Dans son article sur le Haut-Karabakh, Nathalie Tocci, la politologue et directrice de l’IAI 1, affirme qu’ »il ne fait aucun doute que le Haut-Karabakh se trouve à l’intérieur des frontières officiellement reconnues de l’Azerbaïdjan. L’Europe et la communauté internationale n’ont jamais remis cela en question, et la guerre en Ukraine a souligné une fois de plus l’importance de la souveraineté et de l’intégrité territoriale en tant que piliers du droit international. Il n’existe donc aucune raison juridiquement valable de s’opposer à la réintégration du Karabakh dans l’Azerbaïdjan. » 2 Voilà des affirmations qui méritent d’être discutées.
Il y a un peu plus de 100 ans, les Arméniens étaient largement majoritaires dans quelques 15 à 20% du territoire de la Turquie actuelle, soit entre 120.000 et 150.000 km carrés 3, et constituaient plus de 10% de la population totale du pays. En 1915 et 1916, entre 1,2 et 1,5 millions d’entre eux 4 trouvèrent la mort dans ce qui constitue le premier grand génocide du 20ième siècle 5. Des centaines de milliers d’autres prirent, comme les Arméniens du Haut-Karabakh aujourd’hui, le chemin de l’exil. Comme eux, 1,5 millions de Grecs furent chassés de Turquie.
Quatre ans plus tard, en 1920, le Bureau du Caucase du Parti communiste de l’Union soviétique (Kavburo) décida par 4 voix contre 3 de l’intégration du Haut-Karabakh dans la République soviétique socialiste d’Arménie. Suite notamment à des manifestations antibolchéviques à Erevan ainsi qu’aux protestations de Nariman Narimanov, le chef du Parti communiste azerbaidjanais, le Kavburo revint sur sa décision et décida, en 1921, en la présence de Joseph Staline alors commissaire du peuple pour les nationalités, de l’intégration du Haut-Karabakh dans la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. La population de la République autonome du Haut-Karabakh était alors composée à 94% d’Arméniens. C’est à cette occasion également que fut établi le couloir de Latchine séparant le Haut-Karabakh de l’Arménie alors même que ce « couloir » était très majoritairement peuplé d’Arméniens.
A la fin des années 1980, alors que l’Union soviétique commençait à vaciller, les Arméniens du Haut-Karabakh demandèrent à nouveau leur rattachement à l’Arménie. En février 1988, une manifestation en soutien à la demande du Soviet Suprême de la région autonome réunit près d’un million de personnes à Erevan, capitale de l’Arménie. Alors que l’Union soviétique s’effondre, l’opposition entre Azéris et Arméniens se transforme très rapidement en guerre ouverte entre, d’un côté, les militants du Haut-Karabakh et l’armée arménienne et, de l’autre, l’armée azerbaïdjanaise. Les Arméniens en sortent vainqueurs, en prenant le contrôle du Haut-Karabakh (5% du territoire de l’Azerbaïdjan) ainsi que des territoires limitrophes représentant 9% du territoire azerbaïdjanais. Au terme de cette guerre quelques 724.000 Azéris et 413.000 Arméniens seront déplacés. La Russie n’est pas étrangère au succès militaire arménien. Une certaine Russie en tout cas, celle des services secrets qui, déjà, agissent dans l’ombre pour renverser Mikhaïl Gorbatchev et, à travers lui, la seule structure organisée en mesure de disputer le pouvoir du KGB/FSB : le Parti communiste.
