"Une fenêtre d’opportunité pour la résolution du conflit de Transnistrie", D. Minzarari & O. Rusu
Une fenêtre d’opportunité pour la résolution du conflit de Transnistrie
Par Dumitru MINZARARI* et Octavian RUSU**
Le 01/05/2012, regard-est
L’élection d’un nouveau «président» dans la république autoproclamée de Transnistrie semble démontrer qu’une masse critique de la population est à la recherche d’une alternative, notamment économique, à la situation sur la rive gauche du Nistrou (Dniestr en russe) depuis plus de deux décennies. Mais, sans aide de la part de l’Occident, il est peu probable que la Transnistrie réussisse à faire face à l’influence de la Russie.
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Après plus de vingt ans d’isolation internationale à cause de la politique d’Igor Smirnov qui a été soutenu par Moscou, la population de la région transnistrienne de Moldavie semble être maintenant à la recherche d’une alternative viable de développement. De fait, les élections du 11 décembre 2011 représentent un fort signal, quand les habitants de l’autoproclamée «République moldave de Transnistrie» –enclave sécessionniste de la République de Moldavie– ont exprimé leur soutien à un nouveau «président». Lors de ce scrutin, non-reconnu sur le plan international, Igor Smirnov, qui a dirigé la région depuis l’effondrement de l’URSS, a été éliminé dès le premier tour avec seulement 24,82% des voix. Au second tour, Evguéni Chevtchouk s’est largement imposé avec 73.88% des voix face au «candidat du Kremlin», le président du Soviet suprême, Anatoli Kaminski, qui n’a obtenu que 19,67% des voix.
Afin de comprendre le tournant politique en Transnistrie, des spécialistes de la région ont proposé plusieurs explications plus ou moins pertinentes, telles l’affaiblissement de l’influence de Moscou, la volonté de démocratie de la part des électeurs, ou encore l’hypothèse selon laquelle le «candidat du Kremlin» a échoué puisqu’il représente la politique de la Russie qui consiste à trouver une «solution européenne» au conflit de Transnistrie[1]. En fait, il semblerait simplement que les facteurs d’ordre économique aient commencé à prévaloir sur les mythes politiques. Les arguments d’ordre politico-sécuritaire invoqués tout au long des années par le régime de Smirnov et par Moscou, selon lesquels il existerait un danger permanent d’agression de la part de Chisinau ou d’unification avec la Roumanie, n’ont plus d’effet.
Effrayés et appauvris
Ce changement politique en Transnistrie ne peut se comprendre qu’en expliquant le mécanisme politique par lequel Smirnov s’est maintenu au pouvoir. Le régime de Smirnov s’est appuyé sur un modèle de type soviétique, où le soutien aux autorités était consolidé par trois éléments: la propagande portant sur une menace existentielle externe, l’octroi de certaines subventions sociales minimales pour la survie des couches sociales les plus vulnérables, ainsi que le maintien du territoire sous contrôle étroit et dans une relative isolation informationnelle face au reste du monde, sauf la Russie.
Cette mise au pas de l’information en Transnistrie fut une tâche facile, notamment grâce au fait qu’une grande partie de la population dispose principalement d’informations en russe produites localement ou en Russie. La menace externe était forgée en vue de présenter Chisinau et la Roumanie comme des agresseurs. Ultérieurement, ont été ajoutées l’Otan et l’UE à cette liste. Enfin, les subventions sociales étaient généreusement offertes par Moscou via différents programmes présentés souvent comme de l’aide humanitaire. De surcroît, l’administration de Tiraspol bénéficie de la gratuité pour le gaz qu’elle reçoit de Russie depuis des années (accumulant une dette de plus de 3 milliards de dollars), ce qui lui permet «d’équilibrer» son budget (le déficit est de 70%) en vendant ce gaz aux consommateurs locaux à 75 USD, tandis que les consommateurs moldaves payent 500USD les 1000 m3 de gaz[2].
Au nom d’un contrat social entre l’équipe de Smirnov et la population de la région, celle-ci était censée tolérer une telle situation socio-économique déplorable afin de se protéger de l’ «agresseur moldave». Ainsi, du fait de cette rhétorique permanente d’un danger d’agression, la population de cette région était docile, et acceptait les difficiles conditions de vie qui leur étaient imposées. Mais la perception de la menace a diminué, surtout à cause de la dégradation progressive de l’économie de la région et l’absence de perspective positive à l’horizon, et par conséquent, la tolérance des habitants face au régime s’est évanouie. Dès lors, les résultats électoraux peuvent être interprétés comme une rupture de ce contrat social entre Smirnov et la population de Transnistrie.
Dans ce contexte, la victoire d’Evguéni Chevtchouk est très révélatrice. Il jouit d’une image de jeune réformateur qui entretient de bonnes relations avec l’Occident et Chisinau. Bien que favorable au maintien de l’«indépendance» de la Transnistrie, il faut noter que l’une de ses principales promesses électorales était l’ouverture au monde, dont la normalisation des relations avec Chisinau et la facilitation de la circulation et de la communication avec la rive droite du Nistrou. La machine de propagande de Tiraspol et de Moscou a alors essayé d’accréditer l’idée que Chevtchouk représentait une menace pour l’«indépendance» de la Transnistrie, l’accusant d’être l’«homme des services secrets occidentaux» et «l’homme de Chisinau». Chevtchouk s’est néanmoins imposé, prouvant ainsi que les vieux mythes d’une menace externe n’avaient plus la même résonance au sein de la population. De plus, pendant la campagne électorale, Smirnov et sa famille ont été impliqués dans plusieurs scandales de corruption, parmi lesquels les accusations de détournement de fonds venant de Russie sous couvert d’«aide humanitaire». De ce fait, les habitants n’acceptaient plus aussi facilement la répétition des discours sécuritaires sur fond d’enrichissement des élites…
Les implications pour une stratégie de résolution du conflit
Les «élections» en Transnistrie démontrent que, au moins à ce jour, la nature du conflit n’est pas d’ordre ethnique. Elles prouvent également que la population de Transnistrie, surtout les jeunes, n’est pas hostile à la République de Moldavie[3]. Les préférences électorales de la jeune génération, qui constitue la base électoral de Chevtchouk, semblent influencées par des considérations davantage pragmatiques, et non pas par la propagande anti-moldave.
