Boko Haram : face à sa régionalisation

Par Margaux Schmit, le 19 mars 2016,  diploweb

Margaux Schmit est étudiante en Sciences Politiques à Paris II Panthéon Assas après l’obtention d’une Licence de Droit franco-allemand de l’université du même nom.

Voici un dossier sur Boko Haram. Il s’agit d’une contribution de l’équipe du Diploweb dans le cadre du 8e Festival de Géopolitique : Dynamiques africaine.

Le dossier présente successivement : Chronologie ; Naissance du conflit ; Les parties directes au conflit ; Vers une résolution ? Illustré d’une carte du Nigéria sous deux formats (JPEG et PDF).

CHRONOLOGIE

26/07/2009 Insurrection de Boko Haram dans plusieurs Etats du Nigéria et exécution de Mohamed Yusuf.

24/08/2014 Aboubakar Shekau annonce l’instauration du « califat islamique » sur le nord-est du Nigéria.

30/05/2015 Entrée en fonction du président élu Muhammadu Buhari.

07/03/2015 Boko Haram fait allégeance à Daech.

22/08/2015 L’Union africaine finalise la création d’une force régionale mixte de 8700 soldats basés à N’Djamena.

Boko Haram : face à sa régionalisation
Carte. Le Nigéria au bord de l’implosion ?
Copyright M. Schmit - C. Bezamat-Mantes / Diploweb.com

1. LA NAISSANCE DU CONFLIT

Grand producteur de pétrole, le Nigeria se présente comme l’Etat le plus peuplé du continent africain avec ses 181,8 millions d’habitants – et le septième pays le plus peuplé du monde. Cependant, parallèlement à la résurgence des groupes djihadistes au Moyen-Orient et au Maghreb, une rébellion dévastatrice et sanglante s’est imposée dans le nord-est du Nigeria anglophone, dont l’avenir est considéré comme déterminant pour la région.

Apparu à Maiduguri en 2002 sous le nom de « Congrégation des Compagnons du Prophète pour la propagation de la tradition sunnite et la guerre sainte » (Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal Jihad), cette secte se rassemble autour de Mohammed Yusuf, admirateur des talibans afghans et de Oussama Ben Laden. Yusuf prêche un discours anti-occidental et dénonce la corruption de l’Etat nigérian, responsable selon lui, des misères de la région du nord. Le nord du pays, à majorité musulmane, a effectivement le sentiment d’être abandonné par un pouvoir tourné vers le sud, à majorité chrétienne, et surtout vers la côte atlantique dynamique, où se situe Lagos, la capitale économique du pays.

En 2009, les membres de cette secte fondée par Mohamed Yusuf lancent une insurrection dans les plus grandes villes du pays. Rapidement écrasés par l’armée nigériane, M. Yusuf est exécuté. La secte entre alors dans la clandestinité. Mais en 2010, son adjoint Aboubakar Shekau crée un mouvement rapidement surnommé BH, ce qui en haussa signifie « le savoir trompeur est illicite », « savoir » à entendre ici au sens de « connaissance issue de la science occidentale ». Avec A. Shekau, le groupe bascule dans le terrorisme, mais la répression de l’armée se montre inefficace. En mai 2013, l’état d’urgence est instauré dans les trois Etats qui bordent le nord-est du pays. En novembre 2014, cet état d’urgence n’est pas renouvelé par le Parlement pour des raisons techniques et électorales qui n’avaient rien à voir avec la capacité de l’armée nigériane à regagner du terrain sur les insurgés. Alors que le gouvernement crée des milices locales en soutien aux forces armées, BH s’en prend d’avantage aux civils. En 2014, le groupe attaque des villages entiers et prend le contrôle de municipalités.

La violence culmine en janvier 2015, avec le massacre de plusieurs villages, dans la région de Baga, secteur alors complètement rasé.