Tout comme avec Boris Eltsine que les services russes utiliseront à l’intérieur pour torpiller Gorbatchev (et le Parti communiste), au prix certes d’une perte, temporaire à leurs yeux, d’une partie de l’empire soviétique, les services de renseignement fomentent ou soutiennent en Transnistrie, au Haut-Karabakh, en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Gagaouzie, des mouvements séparatistes en vue de créer autant de futurs leviers de déstabilisation pour garder la haute main sur les ex-républiques soviétiques d’Azerbaïdjan, de Moldavie, d’Arménie et de Géorgie. Au Haut-Karabakh et en Arménie, le plan des services fonctionnera à plein. D’autant mieux que ce pacte sera scellé dans le sang avec le massacre de Khodjaly, en février 1992, au cours duquel deux cent Azéris furent massacrés. Triste écho du pogrom de Kirovabad qui entraina, en 1988, la mort d’une centaine d’Arméniens et l’exode forcé de 40.000 autres, du pogrom de Soumgaït en 1988 toujours et de celui de Bakou en 1990.
D’expression populaire spontanée en faveur du rattachement à l’Arménie, le Comité Karabakh, creuset intellectuel et politique du mouvement pour le rattachement du Haut-Karabakh, n’échappe pas, croyons-nous, au travail d’influence des services secrets moscovites. En dépendent le soutien politique et la fourniture des armements par Moscou et la permanence au pouvoir du « clan des Karabakhtsis ». Les méthodes mafieuses s’installent, au Haut-Karabakh et dans les territoires azerbaïdjanais occupés d’abord, en Arménie même ensuite. Robert Kocharian, un ancien membre du Parti communiste du Haut-Karabakh, devient Président de cette entité de facto en 1994 puis Premier ministre d’Arménie en 1997 sous la Présidence de Levon Ter-Petrossian. Ce dernier, un des 9 fondateurs en mai 1988 du Comité Karabakh, est sans doute un des rares hommes politiques arméniens, avec son conseiller Jirair Libaridian, qui ait réellement tenté de trouver un accord politique avec Bakou.
Le plan qui avait reçu son accord de principe ainsi que celui d’Heydar Aliyev, le Président d’Azerbaïdjan, prévoyait un règlement « par étapes » du conflit. La première étape comprenait la restitution de la plupart des territoires azerbaïdjanais occupés par l’Arménie autour du Haut-Karabakh en échange du déploiement de forces de maintien de la paix de l’OSCE dans le Haut-Karabakh et les districts environnants. Une phase successive prévoyait la levée des blocus azerbaïdjanais et turc de l’Arménie. Les questions du statut du Haut-Karabakh, du corridor de Latchine et du retour des personnes déplacées devaient être réglées au cours d’une dernière phase.
Mais un accord de paix entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens aurait privé la Russie de son levier dans la région. Selon toute vraisemblance, il ne reçut pas l’aval de Moscou. Il ne fut en tout cas pas approuvé par les autorités du Haut-Karabakh. A Erevan même, il suscita l’opposition du Karabakhtsi Robert Kocharian, devenu entretemps Premier ministre d’Arménie, de Vazgen Sargsyan, ministre de la défense, et de Serge Sarkissian, alors ministre de l’intérieur, ancien secrétaire du comité régional du Parti communiste du Haut Karabakh. Il entraina la démission, quelques mois plus tard, en février 1998, du Président Ter-Petrossian. Continuant sur sa lancée, Robert Kocharian devint Président d’Arménie en 1998 et le restera jusqu’en 2008. Alors qu’il était déjà évident que l’Azerbaïdjan allait connaître un très fort développement économique grâce à l’exportation des hydrocarbures, Robert Kocharian aurait pu utiliser, fort de l’aura dont il jouissait auprès des Arméniens en tant que chef de guerre victorieux, ces dix années pour négocier avec Bakou. Il n’en fit rien ni, après lui, Serge Sarkissian, un autre Kharabakhtsi, qui occupera la fonction présidentielle jusqu’en 2018.
Peut-on sur la base de ces éléments considérer que l’Europe et l’ensemble de la communauté internationale pourraient « résoudre » la question du Haut-Karabakh sur base du respect du principe de l’intégrité territoriale ? Cette position est d’autant plus difficilement défendable que c’est un autre principe, celui de l’autodétermination, qui a guidé la communauté internationale pour résoudre la question de la décolonisation depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. C’est donc assez logiquement sur base de ce principe qu’une majorité des Etats membres des Nations unies ont reconnu les Etats nés de la dissolution de la Yougoslavie et de l’Union soviétique ainsi que l’indépendance de l’Erythrée en 1993 et l’indépendance de Timor Leste en 2002.
