"Centrafrique, la guerre oubliée", Thierry Vircoulon
Thierry Vircoulon, de l'International crisis group.
Théâtre d’un nouveau coup d’État en mars, la Centrafrique est en train de sombrer dans une catastrophe humanitaire et sécuritaire. Loin des regards.
Comme un écho, dans le vide. Moins d'un mois après l'alerte lancée par un rapport de l'International Crisis Group (ICG), cinq ONG françaises ont dénoncé mardi l'« abandon » de la Centrafrique par les Nations unies et les bailleurs de fonds.
La prise de pouvoir dans le sang par la coalition rebelle de la Séléka, en mars dernier, n'est que le dernier épisode d'une longue série de coups d'État et de rébellions depuis l'indépendance en 1960, qui ont fait du pays l'un de ceux à l'espérance de vie la plus basse au monde (48 ans). En juin, l'ICG relevait plus de 150.000 déplacés et une menace de pénurie alimentaire. « Dans n'importe quel pays, on parlerait de catastrophe humanitaire. En Centrafrique, ça tombe dans l'oubli », s'est désolé Mego Terzian, président de Médecins sans frontières. Un désintérêt qui ne surprend par Thierry Vircoulon, responsable pour l'Afrique centrale de l'ICG.
Les Ong décrivent un chaos politico-militaire quasi permanent et un contexte d'urgence humanitaire chronique. Comment en est-on arrivé là ?
Thierry Vircoulon : « Ce qui se passe aujourd'hui est le résultat de vingt ans de déclin. L'espérance de vie n'augmente plus depuis les années quatre-vingt, le PIB est en descente, le territoire est cancéreux, encore plus depuis le coup d'État en mars.
Le pays souffre d'une mauvaise gouvernance qui s'est installée depuis la démocratie manquée des années quatre-vingt-dix, une grande partie de l'élite du pays a émigré… C'est un concentré des problématiques que l'on trouve sur le continent, puissance 100, et amplifié par le désintérêt des occidentaux. »
Comment expliquer ce désintérêt, notamment de la France, ex-puissance coloniale, qui est plus parfois prompte à s'engager auprès d'autres pays africains ?
« A la différence d'autres pays africains, la France a mené un désengagement très fort de Centrafrique. Pendant longtemps, la Centrafrique était à une position stratégique pour le dispositif militaire de la France en Afrique… Quand il n'y a plus eu d'intérêt pour la défense, il n'y en pas plus eu pour le pays.
Les Chinois sont présents, mais beaucoup moins que dans d'autres pays d'Afrique. Le sol est riche en minerai, possiblement en pétrole, mais l'enclavement extrême du pays — il n'y a qu'une seule route pour rallier Bangui — en rendrait l'exploitation très coûteuse. »
L'International Crisis Group pointe l'urgence humanitaire et met en garde contre la création d'une zone « grise », vulnérable à l'implantation de réseaux criminels, au cœur du continent africain. Quelles pistes d'action pour la communauté internationale ?
« L'existence de la Centrafrique en temps qu'État est remise en cause. Pour accompagner la transition sécuritaire, économique et politique, il faut une aide massive financière, technique, politique et militaire des bailleurs de fonds, de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale, des Nations unies et de la France. Le rétablissement de la sécurité est primordial. »