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Corruption en Grèce: la fin de l’état de grâce pour l’Église orthodoxe ?

Traduit par Laurelou Piguet
Publié dans la presse : 30 décembre 2012
Mise en ligne : jeudi 5 janvier 2012
La crise a-t-elle sonné le glas des « bonnes affaires » de l’Église orthodoxe grecque ? Le placement en détention provisoire de l’higoumène du monastère de Vatopédi pourrait ouvrir une nouvelle ère dans les relations toujours ambigües entre les autorités grecques et l’Église. Entre 2001 et 2008, de nombreuses combines financières auraient été conclues avec l’État, toujours au bénéfice du clergé orthodoxe. Explications.

Par Eva Karamanoli et Achillés Patsoukas

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Le monastère de Vatopédi

(Avec Slate) - L’archimandrite Ephrem, 56 ans, – connu dans le civil sous le nom de Vasileios Koutsos – croupit depuis le 29 décembre dans la cellule n°2 de la 6e aile de la prison de Korydallou, à la périphérie d’Athènes. Le prélat est considéré comme le cerveau de l’affaire des « échanges sacrés » et fait l’objet de poursuites pour six chefs d’accusation. Ses avocats contestent ce placement en détention provisoire. En attendant, l’administration pénitentiaire a accepté sa demande d’avoir une cellule individuelle et de pouvoir prier dans la chapelle de la prison.


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C’est une décision de la Cour d’appel qui a permis l’arrestation du moine. Les juges se sont finalement rangés à l’avis de la juge d’instruction Irini Kalou, qui avait déjà demandé la mise en détention d’Ephrem. Outre les forts soupçons de culpabilité, les juges font aussi référence aux aspects obscurs de sa personnalité. Dans les 18 pages du dossier, les juges mentionnent en outre les noms de nombreux ministres et secrétaires d’État du parti Nouvelle Démocratie impliqués dans le dossier. Le monastère de Vatopédi et l’État ont procédé à des échanges de biens fonciers sur lesquels le monastère a par la suite réalisé de gros bénéfices, au détriment des finances publiques [1].

« Ces actes criminels ont été accomplis sciemment, Vasileios Koutsos a choisi des moyens spécifiquement adaptés pour parvenir à ses fins, a utilisé sa fonction d’higoumène du monastère de Vatopédi, de rayonnement mondial et placé au deuxième rang des monastères du mont Athos. L’héritage culturel et spirituel du Mont Athos lui a ouvert des portes et lui a permis d’entrer en contact puis d’exercer une influence sur des agents de l’État ou des politiques occupant des postes-clé. »


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Les juges estiment qu’Ephrem a accompli ces actes criminels entre 2001 et 2008, période pendant laquelle il a convaincu divers corps de l’État d’engager les démarches nécessaires à la réalisation des échanges. « Ces actions se sont déroulées sans interruption pendant la dite période et n’entrent pas dans le cadre de sa mission spirituelle ni au sein de la communauté. Il s’agit d’un individu qui a un penchant pour ce tels actes criminels, c’est un élément de sa personnalité, qu’il met en œuvre de façon consciente et méthodique. »

D’abord placé en résidence surveillée pour raisons médicales, l’archimandrite Ephrem a finalement été incarcéré. L’homme est accusé d’avoir monté l’opération visant à échanger le lac de Vistonida, en Thrace occidentale, contre des biens immobiliers appartenant à l’État grec. Pour cela, il a convaincu le gouvernement de Kostas Karamanlis que le monastère était bien propriétaire du lac puis a décidé de revendre les biens immobiliers avec une gigantesque plus-value.

L’opération aurait rapporté plus de 100 millions d’euros au monastère. Trois ministres avaient dû démissionner en 2008 quand l’affaire avait éclaté au grand jour. En février 2011, le Parlement grec a estimé que les faits étant prescrits, ils ne seraient pas poursuivis. Une décision qui ne valait pas pour les moines.

