3- du Bachkortostan aux montagnes du Caucase, un islam historique bousculé par une frange radicale

du Bachkortostan aux montagnes du Caucase, un islam historique bousculé par une frange radicale
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Article paru dans l'édition du 13/09/2005
Par Cyrille GLOAGUEN à Paris

La renaissance de l’islam russe, parallèle à celle de l’orthodoxie, n’est pas seulement un phénomène de réappropriation identitaire favorisé par la liberté de culte recouvrée à la fin de la perestroïka. Elle est également liée à l’installation en Russie de migrants chassés par les guerres et les conflits d’Asie centrale et d’Afghanistan, au retour de certains « peuples punis », mais aussi, selon les données communiquées par le Conseil des muftis de Russie, au succès que cette religion remporterait parmi les Russes d’origine slave.



A se fier aux données avancées par le Conseil des muftis de Russie, les conversions enregistrées en 2004 atteindraient le chiffre record de 20.000 pour la période janvier-octobre, contre 12.450 en 2002 et 15.300 en 2003. 60% de ces nouveaux convertis sont des Russes, dont 75% de femmes âgées de 17 à 21 ans.

Ces conversions à l’islam rappellent bien évidemment celle, emblématique, en juin 1999 de l’archiprêtre Viatcheslav Polosin, ancien député de la région de Kalouga et ancien président de la Commission de la liberté de conscience du Soviet suprême.

L’explosion des constructions de mosquées témoigne elle aussi de la vitalité de l’islam en territoire russe. La Fédération compte aujourd’hui de 5 à 6.000 mosquées contre 154 officiellement enregistrée en 1991. Elles étaient toutefois 26.000 en 1917. Après la construction de cinq nouveaux édifices, la seule ville de Moscou comptera onze mosquées d’ici à cinq ans. A titre de comparaison, en janvier 2005, la France comptait, elle, 1.685 mosquées.

Les pèlerinages à la Mecque sont également en pleine expansion, bien que freinés par le coût élevé du voyage. 5.500 musulmans russes ont ainsi effectué le hadj entre le 26 janvier et le 4 février 2004, soit 1.000 de plus que pour la même période en 2003. Avant la perestroïka, ils n’étaient qu’une vingtaine à peine. Pour 2004, l’Arabie saoudite a offert à la Russie 20.000 visas.

De 11 à 25 millions de musulmans russes

L’islam fait partie des religions historiques de Russie. Il est ainsi représenté à la Douma au sein du lobby religieux - l’Union des députés interpartis forte de 45 députés et mis en place en juin 2003 pour protéger les intérêts des « quatre confessions traditionnelles » (orthodoxie, judaïsme, islam et bouddhisme).

Le nombre de musulmans russes fluctue, selon les sources, de 11 à 25 millions, soit de 7,6 à 17,3% de la population. La plupart d’entre eux vivent dans le Nord-Caucase, le long de la Volga, au Tatarstan et au Bachkortostan.
L’évaluation des communautés locales, liée aux sondages, est imprécise et, selon les lieux, varie considérablement. Les flux de réfugiés en provenance du Sud-Caucase ne sont bien entendu pas étrangers à ces imprécisions.

En Karatchaï-Tcherkéssie, la population musulmane représenterait ainsi entre 50 et 90% de la population de cette république nord-caucasienne ; 50 à 60% au Bachkortostan ; 50% au Tatarstan ; dans l’oblast de Rostov, les autorités locales avancent le chiffre de 200.000 musulmans sur une population totale de 4,5 millions, soit un peu plus de 4% ; 25% en République des Adygués ; 60 à 90% en Kabardino-Balkarie ; 10 à 30% en Ossétie du Nord ; 75 à 90% en Ingouchie et 75 à 90% au Daghestan.

Il existe également de fortes communautés musulmanes dans les grandes villes comme Moscou - au moins deux millions, Saint-Pétersbourg et Rostov-sur-le-Don, alimentées par l’immigration en provenance du territoire russe et d’autres pays musulmans de la CEI, voire d’Afghanistan.