Après plusieurs années d’autonomie, BH prête allégeance à Daech, en mars 2015. « Se retrouvant dans une situation de blocus, BH cherche, en ralliant Daech, une alliance stratégique dans l’optique de se procurer des financements, de l’expertise et des moyens militaires » explique Abdel Salam Pekekue Aretouyap. Mais la donne a changé avec l’élection du président musulman venant du nord du pays, Muhammadu Buhari. Aussitôt après avoir pris ses fonctions dans la capitale Abuja, il a décidé de transférer l’état-major à Maiduguri, chef-lieu du Borno, où l’armée a effectivement repris du terrain. La secte a été obligée d’en revenir à la guerre de mobilité en recouvrant de plus en plus à l’arme du faible : l’attentat suicide. Depuis plusieurs mois, BH multiplie les attentats-suicides, utilisant fréquemment de jeunes filles et de jeunes garçons, ainsi que des attaques contre des villages au Nigeria et dans les zones frontalières des pays voisins, le Cameroun, le Tchad et le Niger. Fin décembre 2015, plus de 50 personnes ont été tuées en 48 heures dans plusieurs attaques menées par BH dans le nord du pays.


Boko Haram, une famille élargie

Très fragmenté, le mouvement n’en reste pas moins opérationnel et compte aujourd’hui quatre principales tendances. D’abord la faction qui, après avoir prêté allégeance à Daech début 2015, se fait appeler Etat islamique en Afrique de l’Ouest et qui serait conduite par Abubakar Shekau dont nul ne sait si ce dernier est mort ou en exil.

Ensuite, les héritiers de la Yusufiya du fondateur de la secte, M. Yusuf. Dans une analyse d’African Arguments [1], Fulan Nasrullah expliquait que Mahamat Daoud, le soi-disant nouveau chef du groupe à croire le discours du président tchadien Idriss Déby le 11 août 2015, était l’élève spirituel d’un des fondateurs de BH et rejetait les choix d’Ab. Shekau. Mais quelques jours après ces rumeurs, un enregistrement audio dans lequel A. Shekau affirmait être toujours le leader exclusif de BH était diffusé par le groupe terroriste. Un retournement de situation qui n’efface pourtant pas les rivalités qui opposent les différentes factions armées de BH, qui sont disséminées à travers les différentes régions occupées par le groupe armée nigérian.

Troisième tendance : la dissidence de BH, apparue en 2012 et connue sous le nom d’Ansaru. Idéologiquement, elle est plus proche d’Al-Qaïda. Dirigée par Khalid al-Barnawi, cette faction veut chasser les « croisés » de la terre d’islam et représente certainement la menace la plus dangereuse pour les expatriés et les minorités chrétiennes de la région.

Enfin, les « opportunistes » sont de petits commandants locaux attirés par l’appât du gain et la possibilité de profiter de la franchise de BH.

Selon l’International Crisis Group [2], il n’y a pas moins de six groupes différents au sein de la secte islamique. Chacun d’entre eux opèrent de manière indépendante dans sa zone d’influence respective.

A la transnationalisation du djihad revendiquée par BH dans son idéologique s’ajoute ces avatars et les mutations des milices djihadistes. A terme, ces sectes pourraient devenir des mouvements d’opposition et prendre une importance régionale, changeant l’équilibre des forces déjà fragile.


2. LES PARTIES DIRECTES AU CONFLIT

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Boko Haram. Les parties directes au conflit
Cliquer sur la vignette pour agrandir l’image. Réalisation M. Schmit pour Diploweb

. Rapport des forces armées : BH aurait au moins 15 000 hommes, selon Amnesty international, même si le chiffre réel est sans doute bien plus élevé pour 8 700 militaires de la MNJTF – coalition régionale armée.

. Nombre de civils tués et réfugiés :
15 000 morts au moins au total dont :

. Victimes civiles de BH :
7 000 morts au moins selon Human Rights Watch, de juillet 2009 à mars 2015 ;
5 500 morts au moins selon Amnesty International de janvier 2014 à avril 2015

. Exactions l’armée nigériane : 8 000 morts au moins selon Amnesty International, de mars 2011 à janvier 2015, auxquels s’ajoutent au moins 3500 pour la seule année 2015

Selon l’agence nigériane chargée de la gestion des situations d’urgence (National Emergency Management Agency), près d’un million de personnes ont été contraintes de fuir depuis le début du violent soulèvement du groupe rebelle en juillet 2009.

