"Kosovo: tir à vue sur les journalistes et la liberté d’expression", Serbeze Haxhiaj

Le Courrier du Kosovo

Kosovo: tir à vue sur les journalistes et la liberté d’expression

De notre correspondante à Pristina
Mise en ligne : samedi 24 mars 2012
Les attaques contre les journalistes et la liberté de la presse ne sont pas une nouveauté au Kosovo. Soumis aux pressions des politiciens et des groupes mafieux, beaucoup de médias préfèrent s’auto-censurer ou devenir les porte-paroles du pouvoir. Transparency international a d’ailleurs classé le Kosovo au bas de l’échelle pour ce qui est de la liberté de la presse.

Par Serbeze Haxhiaj / Traduit par Belgzim Kamberi.

Fatmire Tërdevci souffre encore de sa plaie. Visée il y a sept ans par des tirs de kalashnikov, il semble que ses blessures ne se sont pas refermées aussi vite que le dossier et l’enquête sur l’agression dont elle a été victime. La journaliste avait bouleversé l’opinion du Kosovo en révélant l’existence des réseaux criminels qui contrôlent les routes du trafic de carburant et de cigarettes. Elle a été blessée dans une embuscade tendue alors qu’elle circulait dans un village de la Drenica (lire notre article « Une journaliste d’investigation blessée au Kosovo »).

Cette embuscade faisait directement suite à la publication de son enquête. Alors qu’elle était enceinte de huit mois, son enfant a pu être sauvé de justesse. Sept ans plus tard, l’enquête n’a donné aucun résultat. Un groupe d’enquêteurs internationaux avait classé ce dossier au même niveau que celui du meurtre du conseiller de presse d’Ibrahim Rugova, le journaliste Xhemail Mustafa, tué en 2000 par des « inconnus ». Deux autres journalistes, Bardhyl Ajeti et Besim Kastrati, qui travaillaient pour le quotidien proche de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) d’Ibrahim Rugova, avaient aussi été tués quelques temps après l’entrée des forces de l’OTAN au Kosovo.

Les attaques et les pressions sur les journalistes ne sont pas franchement une nouveauté au Kosovo. Selon les journalistes, la profession est toujours confrontée à deux ennemis : les pressions et les menaces des politiciens et des groupes criminels, et le manque de moyens financiers.

Selon Halil Matoshi, ces deux éléments poussent à la baisse de niveau professionnel des médias du Kosovo. Vehbi Kajtazi, journaliste au quotidien Koha Ditore a récemment publié un entretien avec une personne qui aurait tué des politiciens, sur ordre. « Dans un pays où la règne de la loi est à une échelle inquiétante, où les politiciens sont liés étroitement aux hommes d’affaires qui souvent sont des bandits, les journalistes sont en danger permanent », explique-t-il.

Arben Ahmeti, président de l’Association des journalistes professionnels du Kosovo, affirme que le crime organisé est devenu une source de la force et du pouvoir. « Quand le pouvoir lié au crime organisé influence sur les trois pouvoirs, l’exécutif, le législatif et la justice, les journalistes sont sans cesse la cible des différents groupes d’intérêts qui menacent la liberté de la presse », dit-il. Selon un rapport de cette association, il y aurait eu 33 attaques contre les journalistes l’année passée.

Ulpiana Lama, journaliste et publiciste, et ancienne porte-parole du gouvernement, estime que le problème du Kosovo est que les preuves publiées ne sont pas prises aux sérieux. « La chaîne de vérité est brisée à cause de la faillite de la justice qui rechigne à s’engager. Cela dévalorise le travail du journaliste et l’importance de l’information publiée. Par conséquent, le journaliste n’est plus motivé à enquêter. C’est pourquoi la tendance collective est à l’apathie et au silence », explique Ulpiana Lama.

Les médias au Kosovo sont aussi la cible du code pénal, même si le ministre de la justice, Hajredin Kuçi, le nie : si le délit verbal n’existe plus, deux articles de loi permettent d’incriminer les médias à tout moment.

À en croire Alma Lama, député au Parlement, les médias au Kosovo sont partiellement libre. « Certain médias choisissent d’encourager le manque de professionnalisme et de devenir les porte-paroles du pouvoir. La télévision publique est entièrement contrôlée par le gouvernement. Le manque de ressources financières l’a rendue encore plus dépendante », affirme Alma Lama.

Les journalistes et les membres de la société civile expriment leur inquiétude, alors que les pouvoirs abusent de l’information publique. La loi garantissant l’accès aux documents publics ne fonctionne qu’en théorie. La vérité est étouffée aux dépens de l’intérêt public, regrette Avni Zogiani, qui dirige l’ONG Çohu. Ainsi, l’organisation Freedom House a classé le Kosovo parmi les pays « partiellement libres », tandis que Transparency international le range au bas de l’échelle quand il s’agit de la liberté de la presse.