Ces populations sont majoritairement sunnites, mais il subsiste un fort courant de tradition soufie au Nord-Caucase où s’est également développée, surtout en Tchétchénie et au Daghestan, une forte influence salafiste (ou wahhabite).

Oblast de Tioumen

Les régions du sud de l’immense oblast de Tioumen, qui s’étend des frontières du Kazakhstan à la mer de Kara, abritent depuis plusieurs siècles des petites communautés musulmanes, principalement d’origine tatare et kazakhe, articulées aujourd’hui autour de 80 organisations religieuses.

Elles entretiennent cependant peu de liens entre elles et relèvent de trois hiérarchies différentes - branches russe et européenne, locale ou asiatique des Musulmans de Russie. Une certaine tension religieuse oppose depuis plusieurs mois ces populations à la communauté orthodoxe au point qu’en septembre 2004, le conseil régional d’un des rayon de l’oblast, sans doute placé sous l’influence du mouvement « Pour une morale orthodoxe » a demandé la démolition de la grande mosquée de Tioumen pourtant en travaux d’agrandissement.

Ces travaux, qui comprennent la construction d’écoles et de plusieurs centres de formation de muftis, ont été financés par des fonds privés locaux, contrairement aux 64 autres mosquées de l’oblast dont la construction a, dans la plupart des cas, été réalisée grâce à des fonds arabes.

République des Komis

Dans les contreforts de l’Oural, la république voisine des Komis abrite également quelques minorités musulmanes. Celles-ci sont principalement originaires du Tatarstan et du Bachkortostan, arrivées lors des déportations staliniennes, puis librement dans les années 1950 et 1970, pour travailler dans les mines, les raffineries et les exploitations forestières et, enfin, dans les années 1990, dans le sillage des grandes compagnies pétrolières.

La communauté tatare a connu son renouveau il ya une dizaine d’années, commençant alors à s’organiser socialement et culturellement dans la plus grande discrétion (construction d’une mosquée à Ousinsk, à une centaine de kilomètres dans le nord de Petchora ; école en langue tatare ; fêtes musulmanes, etc.). En 2002, la communauté musulmane représentait quelque 3% de la population totale de la république.

Tatarstan et Bachkortostan

Au sud de cette république, au Tatarstan et au Bachkortostan, la presse est muselée à un point tel que, selon l’Union des journalistes de Russie, même les journaux fédéraux y sont censurés. Le prosélytisme religieux est la cible principale de cette censure.

A l’exemple des républiques d’Asie centrale, les autorités locales tentent également de limiter les influences religieuses extérieures, en promouvant les traditions pré-islamiques et un islam non arabe, « tatar » ou « bachkir ».

Le gouvernement tatar essaie également depuis 1995 d’imposer sur son territoire la notion d’ « euro-islam » qui mêle traditions nationales à une certaine relecture du djadidisme, ce courant moderniste musulman dont le foyer a été, dès le 18e siècle, la ville de Kazan et qui a, depuis, gagné l’Asie centrale.

Au Bachkortostan, la république russe qui abrite le plus fort taux de musulmans de la Fédération, la minorité tatare a développé un discours nationaliste dans lequel le souvenir de la déportation de 1944 joue un rôle vraisemblablement plus important que la religion. Dans cette république, l’islam est surtout pratiqué par les vieilles générations rurales, celles-là mêmes qui ont le moins souffert de l’éducation athée des écoles soviétiques.
En fait, l’action du clergé local est surtout visible à travers le rôle social qu’il joue en liaison avec les autorités politiques dans des domaines comme celui de la lutte contre l’alcool et la drogue, véritables fléaux locaux.

Le Tatarstan du président Mintimer Chamiev est l’un des sujets les plus riches et les plus industrialisés de la Fédération russe. L’un des plus indépendants aussi puisque, selon les termes de sa constitution de 1992, il ne fait pas partie de la Russie mais lui est associé.

L’islam ne joue pas ici de rôle prépondérant dans la redéfinition de l’identité nationale et même s’il est visible à travers les multiples chantiers de construction de mosquées, les liens avec les pays musulmans sont surtout le fait de nationalistes attirés par le régime politique turc. C’est d’ailleurs l’incapacité de ces nationalistes à s’entendre entre eux qui a fait échouer le projet d’indépendance au début des années 1990.