3. LES ACTEURS EXTÉRIEURS

En mai 2014, le Comité des sanctions contre Al Qaïda du Conseil de sécurité de l’ONU a inscrit BH sur la liste des sanctions, pour des sanctions financières ciblées et un embargo sur les armes (résolution 1267). Plusieurs États, dont la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, se sont engagés à aider le Nigeria à la suite de l’enlèvement des lycéennes à Chibok en avril 2014.

Le 7 octobre 2014, les pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad et le Bénin ont lancé la création d’une nouvelle Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF) pour lutter contre BH. Après des années de terreur sans réelle réaction des Nations unies et de l’Union africaine (UA), le déploiement de 8 700 militaires venus du Tchad, du Cameroun, du Niger, du Bénin et du Nigéria a finalement été décidé le 29 janvier 2015. Les représentants de la communauté internationale, réunis le 1er février 2016 au siège de l’UA à Addis Abeba pour une conférence des donateurs, ont promis de dégager 250 millions de dollars destinés à financer la MNJTF, qui lutte contre BH dans le bassin du lac Tchad. « 110 millions de dollars de la part du Nigeria, 50 millions d’euros de la part de l’Union européenne, 8 millions de dollars déjà reçus du Royaume-Uni, 4 millions de francs suisses (3,6 M euros) de la délégation suisse, 1,5 million de dollars de la Communauté des États sahélo-sahariens », a annoncé Smail Chergui, Commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’UA.

Des pays voisins comme le Niger, le Tchad ou le Cameroun, redoutent une diffusion de la violence sur leur territoire. Au Cameroun, le président Paul Biya a accepté la présence de troupes tchadiennes sur son sol. Cette décision importante fait suite à l’intensification des attaques de BH à sa frontière. De même, le Tchad s’inquiète pour sa capitale N’Djamena, distante seulement d’une centaine de kilomètres de la région de Baga. Ces deux Etats cherchent aussi à protéger l’axe commercial vital entre Douala et N’Djamena. Le Niger quant à lui, a lancé en juillet 2014 l’opération Bouclier, pour obtenir des renseignements et rassurer la population.

Côté français, la perspective d’un financement de la MNJTF est également conditionnée à la possibilité pour l’Union européenne de pouvoir traiter le sujet avec l’UA. Or, le Nigeria refuse de se dessaisir de sa souveraineté en passant les commandes à l’UA pour organiser une opération de paix approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU.

4. VERS UNE RÉSOLUTION ?

Le 28 mars 2015, la victoire du général M. Buhari sur le président sortant, Goodluck Jonathan est sans appel [3]. Mais c’est avant tout sur le terrain de la lutte contre la corruption et de la guerre contre BH que se jouera ce mandat. La priorité donnée à cette lutte suppose la remobilisation de l’armée nigériane et l’engagement d’une coopération effective avec les Etats de la région comme avec les Etats occidentaux pour la collecte et l’exploitation du renseignement. La mise en place définitive d’une force multinationale mixte décidée le 22 août 2015 entre le Nigeria, le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Bénin va dans ce sens. Il ne faut pas non plus trop attendre de la MNJTF. Lors d’une visite historique dans la capitale camerounaise en juillet 2015, M.Buhari a également promis d’accorder un droit de poursuite aux forces de ce pays, mais en pratique, il n’en est rien. L’armée nigériane ne souhaite pas vraiment coopérer avec des militaires qu’elle a combattu au milieu des années 1990 à propos du litige frontalier de la péninsule de Bakassi, au sud-est du pays.

Face à la régionalisation de la menace, la situation intérieure du pays n’est pas à minimiser et l’ordre du jour du président M. Buhari s’agrémentera d’obstacles internes dont la réponse aura des conséquences directes sur sa lutte contre BH.