En 1999, c’est pour contrecarrer l’opération de nettoyage ethnique mise en œuvre par Slobodan Milosevic et son régime à l’encontre des populations albanaises du Kosovo que les pays de l’Otan ont décidé d’intervenir militairement. Et c’est sur la base du principe d’autodétermination que la plupart d’entre eux ont engagé la procédure de reconnaissance internationale du Kosovo. Durant l’époque yougoslave, le Kosovo avait le statut de province autonome à l’intérieur de la République serbe. Son président faisait cependant partie de la Présidence collégiale de Yougoslavie, au même titre que les présidents des 6 républiques yougoslaves et celui de la province autonome de Voïvodine. Un statut qui n’est pas sans rappeler le statut de la région autonome du Haut-Karabakh à l’intérieur de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan.
Comme la Serbie d’alors, l’Azerbaïdjan d’aujourd’hui procède à une opération de nettoyage ethnique. Comme la Serbie d’alors (et, sous certains aspects, l’actuelle), l’Azerbaïdjan d’aujourd’hui est loin, très loin, de satisfaire aux critères, mêmes minimaux, de l’Etat de Droit et de la démocratie. C’est un système dictatorial, autocratique et corrupteur 6. C’est à cette aune qu’il faut lire les déclarations de Bakou. Certaines, étranges, comme celle de septembre 2023, selon lesquelles « la citoyenneté azerbaïdjanaise serait accordée aux Arméniens qui déposeraient les armes et abandonneraient la lutte politique pour l’indépendance » 7, alors même que ces Arméniens sont nés en un lieu que les autorités de Bakou considèrent comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Il y a aussi ces discours violemment anti-arméniens distillés quotidiennement par les médias azéris.
Mais les faits sont plus explicites encore. La dernière offensive de l’Azerbaïdjan du 19 septembre 2023, celle qui a provoqué l’exode de l’ensemble de la population arménienne du Haut-Karabakh, a eu lieu alors que les négociations 8en vue de la conclusion d’un Traité de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie progressaient et alors même que l’accord de cessez-le-feu de 2020 entre Bakou et Erevan prévoyait de maintenir le statu quo au Haut-Karabakh jusqu’à la conclusion de l’accord de paix. Ce passage en force du Président Aliyev interroge par ailleurs dans la mesure où l’on aurait pu croire que Bakou garde ouverte la question du Haut-Karabakh durant les négociations comme moyen de pression pour obtenir des concessions de la part de l’Arménie sur la question de la voie de communication avec l’exclave du Nakhitchevan.
Mais c’est sans doute introduire de la rationalité dans un contexte où c’est désormais la haine ou, pourrait-on dire, une rationalité impériale qui prédomine. Quand il parle de l’Arménie, le Président Aliyev est particulièrement explicite. En 2015, notamment, il a ainsi déclaré que “l’Arménie n’est même pas une colonie, elle n’est même pas digne d’être un serviteur.” 9 “J’avais dit qu’on chasserait les Arméniens de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait.” 10 Plus récemment, il a été plus précis encore, en affirmant que « nous mettrons en œuvre le corridor de Zangezur, que l’Arménie le veuille ou non. » 11 Ou encore « Aujourd’hui l’Arménie est notre territoire » en invoquant la possibilité d’un « retour en Azerbaïdjan occidental. » 12
Antony Blinken, le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, semble en tout cas prendre très au sérieux une possible attaque de l’Arménie par l’Azerbaïdjan. Il a ainsi déclaré à un groupe de parlementaires lors d’une conférence téléphonique à Washington que son département pense actuellement que l’Azerbaïdjan pourrait lancer une invasion de l’Arménie dans les semaines à venir 13. L’inquiétude semble palpable également à Téhéran à en juger par la proposition 14, désespérée au regard de l’état des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, de faire passer cette voie de communication entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan par le territoire iranien.
