"L’âge d’or du Tibet (XVIIème et XVIIIème siècles)"; Katia Buffetrille

Au-delà du fantasme occidental, "L'âge d'or du Tibet" par Katia Buffetrille

Au XVIIème et XVIIIème siècles, le Tibet avait atteint son apogée, pour devenir alors une civilisation brillante, civilisation aujourd'hui menacée dans son existence. (Source : Lepoint.fr)
Le Tibet suscite depuis des siècles chez les Occidentaux fascination mais aussi fantasmes et idées reçues. Katia Buffetrille, sans nul doute la meilleure tibétologue de France avec Matthew Kapstein, remet les pendules à l’heure dans son ouvrage de référence, L’âge d’or du Tibet (XVIIème et XVIIIème siècles) paru aux Belles Lettres l’an dernier.
Anthropologue, chercheuse à l’École pratique des Hautes études, Katia Buffettrile se rend chaque année au Tibet depuis plus de trente ans et y séjourne six mois par an. Dans L’âge d’or du Tibet, elle commence par expliquer avec moult détails que, dans l’histoire, l’immense étendue que constitue le plateau tibétain avec ses 2,5 millions de kilomètres carrés ne faisait nullement partie de la Chine. « Affirmer que le Tibet fait partie de la Chine depuis les Yuan voudrait dire que les Mongols Yuan qui avaient conquis la Chine se considéraient eux-mêmes comme des Chinois, ce qui ne correspond en aucun cas à ce que les annales historiques de cette époque nous apprennent », souligne l’autrice.
Au XIIIème siècle, le Tibet devint certes dépendant de la puissance mongole, nouant avec la Chine des Yuan une relation particulière, appelée « relation de maître à protecteur laïc » (chöyön), qui constitua l’une des bases de l’histoire politique du Tibet. L’un apportait la protection matérielle et l’autre la protection religieuse. Plus tard, la dynastie chinoise des Ming (1368-1644), qui avait chassé les souverains mongols, « ne considérait pas le Tibet comme une partie de son territoire, poursuit Katia Buffetrille. Les liens que certains des souverains Ming établirent avec des religieux tibétains furent nombreux, mais ils traduisaient un intérêt personnel pour le bouddhisme ou un besoin de légitimité, et non un véritable contrôle politique et militaire du Pays des neiges. » Voilà qui répond aux affirmations des autorités chinoises, selon lesquelles le Tibet est partie intégrante de la Chine depuis le VIIè siècle.
Rappelons que l’Armée populaire de libération (APL) a envahi le Tibet en 1950, un an après la fondation de la République populaire de Chine, et que Pékin impose sa loi depuis lors. Réalisant que tout accord durable avec Pékin était impossible, le XIVème Dalaï-lama, Tenzin Gyatso, a pris la fuite en mars 1959 et choisi l’exil à Dharamsala, dans le nord de l’Inde où il réside encore aujourd’hui. La férule chinoise sur le Tibet a infligé des souffrances indicibles aux Tibétains, en particulier pendant la période funeste de la Révolution culturelle (1966-1976). Depuis plus d’une décennie, le tourisme de masse et les destructions de sites font peser la menace d’un génocide culturel au « Pays des neiges ».

Vainqueur des Tang

Le Tibet a connu une période de grandeur militaire. Le roi Songtsen Gampo (617-649) unifia le pays, en repoussa les limites grâce à de nombreuses conquêtes et fut le fondateur d’un véritable empire. Les frontières s’étendaient à l’est à la Chine, au nord à l’Asie centrale et à l’ouest au Gandhara. Au Sud, l’empire englobait une partie des régions himalayennes (actuels Ladakh, Népal et Bouthan) ainsi que des franges des mondes indien et birman. À la fin de son règne et dans les générations suivantes, « la cour a été plus influencée par la civilisation chinoise que par celle de l’Inde. Cependant, l’écriture tibétaine créée à cette époque fut conçue à partir d’un alphabet indien », souligne l’autrice.
Au VIIIème siècle, l’empire tibétain continua son expansion sous le règne de Trisong Detsen (755-797). « Vainqueurs des armées chinoises de la dynastie des Tang (618-907), les Tibétains s’emparèrent en 763 de la capitale Chang’An, actuelle Xi’an. Bien que de courte durée, cet épisode est important puisqu’il menaça l’existence de l’Empire Tang », souligne Katia Buffetrille. C’est alors que le bouddhisme fut déclaré religion d’État au Tibet et qu’il bénéficia d’un soutien important. Katia Buffetrille raconte comment, bien plus tard, le Vème Dalaï-lama se rendit à Pékin en 1652 et y resta près de six mois, à l’invitation des Mandchous : « Le Dalaï-lama donne, dans sa biographie, une liste impressionnante de tous les honneurs qui lui furent rendus, et il est clair qu’il ne fut pas considéré comme un prince tributaire. »
Le chef mongol Gushri Khan offrit alors au Vème Dalaï-lama, le « Grand Vème », les territoires du Tibet central et oriental qu’il avait conquis. Il est vrai cependant, qu’avant même le « règne » de Mao Zedong, la République de Chine (1911-1949) a explicitement revendiqué le Tibet comme faisant partie du territoire chinois. Les Mandchous, déjà, avaient stationné à Lhassa des représentants impériaux (ambans) ainsi qu’une garnison. Ces ambans disparurent toutefois au milieu du XXème siècle, période durant laquelle le Tibet jouit d’une indépendance de fait que le régime tibétain ne mit pas à profit pour la faire reconnaître par la communauté internationale, et ce jusqu’à l’invasion chinoise de 1950.
Le livre de Katia Buffetrille représente une somme de savoir sur la vie quotidienne des Tibétains au XVIIème et XVIIIème siècles, lorsque le « Pays des neiges » avait atteint son apogée, pour devenir alors une civilisation brillante, civilisation aujourd’hui menacée dans son existence. « Le Tibet qui a fait rêver des milliers d’Occidentaux, objet de toute une mythologie et de fantasmes toujours présents, souligne l’éditeur dans sa présentation du livre, est en train de disparaître dans le processus de colonisation politique, économique et démographique du pays engagé par les autorités chinoises depuis leur invasion dans les années 1950. »
Par Pierre-Antoine Donnet

À lire

Katia Buffetrille, L’âge d’or du Tibet (XVIIème et XVIIIème siècles), Les Belles Lettres, coll. Guide des Civilisations, 316 pages, 19 euros.