Le sud du pays concentre la majorité des gisements pétroliers et constitue donc une source de richesse importante. Issu du Nord du pays, M. Buhari tentera certainement d’apporter des solutions au désastre économique et environnemental qui explique en partie l’essor de Boko Haram. Il devra aussi remettre un minimum d’ordre dans l’armée, y réduire la corruption et tenter de modifier son comportement au nord. Des groupes de militants dans le delta du Niger, d’où est issu Goodluck Jonathan, ont menacé de perturber le secteur pétrolier, en espérant obtenir une représentation politique à la hauteur de sa contribution économique. De plus, 70% des revenus annuels du Nigeria proviennent du secteur des hydrocarbures : cette dépendance devient problématique avec la baisse, puis l’arrêt, des exportations vers les Etats-Unis, et la chute du baril qui ne fait que renforcer cette crise. Si le Nigeria constitue le pays le plus riche et le plus peuplé d’Afrique, le système de redistribution des ressources reste largement fondé sur des pratiques clientélistes et les faibles perspectives d’avenir pour ce pays jeune continuent d’alimenter le succès de BH. L’abandon complet des régions du nord par le pouvoir central, la surpopulation rurale, l’épuisement des terres et du modèle agricole qui y est lié indiquent que le seul traitement sécuritaire du problème ne sauraient à eux seuls endiguer la menace que constitue BH.

Toutefois, de nombreux analystes exagèrent la puissance politique d’un groupe qui demeure pauvre en ressources et dont les succès militaires s’expliquent d’abord et avant tout par les défaillances du gouvernement nigérian. En effet, du fait de son appareil militaire classique et réduit, il reste fort à parier que BH ne résisterait que peu de temps face à l’arsenal militaire de la coalition et de la MNJTF. Toutefois, BH, loin d’être éradiqué, changerait vraisemblablement de stratégie pour passer à une guérilla larvée empêchant la remise en route économique de la région. Sur le plan militaire, la résolution de ce conflit serait donc dictée par la capacité de M. Buhari à fédérer ses troupes tout en respectant le droit national et en mettant en œuvre les moyens financiers nécessaires pour progressivement réduire le pouvoir d’action de BH jusqu’à l’anéantir.

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Carte. Le Nigéria au bord de l’implosion ?
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Sources

. LeMonde.fr – Comprendre la menace de Boko Haram en 5 minutes http://www.dailymotion.com/video/x2frgna

. Alternatives Internationales – La planète jihadiste – Mars 2015

. Courrier international n°1264 du 22 janvier au 29 janvier 2015 – Boko Haram : boucherie humaine à ciel ouvert

. Courrier international n°1267 du 12 février au 18 février 2015 – Boko Haram : la contre-offensive régionale

. Amnesty international http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Crises-et-conflits-armes/Actualites/Boko-Haram-3500-morts-en-300-jours-16317 et https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2015/01/boko-haram-glance/

. Human Rights Watch http://www.hrw.org/fr/news/2015/03/26/nigeria-au-moins-1-000-civils-tues-depuis-janvier

. Cairn - Boko Haram, une exception dans la mouvance djihadiste ? – Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos

. L’Opinion n°459 du jeudi 12 mars 2015 – Boko Haram, à la manière de Daech

. Le Figaro n°21977 du lundi 6 avril 2015 – Nigéria, le laboratoire de l’Afrique – Par Nicolas Baverez

. RFI – Lutte contre Boko Haram : finalisation de la force multinationale mixte (23/08/2015)

. « Nigeria, Boko haram plie, sans se rendre » - Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos – Alternatives internationales – Quel monde en 2016 ? (Janvier 2016)

. « Boko Haram au bord de l’explosion » - par Camille Belsoeur – Slateafrique.com (02/09/2015)

. « Nigéria : des élections libres sur fond de guerre » - Par C. Ronsin – Diplomatie Hors Série 16 Conflits, paix et sécurité en Afrique (Novembre-Décembre 2015)

. http://www.bbc.com/afrique/region/2016/02/160201_ua_boko

. « L’allégeance de Boko Haram à l’organisation de l’Etat islamique : une transnationalisation du djihad ? » – Par Philippe Hugon pour l’IRIS

. http://terangaweb.com/sortir-le-sahel-de-limpasse-interview-de-serge-michailof/

[1] http://africanarguments.org/2015/08...

[2] http://www.crisisgroup.org/ /media/...