Mais l’objectif de créer une continuité territoriale avec l’exclave du Nakhitchevan en s’emparant, a minima, d’une partie du sud de l’Arménie, n’est pas seulement celui du Président azerbaïdjanais. C’est sans doute plus encore celui du Président Erdoğan. Le slogan qu’il affectionne pour décrire ce qui lie la Turquie et l’Azerbaïdjan « Une seule nation, deux Etats », préfigure le projet néo-ottoman reliant la Méditerranée, la mer Noire et la mer Caspienne et, au-delà, d’autres Etats turciques d’Asie centrale. De ce point de vue, on peine à comprendre Bakou. La Turquie « pèse » en effet 85 millions d’habitants, l’Azerbaïdjan 10 millions seulement.
En d’autres termes, le pays héritier et successeur de la République des Jeunes Turcs, responsable du génocide des Arméniens 15, s’apprête, après avoir soutenu le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, à soutenir la spoliation d’une partie du territoire arménien. Le précédent de l’invasion de Chypre par la Turquie en 1974 en dépit de l’appartenance de cette dernière à l’Otan, ajoute à l’inquiétude. Elle accompagne en outre la régression opérée par le régime du Président Erdoğan tant au niveau intérieur (emprisonnement des opposants, criminalisation de la question kurde 16, musèlement de la presse, …) qu’au niveau extérieur (non-application des sanctions à l’égard de la Russie, harcèlement de la Grèce en Mer Egée, transformation de la basilique Sainte-Sophie en mosquée, …).
A moins de considérer que l’envoi des porte-avions USS Gerald R. Ford et USS Eisenhower au large des côtes israéliennes ne soit aussi un message envoyé à Ankara, la Turquie et l’Azerbaïdjan pourraient saisir l’opportunité de l’ouverture, après l’Ukraine, d’un nouveau front anti-occidental en Israël, pour réaliser un coup de force.
Comme l’Iran, la Russie n’a pas intérêt à l’instauration de cette continuité territoriale entre la Turquie et l’Azerbaïdjan et, par la même occasion, au désenclavement de l’Azerbaïdjan. Il demeure néanmoins qu’elle n’a pas réagi lorsqu’en 2021 et 2022 l’Azerbaïdjan a occupé quelques 50 kilomètres carrés de territoires arméniens autour du Lac Noir dans la région du Syunik, ainsi que dans les régions de Gégharkunik et de Vayots Dzor. Ni, comme on l’a vu, lors du nettoyage ethnique du Haut-Karabakh alors même qu’elle avait déployé une force dite d’interposition dans la région. On ne sait non plus si la mise en sourdine par le Président turc de la question du « couloir » à la suite de la rencontre informelle en septembre dernier entre l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Russie et les Etats-Unis 17, soit le fait de la position défendue par les Etats-Unis seuls ou celle, conjointe, de ceux-ci et de la Russie. L’annonce le 23 octobre par l’Azerbaïdjan que des exercices militaires seront mener conjointement avec la Turquie près de l’Arménie semble indiquer que l’accalmie pourrait être brève.
Il ne fait par contre aucun doute que la révolution de velours de 2018 en Arménie a profondément changé l’approche de Moscou à l’égard d’Erevan. Les premiers « manquements » dans l’assistance que la Russie aurait dû fournir à l’Arménie en vertu du Traité de l’OTSC pouvaient avoir pour objectif celui de déstabiliser le gouvernement de Nikol Pashinian. Mais confronté au discrédit persistant des forces politiques arméniennes qui lui étaient auparavant favorables ainsi qu’au soutien populaire, critique souvent mais réel, dont continuait à bénéficier le gouvernement d’Arménie, Moscou a progressivement délaissé Erevan en faveur d’un soutien de plus en plus explicite à Bakou. En témoignent notamment les importantes fournitures d’armements de la Russie à l’Azerbaïdjan de ces dernières années et, dernièrement, lors du nettoyage ethnique du Haut-Karabakh, l’ordre visiblement donné à ses troupes dites d’interposition de ne pas intervenir.
