´Roumanie: pays producteur d’armes cherche clients, mauvaises références acceptées´, Mihaela Iordache

Osservatorio Balcani e Caucaso/courrierdesbalkans

Roumanie: pays producteur d’armes cherche clients, mauvaises références acceptées

Traduit par Caroline Target
Publié dans la presse : 10 octobre 2011
Mise en ligne : jeudi 20 octobre 2011
 
Du temps de la Roumanie communiste, le florissant business de l’armement permettait de renflouer les caisses de l’État. Le secteur est aujourd’hui sinistré, mais la Roumanie tente de continuer à exister sur ce marché ultra-concurrentiel, où tous les coups sont permis. Bucarest serait ainsi devenu le principal fournisseur des narcotrafiquants mexicains, mais qui sont ses autres clients ?

Par Mihaela Iordache

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Le général Constantin Degeratu, ancien chef de l’état-major roumain, accusé de trafic d’armes

Du temps de Ceaușescu, la vente d’armes et des produits agricoles renflouaient les caisses - vides - de la Roumanie. Puis, à partir de 1990, les exportations se sont effondrées, mais le pays n’a toujours pas renoncé à l’idée de vendre des armes. Ses anciens généraux non plus. L’industrie roumaine de l’armement cherche désormais ses clients presque exclusivement à l’extérieur du pays, les commandes internes se raréfiant. Le pays, membre de l’Otan, doit faire face à d’importants engagements internationaux, et pourtant, il arrive à peine à investir une partie de son budget dans la modernisation de son armée.

C’est ce qu’expliquait récemment Viorel Manole, le directeur exécutif de Patromil, le syndicat des producteurs d’armes roumains, dans une interview à Bursa, journal de Bucarest. « Les producteurs roumains recherchent surtout des clients venant de l’Union européenne ou de l’Otan, car le ministère de la Défense n’a pas les ressources suffisantes pour acheter nos armes ».

Jusqu’à la chute du régime communiste, la Roumanie figurait parmi les dix premiers exportateurs d’armes au monde. Puis, dans les années 1990, la Roumanie a chuté à la 40e position de ce classement. Depuis lors, tout n’a fait qu’empirer : de moins en moins de commandes, de moins en moins d’emplois et le déclin de villes entières complètement dépendantes de ce secteur industriel.

Merci qui ? merci les États-Unis...

Selon Viorel Manole, l’industrie roumaine de l’armement conserve un certain potentiel, mais pour pouvoir agir sur le marché extérieur, l’industrie doit pouvoir compter sur un travail de lobbying et sur le soutien du gouvernement. Dans son interview à Bursa, il laissé paraître un soupçon de nostalgie en rappelant qu’à l’époque de Ceausescu, « les dettes de la Roumanie étaient entièrement payées par l’agriculture et l’armement ».

Ces dernières années, Bucarest a bien vendu des armes, des munitions et des produits stratégiques à des pays comme Israël, l’Égypte, l’Irak, les Émirats Arabes unis, la Jordanie, Oman, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde, la Géorgie, le Burkina Faso le Gabon ou l’Éthiopie. Et évidemment les États-Unis.

L’oncle Sam va donner un sacré coup de main à cette industrie avec la construction prochaine du très controversé bouclier antimissiles à Deveselu, dans le sud du pays (lire notre article « La Roumanie donne son feu vert à l’installation du bouclier antimissile américain »). Mais la Roumanie vend aussi aux États-Unis des dizaines de milliers de WASR-10, la version roumaine de l’AK-47 (ou Kalashnikov) ainsi que des fusils semi-automatiques. Rien qu’au dernier trimestre 2010, la Roumanie y a exporté 8.100 fusils semi-automatiques, 326 pistolets mitrailleurs et 10 mitrailleuses lourdes.

D’anciens généraux reconverti dans le business de l’armement

Certains anciens généraux de l’armée roumaine travaillent aujourd’hui comme conseillers dans le commerce des armes. C’est le cas, par exemple, de Constantin Degeratu, ancien conseiller du Président Băsescu et ancien chef de l’état-major.

En 2009, le général a renoncé à son rôle de consultant pour les problèmes de sécurité auprès du Président roumain pour offrir ses services à une firme de consultation MIC & Associés appartenant à un courtier roumain de New York. L’histoire s’est finalement vue publiée en première page de la presse roumaine, à la suite de documents révélés par Wikileaks. Le titre était alarmant : « Le général impliqué dans un trafic d’armes non autorisées ».

