Kosovo cap a la partició

BIRN, balkans.courriers.info
Kosovo : inévitable partition ?
Traduit par Mariama Cottrant
Publié dans la presse : 20 septembre 2007
Mise en ligne : samedi 22 septembre 2007

Personne n’en parle, tout le monde prétend l’écarter, mais tout le monde y pense de plus en plus : la partition du Kosovo est-elle devenue inéluctable, dans le cas probable d’une accession du territoire à l’indépendance ? Le Nord du Kosovo serait directement rattaché à la Serbie, et les Serbes des enclaves du Sud abandonnés à leur sort. En cas d’accord entre Belgrade et Pristina, la communauté internationale ne pourrait pas s’opposer à ce scénario, pourtant porteur de sérieux risques régionaux. Sur le terrain, les ventes de biens immobiliers se multiplient, comme pour préparer cette hypothèse.

Par Branka Trivic

(Image JPEG)
Le pont de Mitrovica,
symbole de la division
(© Jean-Michel Cann)

 

L’Union Européenne (UE) et les États-Unis déclarent que partager le Kosovo en deux serait une mauvaise solution parce qu’elle pourrait avoir des conséquences dangereuses sur toute la région. Cela dit, ils disent aussi constamment qu’ils accepteraient n’importe quelle solution, tant que Belgrade et Pristina sont d’accord, en poussant les deux côtés à sortir des blocages actuels et à proposer de nouvelles idées.

Le 11 septembre, l’ambassade américaine à Belgrade à souligné l’engagement de Washington dans les négociations actuelles sur l’avenir du Kosovo, qui doivent prendre fin le 10 décembre prochain.

« Pendant cette période d’engagement, les États-Unis sont prêts à accepter n’importe quelle solution sur laquelle les parties seront d’accord », a dit l’ambassade, en ajoutant cependant qu’après la fin des discussions, le statut du Kosovo devra être clarifié promptement.

Le premier à briser le « tabou de la partition », le 12 août dernier, a été le représentant de l’UE à la « troïka » des médiateurs, Wolfgang Ischinger. Au moins trois autres hauts dirigeants l’ont suivi, suggérant la possibilité de la partition du Kosovo si une telle solution était acceptée par les deux parties.

Officiellement, et le Kosovo et la Serbie ont rejeté l’idée d’une partition, mais cette position est perçue par beaucoup comme intenable à ce niveau du processus. Beaucoup d’observateurs suggèrent que le nord dominé par les Serbes se séparera du reste de l’entité et sera rattaché à la Serbie, si la majorité albanaise du Kosovo déclare l’indépendance. Certains affirment que même le plan Ahtisaari, rejeté par la Serbie, institutionnaliserait la division qui existe déjà, facilitant ainsi le glissement progressif du nord du Kosovo vers la Serbie.

(Image JPEG)
Autre vue du pont
(© Jean-Michel Cann)

 

La situation sur le terrain semble conforter cette impression. Des échanges de territoire discrets ont déjà eu lieu entre les Serbes et les Albanais au nord et au sud du fleuve Ibar qui coule au milieu de la ville divisée de Mitrovica.

Les acteurs internationaux principaux ont rejeté l’option de la partition depuis longtemps, arguant que si les forces étrangères permettent au nord de faire sécession, elles encourageront des tentatives séparatistes de la part des Albanais de la vallée de Presevo en Serbie et de Macédoine, ou de la part des Serbes de Bosnie-Herzégovine, ouvrant ainsi une nouvelle boîte de Pandore de conflits balkaniques.

Quels que soient les risques potentiels de la « théorie domino » dans les Balkans, l’Occident n’a pas les cartes en main pour bloquer la partition si les deux parties réussissent à s’entendre sur le sujet.

Selon Janusz Bugajski, du Centre Americain d’Études Stratégiques et Internationales, « les États-Unis ont été clairs jusqu’à maintenant sur le fait que la partition n’était pas une possibilité. Néanmoins, on peut présumer que si un accord était conclu sur des échange de territoires ou autres arrangements, ce qui amènerait à un accord entre les deux parties permettant la reconaissance mutuelle des deux États, alors, je suppose que cela deviendrait acceptable pour les États-Unis. »

Malgré le fait que Washington et Bruxelles affirment ne pas soutenir ou proposer une partition, Janusz Bugajski commente : « si la situation devenait critique et que les deux côtés se mettaient d’accord là-dessus, il serait difficile d’imaginer comment les internationaux s’y opposeraient ».

Daniel Serwer, de l’Institut Américain pour la Paix, ne favorise pas la partition du Kosovo parce que cela déclencherait des réactions en chaîne dans la région, mais il n’exclut pas complètement une telle solution. Il note, cependant, qu’alors que la Serbie serait prête à prendre le nord du Kosovo, elle n’accepterait pas de faire des concessions territoriales dans la vallée de Presevo (à majorité albanaise) en retour. Selon beaucoup d’analystes occidentaux, le gouvernement serbe serait prêt à accepter la partition, malgré la rhétorique « patriotique » quotidienne qui s’y oppose.

(Image JPEG)
Mitrovica nord
(© Jean-Michel Cann)

 

Face à la possibilité d’un nouveau report sur le statut du Kosovo, qui pourrait provoquer une grave crise russo-americaine, les Albanais aussi pourraient finalement accepter une partition qui, au moins, institutionnaliserait un Kosovo indépendant. « À part quelques rares exceptions, ils veulent tous un Kosovo ethniquement pur », remarque Ian Traynor du journaliste britannique The Guardian.

