, il aurait pu parler aussi de la lutte des autorités contre les trop nombreux chats mais sa connaissance des espèces animales et son attention la plus vive à la nature nous emmène à la (re)découverte des amblypyges, des noddis, des piscatricidés, des sars, des bouscarles et autres salanganes des Palaos. Son regard acéré sur les zones arborées nous fait côtoyer avec délices les banyans, les casuarinas, la mangrove et avec effroi les espèces végétales invasives telles tel le Merremia Peltata, qu’il faut combattre ici comme à Mayotte.
Dommage qu’en s’intéressant à la richesse de la biodiversité des Palaos, J. Rolin n’est pas pris le temps de se pencher sur la diplomatie « animale » de la République. Celle-ci est une des originalités de la politique extérieure de Melekeok. La protection de la biodiversité et des espèces est depuis une décennie un des axes majeurs de la diplomatie de la République des Palaos.
A l’instar, des Iles Cook, des Iles Marshall, des Kiribati, des Etats Fédérés de Micronésie ou encore de la Nouvelle-Calédonie, les Palaos ont décidé d’établir des aires maritimes protégées couvrant 80% de la Z.E.E., les 20% restants étant dévolus à pourvoir la demande domestique en poisson. Poursuivant cette logique, en septembre 2009, devant l’Assemblée des Nations Unies, le président Johnson Toribiong a annoncé la création du premier sanctuaire de requins au monde en soulignant qu’il s’agissait d’interdire la pêche, la possession, la vente, la proposition de vente et le commerce des requins. Deux ans plus tôt, il avait été suggéré une suspension temporaire de la pêche au chalut. En 2010 lors de la conférence des Nations Unies sur la diversité biologique, le ministre de l’Environnement Harry Fritz allait plus loin encore en parlant d’une autre réserve marine, destinée cette fois à protéger les baleines, les dauphins et les dugongs. Enfin, le président Remengesau en septembre 2014 a précisé que son pays était attaché à lancer dès septembre 2015 un accord relatif à la mise en œuvre des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale.
Cette politique audacieuse en matière animale et d’environnement donne aux Palaos une réelle visibilité sur la scène internationale, qui va bien au-delà de la taille modeste de son territoire. Elle lui permet de développer de nouveaux partenariats politiques et diplomatiques. Une diplomatie inter-insulaire s’est mise en place au cours de la dernière décennie. Palaos en est un des acteurs important. Elle offre l’avantage pour les intérêts micronésiens de développer des outils communs d’influence (GLISPA, Global Islands Network, Global Partnership Forum, ISISA, World Ocean Day,…), de mobiliser et d’associer des acteurs non gouvernementaux et bâtir des partenariats extra-océaniens (cf. la visite du président aux Seychelles en juin 2015, les coopérations avec Monaco). Mais tous ces efforts ne suffisent pas à enrayer toutes les difficultés nées des violences de la nature comme ont pu le montrer les effets dévastateurs du typhon Bopha (2012) ou la sècheresse due au phénomène El Niño qui menace aujourd’hui le territoire d’une pénurie totale d’eau, décidant même les autorités à proclamer l’état d’urgence. Si J. Rolin ne dépeint pas ces réalités les plus sombres, il n’en donne pas moins un tableau très réaliste des petits Etats insulaires en développement du Pacifique. Une vue qui n’est pas sans rappeler le journal de Maarten Troost (La vie sexuelle des cannibales, Gallimard – Folio, 416 p, 2013) dans ses descriptions des Kiribati.
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. Jean Rolin : Peleliu, P.O.L., 154 p, 14 €. Voir sur le site de l’éditeur