La Russie conserve cependant en Arménie même un fort pouvoir de nuisance. Par des relais qu’elle a pu conserver et, surtout, par la présence de deux bases militaires 18. La marge de manœuvre d’Erevan est donc étroite. Elle est toujours membre de la CEI 19, la Communauté des Etats indépendants, et de l’OTSC 20, l’Organisation du Traité de Sécurité Collective. En outre son seul voisin non hostile, la Géorgie, est toujours gouverné, en dépit de tensions croissantes 21, par le Parti « Rêve géorgien » du milliardaire proche de Vladimir Poutine, Bidzina Ivanichvili.
Les Américains, on l’a vu, suivent la situation de très près. Les Européens, après avoir cru pouvoir jouer un rôle déterminant afin de trouver une issue pacifique au conflit – on se souviendra en particulier d’une rencontre tendue entre le Président Aliyev et le Président Macron en marge de la réunion de la « Communauté » politique européenne à Prague, en octobre 2022, semblent s’être résignés, tout d’un coup, à ne rien pouvoir faire.
Un tel abandon signifierait payer un tribut posthume à Staline et un tribut anthume à Vladimir Poutine, à Recep Erdoğan et à leurs desseins impérialistes. Ce serait politiquement irresponsable. L’Union européenne devrait définir et proposer un scénario qu’elle considérerait comme acceptable pour Bakou, pour les habitants du Haut-Karabakh, pour l’Arménie et pour elle-même. Ce scénario devrait comprendre une proposition de statut institutionnel qui pourrait s’inspirer de celui du Pays Basque où les institutions de la région gèrent l’ensemble des matières politiques, à l’exception des affaires étrangères et de la défense. Afin de créer les conditions pour un retour des habitants, des troupes de l’OSCE devraient être chargées de garantir la sécurité des habitants durant une période transitoire. Si un tel plan ne devait emporter l’adhésion de l’Azerbaïdjan 22, l’Union et ses Etats membres pourraient lancer une initiative en vue d’une reconnaissance internationale du Haut-Karabakh.
En ce qui concerne l’Arménie et les menaces qui pèsent sur sa sécurité, l’Union européenne pourrait rompre avec l’approche attentiste qui a été la sienne à l’égard de l’Ukraine avant l’invasion du 24 février 2022 et faire part dès à présent à l’Arménie de sa volonté de lui accorder immédiatement le statut de pays candidat si elle en manifeste le souhait. Un tel signal de l’Union aiderait l’Arménie à définir plus sereinement les modalités et les délais de sa sortie de la Communauté des Etats Indépendants, préalable indispensable à l’ouverture de négociations d’adhésion proprement dites à l’Union. En outre, afin d’apporter un soutien immédiat à l’Arménie, l’Union pourrait, à l’instar de ce qu’elle a fait avec l’Ukraine, ouvrir immédiatement ses frontières aux personnes et aux biens arméniens. L’Union devrait en outre fournir sans attendre à l’Arménie tous les armements dont elle a besoin pour se défendre. Parallèlement l’Union devrait instaurer un embargo sur les ventes d’armes à la Turquie et à l’Azerbaïdjan.
A moins de croire, comme Josep Borrell, le Haut Représentant pour la Politique étrangère et de Sécurité de l’Union, que « la guerre en Ukraine a fait de nous (l’UE) une puissance géopolitique, et pas seulement économique. » 23, que le statut de « puissance » se décrète, le soutien que peut apporter l’Union à l’Arménie relève du « soft power ». Pour pouvoir faire plus, il faudrait une certaine autonomie stratégique de l’Union. C’est impossible tant qu’un groupe consistant d’Etats membres ne prendra conscience que le principal obstacle à l’émergence d’une certaine autonomie stratégique européenne n’est autre que l’approche défendue par l’Etat membre qui l’invoque à cor et à cris.