Amitai Etzioni, professeur à l’Université George Washington, rappelle que les efforts de l’ONU dépensés pour créer un État multiethnique ont été « un échec total (...) Les deux peuples sont aussi loin l’un de l’autre qu’avant la guerre, a-t-il dit à Reuteurs. Nous avons besoin de séparation. »

Son collègue Steven Mayer, de l’Université de Défense Nationale à Washington, partage la même opinion : « l’évidence que personne ne veut reconnaître, c’est que les Serbes et les Albanais du Kosovo ne veulent pas vraiment vivre ensemble dans un même État... Que cela nous plaise ou non, cela doit être respecté. »

Il y a quelques mois, Dimitri Simes écrivait dans le Los Angeles Times qu’« une solution raisonnable serait de trouver un compromis qui serait soutenu par la Serbie, soit en accordant une quasi-complète indépendance, soit en permettant à quelques zones du Kosovo de rester en Serbie, créant ainsi un précédent pour les régions de Géorgie ».

Vu que l’indépendance du Kosovo devient de plus en plus probable, certains experts argumentent en faveur d’une « rectification des frontières » entre le Kosovo et la Serbie. Ted Galen Carpenter du Cato Institute, basé à Washington, pense que de laisser la partie nord du Kosovo rejoindre la Serbie serait une stratégie de limitation des dégâts, permettant aussi potentiellement d’empêcher des éléments nationalistes radicaux serbes de déstabiliser la région.

Même les experts fondamentalement opposés à la partition prévoient des scénarios potentiels pour le Kosovo qui laissent ouverte la possibilité d’une telle solution dans un avenir pas trop lointain.

(Image JPEG)
Mitrovica sud
(© Jean-Michel Cann)

 

Selon James Lyon de l’International Crisis Group, la Serbie a déjà planifié la partition. Belgrade voudrait que son alliée, la Russie, bloque le processus du Kosovo pour une durée indéfinie, de façon à ce que les Albanais, de plus en plus frustrés, perdent patience et déclarent l’indépendance.

Il est probable que celle-ci serait reconnue par quelques États, dont sûrement les États-Unis, la Grande-Bretagne et quelques autres États qui on déjà indiqué leur soutien à l’indépendance du Kosovo. Les États-membres de l’UE seront sans doute divisés entre eux, incapables d’agir ensemble, comme c’est arrivé souvent dans le passé. A ce moment-là, selon James Lyon, la Serbie fera appel à la Résolution 1244, qui stipule que le Kosovo fait partie de la Yougoslavie, dont le successeur légal est la Serbie.

Soutenue par Moscou, Belgrade rappellera son droit de protéger la population serbe, dans le nord du Kosovo, par rapport au régime « illégal » du sud. La partition sera décidée à ce moment-là.

Stratégies serbes dans le Nord du Kosovo

(Image JPEG)
Quartier rrom de Mitrovica
(© Jean-Michel Cann)

 

Le Nord prendra sûrement aussi une position active. Si le Kosovo fait sécession de la Serbie, le nord, dominé par les Serbes, fera sécession du Kosovo, a averti Oliver Ivanovic, le dirigeant serbe du Kosovo, considéré comme relativement modéré.

Le Kosovo est déjà divisé de facto entre 1,8 million d’Albanais, qui occupent la plus grande partie du territoire, et à peu près 50 000 Serbes résidant dans un triangle septentrional, soutenus par la Serbie, et qui forment une société parallèle auto-suffisante. Ce sont des soldats français des forces de maintien de la paix de l’OTAN qui surveillent la ligne tendue qui divise la ville de Mitrovica. La mission des Nations Unies n’a qu’une présence minimale dans cettre région, et l’OTAN n’a que 600 soldats allemands et américains dans cette zone.

On compte aussi environ 60 000 Serbes résidant dans des enclaves isolées parmi les Albanais, protégés par les troupes de l’OTAN.

La Serbie ne manquera pas de tirer partie d’un potentiel exode de masse de dizaines de milliers de Serbes de ces enclaves isolées au sud de l’Ibar, l’utilisant comme un autre argument en faveur de la partition.

Les États-Unis et les principaux pays de l’UE devraient soutenir la sécession du Kosovo. Des analyses montrent, tout de même, qu’il reste à voir si l’Occident, risquant un affrontement diplomatique avec la Russie, celle-ci ayant placé le Kosovo sur sa « ligne rouge » de sécurité, va rester sur sa position de reconnaissance de l’indépendance du Kosovo ou choisir de présenter la partition comme « un moindre mal ».

Pendant ce temps, le troc des terres continue au ralenti : les Albanais vont au sud et les Serbes au nord. Pour le dire de manière crue, la province est en train de devenir le lieu de « retournements de vestes dissimulés ». Le gouvernement serbe serait en train d’acheter des maisons appartenant à des Albanais au nord du Kosovo avec l’aide d’intermédiaires. Alex Anderson de l’International Crisis Group affirme : « Je n’ai pas vu les papiers, et il y a une réticence du gouvernement serbe à admettre directement ce qu’il fait, mais tout le monde comprend à Mitrovica que c’est bien cela qui se passe ». Pendant ce temps, selon Alex Anderson, la riche diaspora albanaise achète toutes les propriétés serbes dans le centre du kosovo, en payant souvent un prix très élevé.

Des analystes soulignent que de telles réalités sur le terrain sont en train de donner des arguments à ceux qui pensent que la partition pourrait procurer une porte de sortie face au bloquage des discussions sur le statut du Kosovo.