(contra)ofensiva -diplomātica- sčrbia

Le Courrier des Balkans, 21-VII-08
Kosovo et intégration européenne : la Serbie relance l’offensive diplomatique
Mise en ligne : mercredi 16 juillet 2008
La Serbie a deux priorités : la défense du Kosovo et l’intégration européenne. À peine reconduit à la tête du ministère des Affaires étrangères, Vuk Jeremić relance l’offensive diplomatique. Il a rencontré Bernard Kouchner mercredi, avant de partir jeudi pour Moscou et vendredi pour New York, où il doit rencontrer Ban Ki-Moon. À l’occasion de son passage à Paris, il a accordé un entretien exclusif au Courrier des Balkans.

Propos recueillis par Jean-Arnault Dérens

JPEG - 99.1 ko
Vuk Jeremić (©CdB/Laurent Geslin)

Le Courrier des Balkans (CdB) : Monsieur le Ministre, vous en êtes en visite officielle à Paris, alors que la France a reconnu l’indépendance du Kosovo, proclamée le 17 février dernier. Est-ce le signe de la reprise des contacts bilatéraux ?

Vuk Jeremić (VJ) : La France préside l’Union européenne. C’est à ce titre que je dois rencontrer mon homologue Bernard Kouchner. Ces derniers mois, je m’étais déjà rendu à Ljubljana pour rencontrer les dirigeants slovènes quand ce pays présidait l’Union, même si la Slovénie a aussi reconnu l’indépendance du Kosovo.

CdB : Quelles sont les priorités de la diplomatie serbe après la formation du nouveau gouvernement, notamment à propos du Kosovo ?

VJ : Notre politique étrangère se place sous le signe de la continuité. Nos priorités demeurent les mêmes : l’intégration européenne, la bataille diplomatique pour défendre l’intégrité territoriale de notre pays, la coopération régionale, la modernisation et la réforme de notre diplomatie. Ces quatre priorités demeurent inchangées. La question du Kosovo et celle de l’intégration sont au cœur de notre politique. Nous attendons cependant que la formation du nouveau gouvernement nous donne plus d’énergie et plus de dynamisme, qu’elle fasse souffler un vent d’air frais, nous permettant d’agir de manière constructive avec tous les acteurs de la scène internationale.

CdB : La Serbie va-t-elle renvoyer en poste les ambassadeurs qu’elle a rappelé des pays qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo ?

VJ : Tout est question d’une dynamique politique. Je rappelle nos deux objectifs, l’intégration européenne et la défense du Kosovo. Nous devons moduler notre politique en fonction de ces deux objectifs. Bien sûr, nous allons progressivement normaliser nos relations diplomatiques. La question était déjà ouverte avant la formation du nouveau gouvernement…

CdB : Alors, le retour des ambassadeurs, c’est pour quand ?

VJ : On verra. La décision appartient au Président Tadić.

JPEG - 93.3 ko
(©CdB/Laurent Geslin)

CdB : À propos du Kosovo, quelles sont les prochaines échéances sur l’agenda diplomatique de la Serbie ?

VJ : Un grand rendez-vous nous attend avec l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre. Nous allons proposer une résolution demandant que la Cour internationale de Justice se saisisse de la légalité de la proclamation d’indépendance du Kosovo. Nous espérons obtenir un très large soutien : en effet, cette résolution ne se prononce sur le fond de la question, mais demande qu’elle soit examinée d’un point de vue juridique. Beaucoup de pays pourront voter en faveur de notre résolution sans pour autant reprendre à leur compte les positions de la Serbie. Alors que beaucoup de pays ont le sentiment que les choses sont confuses, il ne s’agira pas de se prononcer pour ou contre l’indépendance, mais en faveur du droit. Nous attendons donc un large soutien, d’autant plus légitime que notre pays est membre fondateur des Nations Unies et de la Cour de Justice. Si notre résolution est adoptée, le problème sera déplacé du domaine politique à celui du droit.

