Géopolitique des OGM. Qu’y a-t-il de compassionnel, qu’y a-t-il de libéral dans l’avertissement de G.W. Bush aux Européens : « Au nom de l’Afrique menacée par la famine, je demande aux gouvernements européens de cesser leur opposition aux biotechnologies » ?
Illustré d’une carte, cet article propose une géopolitique des OGM. Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com vous présente un article d’Alain Nonjon publié sous le titre "Géopolitique des OGM" dans le n°130 d’Espace prépas.
2009 : les records tombent ! 25 pays adoptent des OGM. La superficie consacrée à ces cultures atteint 134 Mha (plus de 4 fois la Surface agricole utile – SAU – française) Certes les Etats-Unis (EU) restent les leaders incontestés (50 %) mais surtout 15 pays en développement (PED), contre 10 pays industrialisés, se lancent dans les productions. 90 % des producteurs utilisant des OGM vivent dans des PED et, symboliquement, l’Inde dépasse le Canada au 4e rang des producteurs mondiaux d’OGM. Dans les huit premiers pays cultivant des OGM et capitalisant 97 % de la surface cultivée dans le monde figurent désormais… 6 pays en développement ou émergents, dont le Brésil, l’Argentine, l’Inde, la Chine, le Paraguay et l’Afrique du Sud. L’Inde va d’ailleurs de record en record après une croissance de 23 % de 2007 à 2008… et le Brésil de Lula a dépassé l’Argentine. Comble : le Costa Rica, pays emblématique du développement durable, exporte des graines transgéniques. Plus grave, le Burkina Faso semble avoir fait un choix sans appel : ses surfaces de coton Bt sont passées de 8 500 ha à 115 000 ha en 2009 ! Le pays s’est rendu aux arguments publicitaires de Monsanto : hausse des rendements de 45 %, réduction des pesticides de six à deux passages, réduction des coûts de 62 % et une économie de 20 € par hectare, donc un bienfait pour l’agriculteur, le pays, l’humanité ! Que dire aussi de l’autorisation en Chine des essais de riz et de maïs résistants aux insectes dont « l’énorme marché fixera la norme et influera sur l’acceptation et la vitesse de l’adoption de cultures alimentaires biotechnologiques à travers l’Asie et le monde entier ». Avec de telles données statistiques, l’objectif mondial de 200 M d’ha en 2015 serait facilement atteint avec 20 M de producteurs dont l’essentiel à venir situés dans les PED. La montée en puissance des PED paraît très significative… Le miracle de la sécurité alimentaire tiendrait-il à ces nouvelles cultures, ce qui, avouons-le, serait une étrange façon de célébrer la mort de Borlaug, père de la révolution verte qui voyait dans les VHR la solution au problème de la faim ?
Les OGM ne sont que l’aboutissement d’un long processus qui, depuis des siècles, voit l’homme exploiter les capacités des systèmes biologiques en vue d’améliorer son existence — notamment quand il a commencé à sélectionner les traits spécifiques chez certains végétaux et à fabriquer de la bière avec des micro-organismes ou, plus prosaïquement, du pain au levain. Plus récemment, le développement des techniques de manipulation et de transferts de gènes d’un organisme à un autre, puis la découverte de la structure de l’acide déoxybonucléique dans les années 1950 ont permis d’autres avancées, surtout lorsqu’a été découvert le pouvoir des « ciseaux naturels » c’est-à-dire des protéines dites « enzymes de restriction » avec lesquelles on a pu extraire un gène d’un organisme vivant et le transférer dans un autre. À partir de là, l’homme démiurge a cru bon de transformer tous ces technofantasmes en réalité : modifier le patrimoine génétique des plantes pour les rendre résistantes aux maladies ou amener des animaux à produire certains médicaments extraits de leur lait. Un monde nouveau et plastique s’est offert aux chercheurs capables de modifier des plantes de façon à ce qu’elles contiennent les protéines issues de la bactérie bacilluus thuringiensis (Bt) — qui les protègent contre certains insectes avec moins d’épandage de pesticides — ou de développer des aliments plus nutritifs (riz contenant le précurseur de la vitamine A « le riz doré »). À terme, rien n’interdit de penser que des plantes résistantes à la sécheresse, à la salinité contribueront à renforcer la sécurité alimentaire. Une nouvelle mine d’or est donc apparue et ne pouvait échapper aux États-Unis pour exercer une domination au cœur de la troisième révolution industrielle.
