"Euro 2012: Pologne-Ukraine-Russie, les clés du match", Ph. de Suremain & P. Verluise
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, *, le 13 juin 2012, diplowebPhilippe de Suremain est Ministre plénipotentiaire hors classe, Ambassadeur de France en Ukraine de 2002 à 2005. Pierre Verluise est docteur en géopolitique, directeur du Diploweb.com
Géopolitique de l’Ukraine. Philippe de Suremain, Ambassadeur de France en Ukraine de 2002 à 2005 répond aux questions de Pierre Verluise, directeur du Diploweb.com.
P. de Suremain met en perspective les relations Pologne - Ukraine, l’affaire Timochenko, le tropisme européen de l’Ukraine, les perspectives politiques de V. Ianoukovitch et les relations avec la Russie.
L’Euro 2012 attire l’attention sur l’Ukraine de façon polémique. Comment en est on arrivé là ?
L’Euro 2012 repose presque sur un malentendu. La localisation de cette échéance sportive autour du ballon rond a été décidée peu après la Révolution orange en Ukraine, fin 2004. La Pologne qui avait soutenu ce processus politique a reçu le droit d’organiser l’Euro 2012. Elle a décidé de partager son organisation avec son voisin ukrainien. Un « beau geste » qui était surtout un geste géopolitique pour marquer et resserrer les liens entre les deux pays et inclure l’Ukraine dans les préoccupations et l’organisation des réseaux d’infrastructures de l’UE. Bref, il s’agissait de défendre par le biais du sport la candidature explicite mais non finalisée de l’Ukraine auprès de l’UE. Un pari audacieux qui se termine en fiasco puisque les évolutions politiques à Kiev depuis quelques années ne sont pas celles espérées à Varsovie. Pis, le procès contre Ioulia Timochenko, ancienne égérie de la Révolution orange, génère au printemps 2012 des demandes de boycott de l’Euro 2012. Ce qui gâche la « fête » de juin 2012, non seulement en Ukraine mais encore en Pologne. Cette affaire Timochenko est non seulement honteuse mais d’une bêtise à pleurer. Le Président Viktor Ianoukovitch a un comportement suicidaire, tout le monde sait que les dossiers de l’accusation sont vides. Pourquoi s’enferrer dans un procès qui se présente comme une vengeance personnelle, sauf à vouloir prouver son autorité et sa force ? Il ne suffit pas d’intimider pour gouverner.
Comment appréhender les relations Pologne – Ukraine ?
Entre la Pologne et l’Ukraine se trouve une longue et douloureuse histoire, génératrice d’affinités profondes mais aussi de ressentiments hérités d’un passé relativement récent, avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. La réconciliation a été activement poursuivie de part et d’autre et la Pologne a su se présenter comme l’avocat le plus convaincant de l’Ukraine, et aussi son meilleur exemple. Sans doute l’entrée de la Pologne dans la zone Schengen a-t-elle un moment freiné les échanges transfrontaliers puisque que la Pologne devenait ainsi une partie de la frontière extérieure de l’UE, mais par osmose l’UE est de plus en plus présente en Ukraine et se diffuse via la Pologne.
La Lituanie incarne aussi une relation historique malgré la distance qui maintenant la sépare de l’Ukraine. Vilnius est un modèle de ce que Kiev souhaiterait être, une success story dont il y a beaucoup d’enseignement à tirer.
Comment comprendre le tropisme européen de l’Ukraine ?
Beaucoup d’Ukrainiens sont favorables à l’Europe et admettent mal qu’aucune perspective d’adhésion ne leur soit ouverte, ce qui est vécu comme un rejet de notre part. Les autorités successives de l’Ukraine en ont joué, se gardant bien de préciser quelles contraintes entraînent l’intégration et d’engager les réformes nécessaires, laissant l’opinion dans une profonde frustration. Pourquoi serait refusée aux Ukrainiens qui s’estiment plutôt plus avancés que d’autres ce qui est proposé aux Balkans occidentaux ? Les politiques de voisinage puis de partenariat oriental ont été accueillies comme des succédanés alors que la pression russe augmente. Mais renvoyer la responsabilité d’une telle situation aux Européens d’une part, aux Russes de l’autre ne suffit pas à définir une stratégie. La diplomatie multivectorielle ou la politique de la godille, ce ne sont que des caches misère. Et pourtant, crise ou non, la majorité ne voit pas d’alternative à l’Europe dans les conditions présentes. Sauf à désespérer.
Quelles sont les perspectives pour le Président Viktor Ianoukovitch ?
Le retour improbable de V. Ianoukovitch au pouvoir s’explique avant tout par le désarroi de l’opinion après la Révolution orange et non par son adhésion. Un double risque, que cette désillusion entraîne une désaffection pour la politique, ou pire, pour la démocratie et que les extrêmes – nationalistes en particulier – prennent consistance, alors que la tolérance traditionnellement prévalait.
Mais l’opposition se rassemble, s’organise et a des chances de succès dans une campagne électorale loyale. Ce que l’on va voir : la transparence du scrutin d’octobre 2012 sera révélatrice.
Il ne faut pas négliger le rôle qu’on joué les classes moyennes. Celles-ci ont des intérêts à défendre, tout particulièrement les Petites et Moyennes entreprises. L’essor spectaculaire d’Internet, les nouvelles formes de mobilisation, la prise de conscience tardive mais réelle de la jeunesse sont autant de facteurs de changement, là comme ailleurs. Il n’est pas sûr que le pouvoir actuel à Kiev en prenne toute la mesure. Favoriser la langue Russe au détriment de l’Ukrainien a relancé la question linguistique, qui ne se posait pas vraiment. C’est un risque mal calculé que jusqu’à présent aucun dirigeant n’avait pris. La Russie ne se laissera pas séduire pour autant. Les concessions faites à la Russie par l’accord de Kharkiv sans réelle contrepartie – par exemple au sujet de la base navale de Sébastopol – sont mal supportées. L’idée qui prévaut en Ukraine est que l’intérêt national a été bradé. Qu’on ne sous-estime pas les évolutions en profondeur qui travaillent la société ukrainienne. Et qu’on ne se méprenne pas sur son endurance qui n’est pas faite de passivité. Décidemment, la corruption n’est pas la solution.
La Révolution orange s’est inscrite dans un mouvement complexe qui a été appelé les « révolutions de couleur » aux frontières de la Russie comme de l’Europe. Quel bilan provisoire ?
Les « révolutions de couleur » ne sont pas toutes de la même couleur et les confondre serait faire preuve d’un dangereux daltonisme. La Révolution orange a été le fait d’une classe moyenne portée par une vive croissance économique et l’aspiration à l’Etat de droit. En Géorgie, les petites gens me semblent avoir été les principaux acteurs. En Asie centrale, les conditions étaient toutes autres. Et si la force des revendications était comparable, les ressorts en étaient à tous égards différents, de l’espoir au désespoir.
Que la Russie soit préoccupée par l’instabilité sur ses frontières et par le souci de préserver une influence régionale est compréhensible, mais prétendre se voir reconnaître une zone d’intérêt prioritaire sur sa périphérie pour assurer sa sécurité est sans doute illusoire si cette prétention se fonde sur le hard power. La question se pose moins de l’avenir de la Russie que de celui de son régime. La dérive autoritaire et passéiste de V. Poutine est de moins en moins tolérée par la partie la plus éclairée de son opinion. Sa connivence avec la Chine qui a ses propres problèmes et aussi une véritable stratégie de puissance risque de ne lui être que d’un secours très relatif.
Copyright Juin 2012-Suremain-Verluise/Diploweb.com