´Avec le Kosovo, l’État-Nation revient au galop´, Osservatorio sui Balcani

Osservatorio sui Balcani, balkans.courriers.info
Avec le Kosovo, l’État-Nation revient au galop
Traduit par Mandi Gueguen
Publié dans la presse : 25 février 2008
Mise en ligne : jeudi 28 février 2008
Nombreux sont les intellectuels qui ont proposé, sur la question du Kosovo, des solutions innovantes, substituant aux anciens modèles le paradigme de région européenne. Mais avec la déclaration d’indépendance du Kosovo de la Serbie, c’est la tradition de l’État-Nation qui revient sur le devant de la scène. Le commentaire de l’Osservatorio sui Balcani.

Le Kosovo a déclaré son indépendance mais cela ne fait que commencer. Du point de vue kosovar albanais, le Kosovo a un long chemin à parcourir. Après que la souveraineté de l’État aura fait oublier tous les maux subis, les questions économiques et sociales rejailliront à la surface. La situation économique difficile, le chômage élevé, les trafics illicites et la corruption seront les thèmes auxquels le nouvel État devra se confronter. Rappelons-nous qu’aux dernières élections, seuls 45% de la population se sont rendus aux urnes, montrant par la même occasion la désaffection croissante à l’égard de la politique.

Le Kosovo restera un bout de temps dépendant des financements internationaux. En juin 2008, une conférence de donateurs est prévue pour aider le pays. En outre, la mission Eulex qui prend corps et supplante l’administration des Nations Unies, dans le cadre du plan Ahtisaari, jouira des « pouvoirs de Bonn », comme ils ont été appelés. Même si, selon des sources diplomatiques européennes, ces pouvoirs seront moins intrusifs qu’en Bosnie-Herzégovine, ils auront toutefois la possibilité d’intervenir directement sur la politique interne du pays. On passe donc d’un protectorat des Nations Unies à un protectorat de l’Union européenne. Indépendance, oui, mais avec une souveraineté limitée.

Tout ceci ne vise pas à affaiblir les raisons de l’enthousiasme des Kosovars à fêter l’indépendance, il s’agit simplement de souligner une donnée de la réalité, dont ont clairement connaissance même les dirigeants kosovars.

Une division tacite du territoire ?

Il existe une autre question qui semble prendre forme, peut-être de manière moins éclatante, même si les incidents des jours derniers semblent pointer dans cette direction. Il s’agit du fait que le Kosovo soit en train de se diviser, en quelque sorte. Le Kosovo situé au nord de l’Ibar, en particulier la région de Kosovska Mitrovica, et ses dirigeants politiques ont montré, violemment même, qu’ils rejetaient la sécession du Kosovo de la Serbie. Ce qu’il se passe, et que personne ne semble vouloir dire, est que le Kosovo du Nord est en train de se séparer du reste du pays. Belgrade ne veut pas se l’avouer, car cela voudrait dire qu’elle violerait elle-même la résolution 1244, à laquelle elle a tant fait appel. Mais Pristina ne peut pas le faire non plus, car elle a toujours déclaré que le Kosovo demeurerait un « pays pour tous » et qu’elle contrôlait la situation. La communauté internationale, l’Union européenne en tête, ne le peut pas non plus, car cela équivaudrait à admettre la faillite de l’intervention en faveur d’un Kosovo multi-ethnique.

Toutefois, ce qui se passe sur le terrain et que divers analystes soulignent est la division tacite du territoire. La Serbie n’en serait pas mécontente, étant donné que les projets de division du Kosovo avancés par les politiques et les intellectuels serbes sont de notoriété publique depuis longtemps.

Persiste cependant la question des enclaves serbes parsemées sur le reste du territoire kosovar. Que feront-elles ? Les Serbes seront-ils contraints de les abandonner ? Difficile de prédire s’il y aura un nouvel exode de la minorité serbe, au fond la condition de réfugié peut être pire et il est peu probable que la majorité kosovaro-albanaise ait aujourd’hui intérêt à adopter des attitudes hostiles à l’égard des minorités.

Mais on peut noter, comme à partir de 1999, que la responsabilité de la gestion du conflit, et donc de la réconciliation, entre les deux communautés a été presque exclusivement confiée aux organisations non-gouvernementales locales et internationales, au lieu de mettre sur pied un parcours institutionnel qui eût pu impliquer les élites locales, par égard aux droits et à la cohabitation.

Responsabilité de l’Union européenne

Dans tout cela l’Union européenne (UE) a une grande responsabilité, non seulement car elle s’apprête à prendre en main le contrôle du pays, mais aussi et surtout car le Kosovo est aujourd’hui devenu une question pan-européenne. Jusqu’aujourd’hui, la communauté internationale, plutôt que de réfléchir à de nouveaux sentiers de réconciliation, a permis que les parties cultivent leurs propres alliances et que les longues tractations se concluent par un nul et non avenu. La diplomatie internationale, avec le plan Ahtisaari, n’a fait qu’accepter les circonstances existantes. La société civile européenne, en revanche, est restée bloquée dans le besoin de s’expliquer idéologiquement avec un des deux groupes ethniques en conflit.

L’Europe, divisée un fois de plus par ses propres logiques d’État-Nation - comme cela avait déjà été le cas dans les années 1990, puis à Rambouillet - a perdu l’énième occasion d’affirmer une approche diverse des relations internationales. En apparence, le rôle de Bruxelles est reconnu dans la solution du nœud gordien Kosovar, puisqu’Eulex représente la plus grande mission européenne jamais réalisée. Pourtant, l’UE se trouve lancée dans une entreprise qui naît sans que les parties soient parvenues à un consensus et elle commence à opérer sans avoir obtenu de mandat des Nations Unies.

Les conséquences dans la région

On ne veut pas la guerre dans les Balkans, mais ces derniers jours, les protestations sur les places de Serbie ont montré leur potentiel dévastateur. À Belgrade, les dernières élections ont clairement montré le large soutien populaire dont jouissent les ultra-nationalistes qui ont manqué de peu la victoire, guère plus de cent mille voix. On peut craindre que la question du Kosovo conditionne l’agenda politique dans toute la région.

Les pays de la zone ex-yougoslave se montrent très prudents dans la reconnaissance de l’indépendance kosovare. La Croatie craint que ses relations avec la Serbie ne se détériorent, la Macédoine doit compter avec le souhait de reconnaissance de cette indépendance émis par un quart de ses habitants. La Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine ne jouit pas d’un droit constitutionnel à invoquer un référendum séparatiste, mais elle continuera à exploiter cette situation en déstabilisant le pays. Le Monténégro ne se presse pas pour reconnaître le nouvel État pour des motifs de bon voisinage. Et la Slovénie, présidant actuellement l’UE, ne réussira pas à reconnaître Pristina avant la fin du mois.

Il y a quelques temps, l’Osservatorio sui Balcani avait proposé d’emprunter une chemin différent qui eût mis au centre la perspective européenne pour répondre aux revendications des deux parties, la souveraineté territoriale et les racines culturelles de l’identité nationale serbe d’un côté, le droit à l’autodétermination de la majorité kosovaro-albanaise de l’autre. Pour sortir d’une situation sans issue, il fallait un saut de paradigme, changer de perspective, en passant de l’horizon des États-Nations à une logique de type « post-national ». Un chemin inédit, celui du Kosovo - première région européenne qui puisse servir aussi à relancer la construction de l’Europe politique. Mais, évidemment, nous ne sommes pas encore prêts à nous libérer de la visqueuse tradition de l’État-Nation, caractéristique de notre continent, pour répondre aux défis de notre temps.