CdB : Mais pourquoi la Serbie n’a-t-elle pas saisi par elle-même la Cour internationale de Justice ?

VJ : Ce n’est pas possible ! Un État peut porter plainte contre un autre État, mais il faut une démarche collective pour demander l’examen de la légalité d’une situation sans porter plainte. Nos précédents partenaires de coalition [le DSS de Vojislav Koštunica, NdR] voulaient porter plainte contre les pays qui ont reconnu l’indépendance, mais nous nous y sommes opposés. Nous voulons avant tout que le dernier mot revienne au droit, ce qui contribuera aussi à apaiser les tensions politiques en Serbie et dans toute la région.

CdB : Un examen juridique devant la CIJ peut durer très longtemps….

VJ : C’est probable. Ce qu’il faut, c’est mettre à profit le temps qui est devant nous pour reconstruire des ponts, pour reconstruire la confiance. Aujourd’hui, toute confiance est détruite entre Serbes et Albanais… Le recours à la CIJ permettra justement de mettre provisoirement de côté la question du statut, sur laquelle il est particulièrement difficile de trouver un terrain d’entente.

CdB : Quelle sera la politique de Belgrade au Kosovo lui-même ?

VJ : Nous voulons avancer sur les questions où n’existent pas de trop grands désaccords, par exemple celle de la reconfiguration des missions des Nations Unies au Kosovo. Nous voulons que des discussions sur cette question soient menées avec tous les acteurs. Cette reconfiguration doit être étudiée par le Conseil de Sécurité, qui doit voter sur le sujet.

CdB : Vous voulez une autre résolution, à la place de la 1244 ?

VJ : Pas forcément. Il y a d’autres possibilités, mais il faut que le Conseil de sécurité soit saisi de la question.

CdB : Et sur le terrain ? Le financement des institutions serbes au Kosovo va-t-il se poursuivre ?

VJ : Je ne crois pas que le financement des écoles ou des hôpitaux serbes soit considéré par quiconque comme un problème majeur. Même le plan Ahtisaari envisage des relations spéciales entre les institutions serbes du Kosovo et Belgrade….

CdB : Normalement, dans le cadre de la mise en œuvre du plan Ahtisaari, la décentralisation du Kosovo devrait commencer, notamment avec la mise en place de communes serbes. La Serbie s’associera-t-elle à ce processus ? Quels messages le gouvernement va-t-il envoyer aux Serbes du Kosovo ?

VJ : Nous ne nous engagerons pas dans la mise en œuvre du plan Ahtisaari, que nous avons rejeté. Ce serait une grande erreur. Belgrade veut avoir une approche constructive. Nous sommes prêts à discuter, mais sans passer certaines lignes rouges.

CdB : L’intégration européenne est une de vos priorités. Or, la poursuite du processus d’intégration suppose une pleine coopération avec le Tribunal pénal international, et le nouveau ministre de l’Intérieur, Ivica Dačić, vient de déclarer que cette coopération avec le TPI ne serait pas la « priorité » du nouveau gouvernement….

VJ : Vous avez dû mal comprendre les propos de M.Dačić. Nous allons pleinement coopérer avec le TPI. Il n’y a aucun dilemme, notre gouvernement fera tout pour lever tous les obstacles sur la voie de l’intégration. Nous avons reçu, en ce sens, un mandat clair de la part des citoyens.

CdB : Vous rencontrez tout à l’heure M.Kouchner. Qu’attendez-vous de cet entretien ?

VJ : Nous devons développer une collaboration étroite avec la France, qui préside l’UE. Notre objectif est d’obtenir le statut officiel de pays candidat d’ici la fin de la présidence française, c’est-à-dire d’ici la fin de l’année. Il existe bien sûr d’importantes différences de points de vue, notamment à propos du Kosovo entre nous, mais nous devons trouver une manière de collaborer, pour avancer vers nos objectifs fondamentaux : la paix et la stabilité dans des Balkans intégrés dans l’Union européenne.