´Moldavie: Work and Travel, du rêve à l’arnaque´, Julien Danero

Moldavie: Work and Travel, du rêve à l’arnaque

 

Par Julien Danero Iglesias (sources: Adevarul, Timpul, Unimedia, Ziarul de Garda)

Le système du Work and Travel, qui permet à des étudiants de partir aux États-Unis, au Canada ou en France et d’y travailler pendant les vacances scolaires, est très populaire en Moldavie. Les innombrables agences qui le proposent notamment autour de l’Université d’État de Moldavie à Chişinău en témoignent largement. Pour en bénéficier, un étudiant qui veut partir s’adresse à l’une de ces agences, accréditée par exemple auprès de l’ambassade des États-Unis à Chişinău, et celle-ci s’occupe des formalités de voyage tout en trouvant sur place un emploi pour le candidat. Si l’étudiant obtient le visa, à lui ensuite le rêve américain pour quelques mois.

Toutefois, le rêve se transforme parfois en cauchemar, comme l’ont expliqué lors d’une conférence de presse à la fin de ce mois d’octobre une série d’étudiants moldaves ayant voulu bénéficier d’une telle expérience. Ces étudiants soutiennent en effet qu’ils sont plus de 200 à avoir été victimes d’une escroquerie: l’agence à laquelle ils se sont adressés, Global Business Consultanta, détenue par un certain Petru Jitaru, a été vendue. Du coup, ils ne sont jamais partis. Tatiana I. raconte au quotidien Timpul: «Quand j’ai vu que le terme de mon visa avait expiré et que je devais déjà être au Canada, je suis allée au siège de l’agence et on m’a dit que tout allait bien se passer. En juillet, j’ai appris que la firme avait changé de propriétaire et de siège. Là, à la place d’une administration, j’ai trouvé sur la porte une note d’autres jeunes qui avaient été escroqués. J’ai payé 2.000 euros. L’argent vient de mes parents qui l’ont emprunté et, jusqu’à maintenant, je ne leur ai même pas dit que cela sera probablement impossible de récupérer cet argent qu’ils m’avaient donné pour que j’aie un avenir». L’histoire que Leonid raconte à Adevarul est la même, et il rembourse maintenant un emprunt: «J’ai payé 3.000 euros et ils m’ont dit d’attendre. Personne ne m’a contacté (…)».

Face à cette escroquerie, les victimes ont fait appel à plusieurs instances de justice, mais sans obtenir aucune réponse: la police du secteur où se situe l’agence, le commissariat général, la procurature générale, et le Centre pour la lutte contre le crime économique et la corruption (CCCEC). Les étudiants ont néanmoins été entendus, il y a trois mois, par un conseiller du Premier ministre: «Nous avons appris avec stupeur que [le conseiller] connaissait Petru Jitaru, l’escroc. Il nous a dit qu’il allait essayer de nous aider à récupérer l’argent par une voie non-officielle, sans jugement, et quand nous lui avons demandé si Jitaru allait être puni, le conseilleur nous a dit que ce qui nous intéressait n’était pas le sort qui attendait le responsable mais que nous récupérions notre argent». Aujourd’hui, aucune mesure n’a été prise, et les victimes ont monté cette conférence de presse et promis d’organiser une manifestation devant le gouvernement.

Petru Jitaru, lui, est introuvable pour le moment. Après avoir signé les contrats des victimes et après avoir encaissé, selon elles, quelque 300.000 euros, il aurait vendu son agence pour 5.000 euros. Le nouveau propriétaire a ensuite voulu la revendre pour 200 euros après avoir eu affaire aux étudiants escroqués, mais sans succès. Pourtant, Petru Jitaru n’est pas un inconnu dans le domaine du Work and Travel. Il avait en effet déjà été le directeur d’une autre agence, CTD, qui avait perdu sa licence auprès de l’ambassade des États-Unis parce que certains étudiants envoyés n’étaient jamais rentrés. Cependant, à l’heure actuelle, aucune preuve suffisante contre Petru Jitaru n’a pu être trouvée par la police.

Par ailleurs, cette affaire n’est pas la première de ce genre en Moldavie. Il y a un peu plus d’un an, notamment, Dumitru Jioara, patron d’une autre agence, avait été retenu par la police après avoir trompé une quarantaine d’étudiants. Il promettait un job d’été aux États-Unis, pour un prix de départ défiant toute concurrence: 1.900 dollars. C’est ce qu’expliquait alors à l’hebdomadaire Ziarul de Garda, une étudiante de Cahul, dans le sud du pays, Valeria: «Il m’a montré un contrat qui contenait toutes les conditions. J’étais censée travailler comme femme de ménage dans un hôtel, je devais gagner 8 dollars par heure et travailler quarante heures par semaines. Je devais aussi avoir la possibilité d’obtenir un deuxième job. Selon mes calculs, je pouvais accumuler plus de 1.000 dollars par mois, une jolie somme pour nous.[1] (…) Mes parents étaient d’accord, mais il y avait un problème, l’argent. Mon père a emprunté 25.000 lei à un voisin[2], il est aussi allé demander au reste de la famille et a promis qu’il rendrait l’argent rapidement, parce que la firme avec laquelle je partais aux USA était sérieuse». Valeria a ensuite passé une interview à l’ambassade. «J’ai payé 700 dollars pour le visa et pour le billet. Au début, on m’avait dit que le billet et le visa coûterait 600 dollars, mais on nous a expliqué que, au dernier moment, cela avait augmenté. J’ai payé parce que je voyais déjà les gratte-ciel et je ne pensais pas que des escrocs pouvaient exister dans le milieu». Avant de partir, Valeria a encore versé 100 dollars en gage de son retour en Moldavie après l’été. Une fois sur place, en compagnie de trois autres étudiantes, «nous avons constaté que toutes les promesses au sujet d’un emploi rémunéré étaient des mensonges. Nous avons travaillé comme femmes de ménage pendant un mois, dans un hôtel de la ville de Destin en Floride. Le salaire était loin de celui mentionné dans le contrat. Notre patron n’était pas Américain, même si on nous l’avait promis, il était Ukrainien et gérait notre argent en décidant combien nous devions recevoir». Les étudiantes n’ont ensuite plus travaillé pendant deux mois, même si elles devaient payer leur logement toutes les semaines. Deux sont rentrées plus tôt, les autres sont restées.

[1] À titre de comparaison, en septembre 2011, le salaire mensuel moyen en Moldavie allait de 100 euros net dans l’agriculture à 400 dans les finances.
[2] Environ 1.500 euros.