Aujourd’hui, le pouvoir fort de Chamiev, l’omniprésence de sa famille dans la vie politique et la présence d’une minorité russe représentant probablement encore 40% (43% en 1989) de la population totale, sont un frein au développement d’un islam radical. Certains observateurs affirment toutefois que le courant deobandî - apparu en Inde au milieu du 19e siècle et dont sont issus, par exemple, les Talibans et certains groupes radicaux pakistanais - trouverait au Tatarstan de plus en plus de points d’ancrage dans une population paupérisée et surtout dans sa frange la plus jeune.

Pour autant, les Tatars sont un peuple éclaté aux quatre coins de l’ex-Union soviétique. Les trois-quarts d’entre eux vivent encore aujourd’hui en dehors de la république éponyme. Il en va ainsi des Tatars de Crimée, déportés par Staline en 1944 en Ouzbékistan et en Sibérie, et qui reviennent dans leur région d’origine depuis la fin des années 1980.
Faut-il voir une relation entre ce retour et la présence de militants du Hizb ut-Tahrir al-Islami dans la presqu’île ukrainienne, dénoncée en septembre 2004 par l’Assemblée nationale des Tatars ?

Astrakhan

Astrakhan, capitale de l'oblast éponyme, comptait en août 2004 trente-neuf organisations religieuses musulmanes et onze autres groupes plus petits, tous de courant traditionaliste. Loin d’être marginalisés, ceux-ci ont le plein soutien des autorités locales qui financent ainsi la construction et la rénovation de leurs mosquées.

Deux instituts islamiques ont également vu le jour dans la capitale, dont un dirigé par un Algérien, ainsi que quelques fondations dont l’activité est avant tout centrée sur l’organisation du Hadj à la Mecque.
Kabardino-Balkarie

On trouve également des traces du courant deobandî, à l’instant évoqué, dans certaines régions de Kabardino-Balkarie. Sans préjuger de son importance, force est de constater que les autorités kabardes ont placé sous surveillance l’islam.

Fin 2003, soutenues par le clergé local, toutes les mosquées du district de Tchegem, dans le nord de la république, étaient ainsi fermées car elles abriteraient des «écoles islamiques marginales », attirant les jeunes gens en grand nombre, et n’autorisaient leur réouverture que « pour la prière du vendredi » (Interfax, 9 septembre 2003).

Autre trace d’une présence islamique radicale dans cette république - sujette à caution, il est vrai : le 16 septembre 2004, le site Internet indépendantiste tchétchène Kavkaz-Tsentr faisait état de la mise sur pied en Kabardino-Balkarie par le FSB et le GRU – les services de renseignement de l’armée- d’ «escadrons de la mort» chargés «de tuer quelque 500 personnes», islamistes convaincus ou sympathisants de la cause tchétchène.

Oblast de Rostov

Plus au nord, l’oblast de Rostov offre sur le plan religieux un aspect contrasté du fait de la vaste mosaïque d’ethnies qu’elle abrite. Certaines sont de confession musulmane (Tatars, Tchétchènes, Azéris, Turcs Meskhètes, Darguines, Avars, etc.), mais n’entretiendraient a priori pas entre elles de liens religieux. Les muftis locaux reconnaissent toutefois avoir de bonnes relations avec la Turquie et les Emirats Arabes Unis.

La tranquillité de l’oblast semble toutefois menacée. Sa localisation géographique sur le flanc sud du Caucase l’a en effet transformé, depuis plusieurs années, en terre d’accueil pour de nombreux réfugiés chassés d’Ingouchie, de Tchétchénie, de la République des Adygués, mais aussi du Tadjikistan et d’Ouzbékistan par la guerre et l’insécurité, bouleversant ainsi un équilibre ethnique déjà précaire. Cette immigration massive a déjà provoqué dans un passé récent de graves heurts interethniques dans le Kraï de Krasnodar voisin, mais dans lesquels le facteur religieux n’a guère joué de rôle important.

