"Russie: À quoi sert la loi contre la propagande homosexuelle", Céline Bayou

Russie: À quoi sert la loi contre la propagande homosexuelle
Par Céline Bayou (sources: St Petersburg Times; Interfax, Kommersant), 15-II-13, regard-est

Le 25 janvier 2013, la Douma a adopté en première lecture la loi interdisant la «propagande homosexuelle» auprès des mineurs. Cette proposition de loi avait été déposée en mars 2012 à la Douma par le Parlement de la région de Novossibirsk qui l’a déjà adoptée et souhaite la généraliser au pays tout entier. Aux termes de ce texte, toute personne reconnue coupable de l’enfreindre se verra condamnée à 5.000 roubles d’amendes (167 dollars) et toute organisation à 500.000 roubles. Pendant que la loi était discutée, des associations de défense des droits des homosexuels avaient organisé des rassemblements devant la Douma. Ces opposants se sont heurtés à des activistes orthodoxes qui leur ont lancé des boules de neige mais aussi de la peinture, des œufs et des ordures sous l’œil apparemment indifférent de la police. À l’issue de ces échanges, une vingtaine d’activistes homosexuels ont été arrêtés.

La loi doit encore être examinée deux fois par la Douma, et elle pose problème. Elle a déjà été renvoyée une fois, la phrase faisant allusion à la «propagande homosexuelle» doit en effet être clarifiée.

En outre, pour Mikhaïl Fedotov, responsable du Conseil des droits de l’homme, ce projet de loi est inconstitutionnel: «Si nous disons que la propagande hétérosexuelle est autorisée, alors nous sommes en contradiction avec la garantie constitutionnelle d‘égalité entre les citoyens, puisque les droits d’une personne appartenant à une minorité sexuelle sont dès lors empêchés par rapport à ceux d’une personne appartenant à la majorité».

Qui plus est, quelle que soit la définition de la «propagande homosexuelle» qui sera finalement adoptée dans la loi, si celle-ci passe, on sait qu’elle sera appliquée très largement et touchera d’autres minorités que celle des homosexuels. Une loi similaire adoptée fin 2011 à Saint-Pétersbourg fait un délit de la «propagande de la sodomie, de l’homosexualité féminine, de la bisexualité et de la transsexualité» auprès des mineurs. La seconde ville de Russie a ainsi acquis la réputation de capitale russe de l’homophobie qui n’hésite pas à s’en prendre à Madonna, Lady Gaga ou Rammstein, bien connus des tribunaux locaux.

Le Comité pour la famille, les femmes et les enfants de la Douma recommande, de son côté, d’interdire toute prestations réalisée par des homosexuels dans des lieux qui peuvent être fréquentés par des enfants. Il envisage de dresser une liste d’acteurs et musiciens gays qui pourraient être interdits d’écrans de télévision avant 23 heures. Dans le St. Petersburg Times, Viktor Davidoff se demande si, bientôt, la lecture d’Oscar Wilde et l’écoute de Piotr Tchaïkovski seront également proscrits.

La chasse aux sorcières a déjà commencé et un professeur de biologie a failli être licencié du lycée où il enseigne suite à des dénonciations. Il a dû arguer de son mariage et de ses deux filles pour prouver qu’il n’est pas gay. Il était en revanche intervenu pour défendre la cause homosexuelle.

Sur sa page Facebook, l’opposant Boris Nemtsov note que, selon les sondages, 20 à 35% des adolescents gays auraient déjà songé au suicide ou auraient fait des tentatives de suicide. Pour lui, si la loi est adoptée, elle apportera son lot de tragédie et de morts.

Daniil Rotstein, journaliste à Kommersant, confirme les propos de B.Nemtsov et remarque que les enfants, en Russie, sont bien protégés contre les risque d’adoption dans l’Amérique sauvage et le seront bientôt contre les méfaits de la propagande homosexuelle, mais que la seule chose contre laquelle la Russie ne les protège pas est… la haine: «Et la haine se répand dans notre pays. On nous apprend à haïr l’Amérique, les Caucasiens, les gays, les libéraux, les orthodoxes, les non-orthodoxes»… Pour D.Rotstein, personne n’a besoin de cette loi dans un pays où il n’existe pas de propagande homosexuelle. Mais, pendant que les autorités montent les uns contre les autres, la population ne regarde pas du côté de ce que fait réellement le pouvoir.

Dépêche publiée le 09/02/2013

Zone : Russie