Ces observations doivent être prises en considération pour la recherche de solutions à ce conflit. En République de Moldavie et en Occident, l’approche prédominante se fonde sur des efforts essentiellement financiers orientés vers la consolidation des mesures de confiance entre les deux rives du Nistrou. La prémisse de cette politique est qu’il existe une méfiance, voire une haine, entre les habitants des deux rives. Or comme les élections en Transnistrie indiquent clairement le caractère erroné de cette prémisse, tous les efforts de Chisinau et de ses partenaires occidentaux doivent désormais reconsidérer leur agenda, réorienter leurs objectifs et repréciser la cible de leurs aides. La majorité de la population transnistrienne n’exprime plus de méfiance envers la population de la rive droite (moldave). Dès lors, une révision de la nature du conflit et une redistribution des moyens financiers des organisations internationales, telles l’UNDP, l’OSCE, l’UE, etc., s’avère nécessaire pour permettre de répondre aux vrais problèmes de la population transnistrienne.
Une fois installé au pouvoir à Tiraspol, Chevtchouk a effectué des pas concrets pour normaliser les relations avec Chisinau et faciliter la communication et la circulation entre les deux rives. Il a ainsi abrogé le décret de Smirnov de 2006 qui taxait à 100% les produits moldaves en Transnistrie, signé un accord avec Chisinau sur la pleine reprise de la circulation des trains et poursuivit une approche plutôt constructive dans les négociations autour du conflit «5+2»[4]. Mais la situation financière et économique de la Transnistrie est à ce point touchée que le nouveau leader a dû faire appel à des mesures désespérées, annonçant la possibilité de faire du rouble russe la deuxième monnaie «officielle» de la Transnistrie, pour tenter d’obtenir une assistance financière de la Russie. Moscou s’est déclarée favorable à l’offre d’une aide de 150 millions de dollars. De plus, l’ancien ambassadeur de la Russie à l’Otan, le «faucon de la paix» Dimitri Rogozine a été désigné le 21 mars 2012 représentant spécial du président russe pour la Transnistrie, signalant l’intérêt particulier du Kremlin pour cette région.
Bien que cette nomination reflète le blocage récent entre la Russie et l’Otan sur la question du bouclier anti-missiles en Europe, elle prouve aussi que Moscou a bien conscience de la vulnérabilité de la Transnistrie, du changement d’état d’esprit au sein de la population et des répercussions potentielles sur la position de la Russie dans la région. Cette nouvelle vision est confirmée aussi par le fait que Rogozine a mis l’accent sur le développement économique de la Transnistrie et a brandi de nouveau le danger d’une «unification» de la Moldavie avec la Roumanie lors de sa visite à Chisinau et Tiraspol les 16-17 avril.
Malgré tous les efforts politiques et financiers déployés en vue de remédier au supposé manque de confiance entre les deux rives, les participants au processus de règlement du conflit n’ont pas résolu le vrai problème de la Transnistrie et n’ont pas su répondre aux doléances de la population concernant le développement socio-économique de leur région sinistrée.
Le changement politique à Tiraspol offre des opportunités sans précédent pour faire avancer la résolution du conflit de Transnistrie. Dans ce contexte, Chisinau, ainsi que ses partenaires, dont notamment l’UE, doivent désormais prendre en considération les doléances économiques de la population. Une politique plus accès sur des investissements économiques et sociaux viendraient créer les conditions nécessaires d’une croissance économique, plus en phase avec les attentes de la population de Transnistrie.
Toute assistance financière –ne serait-ce que par la réorientation des fonds alloués à la «consolidation des mesures de confiance»- venant de l’Occident (UE) aurait au moins trois effets. Premièrement, encourager le changement politique plébiscité par 73% de la population qui a voté pour Chevtchouk. Deuxièmement, permettre à ce dernier et à sa nouvelle équipe de se maintenir au pouvoir pour promouvoir sa politique de convergence entre les deux rives du Nistrou. Troisièmement, la révision de l’approche courante quant au conflit et la concentration des efforts sur la dimension socio-économique augmentera l’importance et le statut de Chisinau comme de l’UE si Bruxelles décide de s’investir sérieusement dans la résolution des problèmes concrets de la Transnistrie.
Notes:
[1] http://www.regnum.ru/news/1483453.html
[2] http://www.kommersant.md/node/6355
[3] «La Transnistrie, dernier vestige de la guerre froide en Europe», Le Monde, 5 décembre 2011.
[4] Russie, Ukraine, et OSCE comme médiateurs, UE et Etats-Unis comme observateurs, Chisinau et Tiraspol comme parties du conflit.
* Doctorant OSI, Département de Science Politique, Université de Michigan-Ann Arbor, Etats-Unis
**Doctorant-ATER, Groupe de Recherche Sécurité et Gouvernance, Université Toulouse 1 - Capitole