Notes:
- IAI, Istituto Affari Internazionali ↩
- Nathalie Tocci, “Nagorno-Karabakh’s tragedy has echoes of Europe’s dark past. But a remedy lies in Europe too”, The Guardian, 2 octobre 2023 ↩
- La superficie de la Turquie est de 783.000 km2. La superficie de l’Arménie actuelle est de 29.000 km2. ↩
- Outre les Arméniens, le génocide va faire également 250 000 victimes dans la minorité assyro-chaldéenne des provinces orientales et 350 000 chez les Pontiques, orthodoxes hellénophones de la province du Pont. ↩
- On en parle moins mais la question demeure de la spoliation des victimes du génocide et de tous ceux qui furent contraints à l’exil sans qu’il n’y eu jamais de réparation de la part de la Turquie. ↩
- Comme en Russie, ses élites ammassent des fortunes considérables et recourrent à grande échelle à la corruption d’élites des pays européens. Voir, par exemple, Guillaume Perrier, « Ilham Aliyev, dictateur et corrupteur en chef », Le Point, 6 octobre 2023 ↩
- Nathalie Tocci, op. cit. ↩
- Ces négociations ont été entamées en 2020, à la suite du cessez-le-feu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. ↩
- “Armenia is not even a colony, it is not even worthy of being a servant”, Ilham Aliyev, Twitter, 29 janvier 2015 ↩
- “J’avais dit qu’on chasserait les Arméniens de nos terres comme des chiens, et nous l’avons fait.”, Ilham Aliyev, 7sur7, 10 novembre 2020 ↩
- “Aliyev threatens to establish ‘corridor’ in Armenia by force”, OC Media, 21 April 2021 ↩
- Elisabeth Pierson, “Arménie: pourquoi l’Azerbaïdjan pourrait ne pas s’arrêter au Haut-Karabakh”, Le Figaro, 21 septembre 2023 ↩
- “Blinken warned lawmakers Azerbaijan may invade Armenia in coming weeks”, Eric Bazail-Eimil, Politico, 13 octobre 2023 ↩
- « Arménie-Azerbaïdjan : la proposition iranienne sur l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan », Régis Genté, RFI, 13 octobre 2023 ↩
- Le génocide des Arméniens est reconnu par une trentaine de pays. 10 pays membres de l’Union ne l’ont toujours pas fait : Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Irlande, Malte, Roumanie et Slovénie ↩
- Toutes les populations non-turques n’ont pas été éradiquées. La Turquie compte encore une importante minorité kurde : entre 12 et 15 millions (de 16 à 23 % de la population totale) et quelques dizaines de milliers d’Arméniens. ↩
- “EU, Russia and US held secret talks days before Nagorno-Karabakh blitz”, Gabriel Gavin, Nahal Toosi and Eric Bazail-Eimil, Politico, 4 octobre 2023 ↩
- La base militaire russe (102ième) est située à Gyumri, à 120 kilomètres au nord de Erevan. Elle est sous le commandement du district militaire sud des forces armées russes. La garnison compte environ 5000 soldats. La base aérienne (3624ième) est située à l’aéroport Erebouni, non loin d’Erevan. ↩
- CEI : la Communauté des Etats indépendants regroupe l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, la Russie et le Tadjikistan. La Moldavie a annoncé son retrait le 15 mai 2023. ↩
- OTSC : l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (CSTO en anglais) regroupe l’Arménie, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan ↩
- Tensions renforcées par l’arrivée en 2022 de centaines de milliers de Russes voulant échapper à la conscription militaire ↩
- La cohabitation d’une entité démocratique avec les structures d’un Etat dictatorial et autocratique est, comme le montre l’expérience de Hong Kong, particulièrement problématique. ↩
- Josep Borrel, Financial Times, 14 octobre 2023 ↩