L’islam dans ces républiques et régions de la Fédération semble donc traversé par certains courants que l’on peut – même si les facteurs psychologiques locaux jouent dans cette appréciation un rôle énorme – qualifier de fondamentalistes. Pour autant, celui-ci n’est véritablement implanté qu’en Tchétchénie, au sens d’acteur politique et social, - d’où il déborde sous l’effet de la guerre dans les régions voisines (Ingouchie et Ossétie du Nord, surtout) - et au Daghestan. Deux territoires qui se distinguent également par un islam différent du reste de la Russie ; l’islam daghestanais étant, du reste, lui-même différent du tchétchène.

Daghestan

Au Daghestan, république où cohabitent plusieurs dizaines d’ethnies et où les Russes slaves ne représentent que 6% de la population, l’islam radical apparaît dès les années 1960 avec le développement d’un courant salafiste dans le milieu des ordres mystiques locaux.
Dès la fin de la perestroïka, la plupart des groupes ethniques présents sur le territoire daghestanais ont leur propre mouvement d’opposition (Front populaire Imam Chamil (Avars), mouvements Birlik (Turcs Nogaïs), Tenglik (Koumyks), Sadval (Lezguins), Tsadech (Darguins), Tsoubar (Laks), Union des Cosaques du Terek, etc.) et font alliance avec les confréries soufies, marginalisant de fait les vieilles structures religieuses créées sous l’URSS.

Au début des années 1990, la scène politique de la petite république se caractérise donc par une opposition entre une élite nationale issue de la nomenklatura soviétique et des mouvements islamistes particulièrement violents mais socialement marginaux, qui pour survivre, vont devoir se réfugier en Tchétchénie ou dans les communautés daghestanaises migrantes de la Russie du sud.
Le Parti islamique du renouveau (PIR) est le premier à apparaître. Il va essaimer surtout en Asie centrale. En 1991, le Conseil spirituel des Musulmans du Daghestan, d’obédience soufie, soutenu par les Avars, les Koumyks et les Tchétchènes, voit le jour, bientôt suivi par le Parti islamo-démocratique et le Parti islamique du Daghestan, fondé en 1994 par Sourakat Asiyatilov.
Parmi ces mouvements et organisations, l’Union des musulmans de Russie de N.Khachilaev, leader de l’ethnie lak, ancien député de « Notre maison la Russie » et que l’on dit lié à la mafia locale, se détache nettement. Il est en effet le seul au Daghestan à avoir réussi en mai 1998 à rassembler assez d’hommes pour tenter de s’emparer du pouvoir par la force. Ce coup de force, pourtant, ne devait rien à la religion, mais cherchait à préserver l’unité du Daghestan à l’intérieur de la Fédération russe. En septembre 1998, Khachilaev, après avoir échoué à renverser le gouvernement daghestanais, devra se réfugier en Tchétchénie où il cherchera de l’aide auprès de Bassaev, a priori sans grand succès là non plus.

Comme ailleurs en Russie, l’islam sert d’autant plus d’épouvantail que le conflit tchétchène est proche et palpable dans la vie quotidienne. Toutes les communautés religieuses – pas seulement musulmanes – implantées depuis moins de quinze ans dans la région, ainsi que les imprimeries et les importations de livres, sont aujourd’hui sous le contrôle étroit des autorités.

Marginaux – 2 à 3% de la population daghestanaise en 2003, les groupes d’obédience wahhabite, adeptes de la Charia et du Jama’at de B.Kebedov, se concentrent principalement dans les régions de Bouïnaksk, de Kiziliourt et de Khasaviourt, celles-là mêmes que les chefs de guerre Bassaev et Khattab avaient cherché à rallier à leur cause lors de deux attaques en août et en septembre 1999, qui serviront de déclencheurs à la reprise du conflit tchétchène.

La présence de l’islam radical au Daghestan est aujourd’hui surtout le fait de la contamination du conflit tchétchène et ne semble plus générée de l’intérieur de la société. De même, les heurts religieux, qui ont opposé en 1996 ethnies avare et darguine, font sans doute partie du passé. Il en va différemment en Tchétchénie.