De la médecine aux biocarburants, la génétique s’y est emballée elle aussi au rythme de la loi de Moore dans l’informatique. Les connaissances y doublent tous les ans, et Washington pronostique que, dans moins de 15 ans, les biotechnologies représenteront 20 % du PIB américain… Ce n’est donc pas un hasard si l’Amérique s’emploie à dominer le monde des OGM, du bétail transgénique, des tabacs fabriquant de l’hémoglobine, des cotons permettant de repérer des mines antipersonnel, des plastiques biodégradables pour cartes à puces, des fibres futuristes pour l’aérospatiale et les vêtements quotidiens…
Ce n’est pas un hasard non plus si les firmes les plus puissantes dans ce domaine sont américaines, comme Monsanto, Syngenta ou Dupont-Pioneer qui contrôlent 62 % du marché mondial. Ce n’est pas surprenant de voir les universités de Pudue (Indiana), Lincoln (Nebraska) ou Ames (Iowa) s’afficher dans ce défi comme leaders mondiaux… Non seulement l’Amérique a su accompagner ce saut technologique, mais elle s’est aussi équipée d’une métaphysique transgénique pour justifier son agressivité commerciale, mobiliser l’État biocrate souvent au service des firmes, comprendre que la guerre biologique qui l’entoure sera plus facile à gagner que celle des bombardiers et missiles Tomawak, manœuvrer les peurs des pays retardataires…
Des faits en cascade troublent le consensus. L’Inde vient de décider, en février, de geler la culture d’une variété d’aubergine génétiquement modifiée, la première culture vivrière OGM adoptée. Plus que la décision, ce qui importe, ce sont ses attendus. Les motifs sont clairs : risques sanitaires, environnementaux et socio-économiques. Aux États-Unis, des consommateurs et militants anti-OGM ont obtenu de l’entreprise Monsanto — crime de lèse-majesté — l’arrêt de la production de l’hormone de croissance Posilac, destinée à accroître la production de lait des vaches, quand certains opposants radicaux détruisaient les champs expérimentaux en France. En février 2009, des universitaires américains pourtant favorables aux OGM ont même adressé une plainte à l’Agence américaine de protection de l’environnement car les semenciers, par leur opacité, interdisaient toute contre-expertise !
Le dernier rapport des Amis de la Terre précise le réquisitoire et la condamnation : au Brésil, OGM signifie augmentation des pesticides (déjà multipliés par 5 de 1995 à 2005) et les EU ont utilisé en 2008 26 % de plus de pesticides par ha que les cultures conventionnelles.
Destinée à alimenter l’élevage industriel, la culture d’OGM contribue directement et indirectement à la déforestation. Ce qui aggrave l’impact sur le climat : en Argentine plus de 200 000 ha de forêts primaires disparaîtraient chaque année à cause de la percée du soja transgénique.
Des rapports ont stigmatisé le fait que, dans des PED, des instruments comme les brevets peuvent accroître les coûts et réduire les activités d’expérimentation des agriculteurs ou des chercheurs locaux du service public, tout en éloignant la sécurité alimentaire et sa viabilité économique. On craint que les droits de propriété intellectuelle n’entravent, à terme, la conservation des semences ainsi que l’échange, la vente et l’accès aux matériaux brevetés dont les chercheurs indépendants ont besoin pour effectuer leurs analyses et expérimenter les impacts.
Plus encore, la notion de souveraineté alimentaire a paru marquer des points : le protocole de Carthagène sur la biosécurité donne aux États la possibilité de refuser l’importation d’organismes vivants génétiquement modifiés. La France, dès 2008, a fait jouer la possibilité de suspendre les importations de maïs transgéniques MON 810. L’Europe, en ordre dispersé, a lentement tracé une voie moyenne entre l’exigence et l’intransigeance, réagissant plus que n’agissant, au risque de perdre un rang dans une compétition où elle était pourtant affûtée : principe de précaution. Une fois de plus, la norme, pas la force.