Ephrem est décrit comme « le cerveau et l’inspirateur des actes pré-cités » et, du fait qu’il est toujours à la tête du monastère, les juges craignent qu’il « utilise à nouveau son statut pour accomplir d’autres forfaits du même type ». « S’il est relâché, il est très probable qu’il récidive, d’autant plus que le litige avec l’État n’est pas clos, et qu’il a montré une extraordinaire capacité dans la pratique criminelle et une certaine efficacité à persuader de très nombreuses personnalités publiques. » Selon les juges, « sa bonne conduite actuelle n’est pas le résultat de sa volonté, mais de l’attente du verdict ».

Un avis que partage la juge d’instruction Irini Kalou qui, en désaccord avec le procureur général Panayotis Mantzounis, avait insisté pour la détention provisoire. De son côté, le procureur demandait une caution et une liberté très surveillée. Il arguait, entre autres, que « l’accusé n’avait pas agi pour son compte personnel mais en tant que représentant et pour le compte du Monastère... revendiquant pour cet établissement des richesses foncières qui, en réalité, ne lui appartenaient pas. »

De vives réactions en Grèce et dans le monde orthodoxe

Pour sa défense, Ephrem a soutenu qu’il « ne souhaitait pas que ces échanges aient lieu, mais que le gouvernement d’alors [Nouvelle démocratie] l’avait contraint pour satisfaire les élus locaux. » Il a terminé sa plaidoirie en assurant que la communauté ne poursuit pas de but personnel, mais que les moines essaient simplement de consoler ceux qui viennent les trouver.

En Grèce, la classe politique a vivement réagi. Kyriakos Velopoulos, député du parti nationaliste LAOS, a mis en doute le sérieux des procédures judiciaires avant d’assurer qu’Ephrem serait innocenté et que l’État devrait alors dédommager le monastère. « On s’empresse autour d’Ephrem pour des raisons électoralistes. Cela arrange le PASOK que des individus soient emprisonnés sans qu’on sache s’ils seront ou non condamnés. Certaines personnalités du parti ont construit leur carrière politique sur les ruines de Vatopédi. »

Les réactions ont également fleuri du côté de l’Église grecque. Les métropolites de Thessalonique, de Larissa et de Kastoria se sont rangés aux côtés d’Ephrem. Ils ont chacun à leur façon expliqué que cette mise en détention touchait l’Église grecque et que le peuple pouvait à juste titre se demander si Ephrem n’était pas une victime expiatoire.

Sur la scène internationale, le monde orthodoxe a réagi par le biais de Moscou, dont la pression sur le gouvernement grec a été habilement coordonnée. Au moment où le Ephrem passait le seuil de la prison, le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères et le chef du bureau des affaires religieuses étrangères ont lancé de vives critiques à l’encontre de la justice grecque. La diplomatie russe a d’abord exprimé la profonde inquiétude de son pays quant à cette détention provisoire, puis a rappelé que le moine avait collaboré avec la justice et que son état de santé était très fragile, jugeant ainsi que cette décision n’était pas conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Le chef du bureau russe des affaires religieuses étrangères, le métropolite Ilarion, a paru de son côté très bien informé des détails de l’affaire. Il a relevé que sur l’ensemble des accusés seul Ephrem avait été emprisonné et souligné l’extraordinaire de cette décision de justice qui soulève, selon lui, de profondes interrogations. Il a ajouté que cette décision provoquait une forte inquiétude chez les fidèles orthodoxes russes, ainsi que chez les prêtres, qui ont émis de profondes réserves sur les motivations réelles de cet emprisonnement.

La réaction du ministère grec des Affaires étrangères a été immédiate, son porte-parole rappelant que la Grèce est un État de droit, qui respecte les droits de l’Homme, et soulignant l’indépendance totale de la justice ainsi que la séparation claire des pouvoirs.

L’affaire du monastère Vatopédi n’est qu’une parmi les multiples scandales qui impliquent l’Église orthodoxe grecque, premier propriétaire terrien du pays et bénéficiaire de multiples exonérations fiscales. Selon certaines sources, pas moins de 240 échanges similaires auraient eu lieu ces dernières années, suivant le même modus operandi. L’État offrait à l’Église des biens immobiliers, en général sous-cotés, qui étaient ensuite revendu avec une jolie plus-value.

[1] Voir notre article : Grèce : les moines du Mont Athos au-dessus des hommes, de la loi... et du fisc