Tchétchénie

L’implantation de l’islam radical en Tchétchénie s’est réalisée tout autant sous l’effet du combat contre le colonialisme russe que sous celui de la surenchère religieuse qui oppose entre eux les différents chefs de guerre.
Ce combat et cette surenchère ont lieu sur fond de luttes d’influences et territoriales, elles-mêmes gravitant autour du financement de la guerre par des pays islamiques étrangers. L’accroissement de l’influence du PIR et la dérive idéologique des frères Kebedov interviennent ainsi, dès le début des années 1990, parallèlement à l’évolution politique et religieuse du premier président tchétchène, le général Doudaev, dont le projet national associait nationalisme et islam, et s’appuyait sur les ordres mystiques soufis du sud de la Tchétchénie, principalement de la branche Qadiri, et sur le Parti démocratique Vaïnakh de S.Iandarbiev.
Initialement parti nationaliste séculier, ce dernier va, après 1996, se rapprocher des Kebedov et des islamistes radicaux pour contrer l’influence du clan de Doudaev. Ce même Iandarbiev poussera Maskhadov à introduire en Tchétchénie la Charia sur le modèle soudanais aux dépens de l’adat, le droit coutumier local, et sera l’artisan de la reconnaissance de la république de Tchétchénie par le régime Taliban en janvier 2000 à Kandahar.

La branche Qadiri, quant à elle, deviendra l’une des cibles privilégiées du groupe Kebedov. Après la mort de Doudaev en avril 1996, la Tchétchénie voit les différents groupes de combattants se lancer dans une surenchère religieuse. Certains d’entre eux poursuivent leur guerre sainte personnelle sous la direction de grands chefs de guerre comme Khattab, Iandarbiev, Bassaev, Guelaev et dont les ambitions politiques et les stratégies de pouvoir personnelles sont évidentes.
De son côté, tout à la poursuite de sa ligne nationaliste, le nouveau président Aslan Maskhakov s’appuie paradoxalement comme le Kremlin sur le clergé traditionnel tout en essayant de conserver un certain équilibre entre son influence propre et celle de ses concurrents.

En avril 1998, Bassaev, Udugov, Iandarbiev, Tahaev et Aliev, leader de l’organisation « La nation de l’islam », créent le « Congrès des peuples de Tchétchénie et du Daghestan », consacrant ainsi l’alliance entre les islamistes daghestanais et tchétchènes. Dès l’été 1998, plusieurs groupes islamistes daghestanais, dont le Jama’at de Kebedov, s’engagent au combat au côté de Bassaev.
Ces groupes vont exercer une forte influence sur le chef de guerre tchétchène et être à l’origine de la fondation au Daghestan des villages wahhabites évoqués ci-dessus. En novembre 1999, la seconde guerre éclate en Tchétchénie.
Le président tchétchène, en vain, et les autorités daghestanaises, avec plus de succès, font interdire les organisations extrémistes d’obédience wahhabî. On connaît la suite.

Organisations islamiques

La Russie n’est non plus pas épargnée par les activités du Hizb ut-Tahrir al-Islami (HuT). Le mouvement y a été interdit par un arrêté de la Cour suprême en date du 14 février 2003. C’est également en Russie que son responsable pour l’Asie centrale, l’ouzbek Yousoup Kasimakhounov, a été arrêté en février 2004.
Le HuT a pour la première fois fait la une des journaux russes en juin 2003 après l’arrestation provisoire de 55 de ses membres. Un an plus tard, en juin 2004, à Tioumen et à Tobolsk en Sibérie orientale, dix autres militants, dont le directeur du centre culturel musulman de Tioumen, Marat Saibatallov, et l’imam Dmitri Petrichenko, subissaient à leur tour un sort identique, avant d’être accusés de terrorisme et de liens avec le HuT. Selon le procureur régional, les dix hommes cherchaient à obtenir des armes et s’apprêtaient à prendre des otages.
A ce jour, les dernières arrestations de membres du HuT (onze hommes, dont "plusieurs étrangers" - MosNews du 1er octobre 2004) ont eu lieu en septembre 2004 à Nijni Novgorod et au Tatarstan en novembre (deux résidents d’Asie centrale en possession d’armes et d’explosifs). Pourtant, selon certaines sources, c’est autour de la capitale moscovite que le mouvement concentrerait aujourd’hui son action avec plus d’une trentaine de cellules en activité.