Le monde peut-il durablement s’accommoder de un milliard de malnutris (la part des sous-alimentés — un tiers de la population du Tiers-monde — avait baissé dans les années 1980-1990 mais a remonté au tournant du xxie siècle) ? Le risque de généralisation des OGM pèse-t-il du même poids que le risque d’insécurité alimentaire ? Comment appréhender le diktat de l‘aide alimentaire, vecteur de plus en plus privilégié des OGM, alors même que des pays comme la Zambie — pourtant en pénurie en 2002 — se sont opposés aux importations de maïs américain ? Est-il prioritaire de commencer par la révolution des OGM quand la suralimentation et le gaspillage des pays riches sont des combats qui n’ont pas été livrés ?
Le monde doit-il se contenter de ce constat amer de Robert Linhart (1980) : « l’agriculture ne sert plus à nourrir les populations mais à produire des devises » et non seulement se lancer dans les OGM malgré les doutes sur leur toxicité sanitaire, le danger de pollution environnementale avec la dissémination et même se lancer dans les biocarburants au péril des besoins alimentaires : la fausse solution ne condamnera-t-elle pas à la crise alimentaire permanente ?
Peut-on laisser le débat à propos des OGM se focaliser sur la seule résistance aux herbicides et aux insectes ? Les découvertes difficilement contournables s’accumulent en effet : riz porteur de précurseur de la vitamine B1 contre le béribéri, le tournesol, le colza dopés en acides grands insaturés et Omega 3 contre les maladies dégénératives, la baisse d’amidon de certains aliments pour une meilleure digestibilité, la capacité à introduire des propriétés de dépollution des sols, la capacité à se protéger de la salinité (gène HOG isolé par des chercheurs israéliens) ou de résister à l’inondation ou de retarder la date de récolte pour élargir les possibilités de commercialisation, sans parler des applications industrielles comme la fabrication du papier avec des arbres pauvres en lignine ou la production de biocarburants. Y a-t-il un avenir sans OGM ?
Qu’y a-t-il de compassionnel, qu’y a-t-il de libéral dans l’avertissement de G.W. Bush aux Européens « Au nom de l’Afrique menacée par la famine, je demande aux gouvernements européens de cesser leur opposition aux biotechnologies » ? Quelle est la part de realpolitik et quels sont les abandons réels dans la décision de l’UE de laisser la pomme de terre (de discorde !), l’Anflora de BASF, pour peu qu’elle ne rentre pas directement dans l’alimentation humaine… premier OGM autorisé depuis 1998, alors même que l’Europe réduit ses surfaces en OGM depuis 2008 (suspension en Allemagne de la culture du maïs modifié Mon 810, seul OGM autorisé jusque-là dans l’UE ! Que vaut donc le discours de pays comme la France, la Hongrie, l’Autriche, la Grèce, pour activer la clause de sauvegarde sur les cultures OGM au nom du principe de précaution et contrer l’avis de l’Espagne, exception européenne pro-OGM ?
Jusqu’où peut-on aller dans la brevetabilié du vivant, sa marchandisation, le contrôle du cycle agricole dans sa totalité par des FMN jugées prédatrices, mais peut-on oublier que des biotechnologies appropriées pourraient offrir théoriquement du moins des perspectives de renforcement de la petite agriculture familiale et des réponses au dérèglement climatique en cours ?
Une fois de plus, le « toujours plus pour le toujours mieux » n’est pas nécessairement la panacée de la géopolitique alimentaire, les apprentis sorciers doivent être muselés. « À se mettre au service du profit avant celui de l’humanité, ils risquent de perpétuer les crises d’un monde qui se croit à la pointe du progrès et qui danse sur un fil. » Gilles Fumey, Géopolitique de l’alimentation, éditions Sciences humaines, 2008.
… Prémonition, interpellation ou alarmisme ?
Nonjon / Espace prépa n°130