Une autre organisation d’obédience wahhabite baptisée Jama’at, difficile à identifier, mais probablement liée au mouvement de Abdul Khalim Sadullaev, l’actuel président indépendantiste tchétchène, ou avec le Jama’at-i Islami, a également fait parler d’elle.
Dans le district de Neftekoumsk du Kraï de Stavropol, huit de ses militants ont été condamnés en octobre 2004 pour détention illégale d’armes et le meurtre de cinq policiers, tandis que loin de là, à Oulianovsk, près du Tatarstan, une cellule de ce même groupe était démantelée mi-novembre 2004. Celle-ci, dirigée par un chef d’entreprise de 32 ans, s’était spécialisée dans le vol, le kidnapping et les assassinats, achetait des armes et distribuait dans les mosquées de la littérature wahhabite. Installée dans la région depuis moins d’un an, elle avait réussi à recruter 80 membres, la plupart ethniquement russes, dont des policiers.
Ce Jama’at, que d’aucuns associent à Al-Qaeda, serait actif dans une douzaine de régions russes et en Asie centrale. Au Kazakhstan, une quinzaine de ses membres, des Kazakhs et des Ouzbeks, ont été jeté en prison en novembre 2004 pour détention d’armes, d’explosifs, pour vol et activités illégales. Parmi ceux-ci, quatre femmes auraient suivi un entraînement pour devenir kamikazes.

Utiliser le clergé traditionnel

Après une période de laisser-faire au début des années 1990, la vieille politique brejnévienne d’utilisation du clergé traditionnel comme contrepoids aux influences religieuses extérieures a été reprise et amplifiée. Il s’est tout d’abord agi pour Moscou d’enrayer les dérives indépendantistes favorisées ici et là par la montée de la religion dans les processus de redéfinition des identités nationales, ainsi que de combattre l’islam radical né de la guerre en Tchétchénie.

Aujourd’hui, alors que le nombre des attentats liés au terrorisme islamique connaît une croissance exponentielle et que la guerre semble contaminer l’ensemble du Caucase, le pouvoir central, sur la défensive, pourrait être tenté de durcir encore le ton.
Moscou n’a pour l’instant pas été jusqu’à associer, dans une loi, islam et terrorisme, tout comme il s’est toujours refusé à une "criminalisation" de l’islam radical au nom de la liberté de cult. Probablement parce qu’il sait que les clergés traditionnels demeurent sa meilleure carte dans la lutte contre les terroristes.

Après la série d’attentats très meurtriers qu’a connue la Russie entre août et septembre 2004, on a ainsi entendu le Conseil central des musulmans de Russie et certains muftis, comme Ismaïl-Hadji Berdiev, mufti de Karachevo-Tcherkessie et du Kraï de Stavropol, réclamer auprès des autorités fédérales le renforcement des contrôles sur l’immigration et les écoles religieuses islamiques qui recrutent «au grand jour des terroristes parmi les jeunes musulmans». Berdiev, qui dénonce «la négligence des autorités» partout dans le Caucase face à l’activité des «prêcheurs étrangers», souhaite également la création d’une instance fédérale chargée de la coordination des activités de toutes les organisations religieuses russes , calquée probablement sur le modèle du Comité d’Etat soviétique aux affaires religieuses.

Les pressions sur le pouvoir central se font cependant de plus en plus pesantes dans le sens d’une répression accrue du prosélytisme islamique. Si une demande en ce sens (condamnation à un an de prison) qui avait été déposée à la Douma en avril 2004 par le vice-procureur général, Vladimir Kolesnikov, suite à une proposition du conseil d’Etat du Daghestan, a été rejetée par le ministère de la Justice, puis par la Douma, le débat reste entier.
Le 25 octobre 2004, V.Katrenko, président de la commission du Parlement pour le Nord-Caucase et vice président de la Douma, avait alors affirmé qu’une loi criminalisant «les manifestations extrêmes de Wahhabisme» pourrait bientôt voir le jour.