D’après un échange entre l’ambassade américaine à Bucarest et les États-Unis datant de 2010, une entreprise roumaine servait de représentant en Roumanie pour Raytheon, une agence américaine produisant et commercialisant des technologies militaires. Cette entreprise œuvrait sans l’autorisation du Département roumain pour le Contrôle des exportations (ANCEX).

Le courtier de New York, propriétaire de la MIC & Associés, s’est défendu en expliquant ne pas être au courant de la nécessité de cette autorisation spécifique. L’échange rendu public par Wikileaks cite directement Constantin Degeratu comme consultant de l’agence. La moindre des choses, peut-on lire dans la presse roumaine, aurait-été que le général signale cet oubli et guide l’agence sur la bonne procédure à suivre.

La Roumanie impliquée dans le trafic d’armes au Mexique ?

Cet événement s’ajoute aux divers scandales de ces dernières années et en particulier à ces affaires concernant le commerce d’armes, souvent louches, sinon illégales. Dans les années 1990 par exemple, la Roumanie a été fortement critiquée pour avoir exporté des armes dans les zones de conflit en Afrique. En février 2011, nouvelle piste, des journalistes d’investigation américains publiaient un article titré : « Des armes roumaines transformées aux États-Unis : un fléau dans la guerre contre la drogue au Mexique ».

Leur enquête révèle comment le fusil WASR-10 est devenu depuis 2006 l’arme la plus fréquemment utilisée pour les activités criminelles au nord du Mexique. Ces Kalashnikov roumaines sont importées pour un usage civil, notamment la chasse, mais il suffit de leur rajouter certains composants produits aux États-Unis pour qu’elles deviennent de véritables armes de guerre. À ces accusations, le ministre roumain des Affaires étrangères a répondu que toutes les exportations vers les États-Unis d’armes roumaines destinées au marché civil, dont les WASR-10 adaptés au sport et à la chasse, ont été faites par l’intermédiaire d’entreprises américaines autorisées.

Dans une entrevue accordée en 2001 au quotidien roumain Capital, Decebal Ilina, qui était alors secrétaire d’État à l’industrie militaire, expliquait comment « tout, dans le monde, est affaire d’intérêts », ajoutant que même entre amis, l’intérêt occupait la première place. Le général Ilina décrivait ensuite le marché de l’armement, dans lequel il y estimait qu’il y avait plus d’offre que de demande. Ainsi, « chaque pays cherche à adopter des mesures, plus ou moins honnêtes, ayant pour but d’éliminer ses concurrents ». Le général Ilina a été chef de la Direction du contrespionnage militaire (1992-1993) et aujourd’hui, comme bien d’autres généraux, il prospère dans le milieu de la sécurité et des techniques militaires.

Comment acheter des armes au meilleur prix ?

La Roumanie a également besoin d’acheter de l’armement. Parfois, le pays s’engage dans un contrat puis constate qu’il n’a pas les moyens de l’honorer. Il s’agit sûrement là d’un moyen de gagner du temps dans l’attente d’une meilleure offre. En mars 2010, le Conseil suprême pour la défense du pays a ainsi approuvé l’acquisition de 24 F16 américains d’occasion au prix de 1,3 milliard de dollars. L’autorisation de cette acquisition est finalement venue après une longue polémique, le Premier ministre Emil Boc affirmant que le gouvernement ne disposait pas d’une telle somme pour cet achat.

De retour de Washington, où il s’était rendu pour la signature de l’accord sur le bouclier antimissile signé par Hilary Clinton et son homologue roumain Teodor Baconschi, le Président Băsescu a en partie démenti les affirmations du Premier ministre. Dans plusieurs interviews accordées aux médias, il a déclaré que la Roumanie ne disposait effectivement pas des fonds pour l’achat de ces avions, mais que le pays avait réussi a obtenir un paiement échelonné à long terme. Ainsi, ces avions ne coûteront chaque année 2 ou 300 millions de dollars à l’État.

Il ne faut pas oublier que lors de son admission à l’Otan en 2004, la Roumanie a pris certains engagements, notamment en matière d’équipement et de modernisation de l’armée. Pour sa part, l’ambassadeur américain à Bucarest, Mark Gitenstein, a rebattu les cartes une nouvelle fois, déclarant qu’il y aurait un accord régional pour l’achat d’avions F16, neufs cette fois. Il y a quelques mois, des fonctionnaires bulgares ont annoncé une négociation en cours entre la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie et la Turquie pour un programme conjoint d’achat de F16. Les agences privées et les anciens généraux l’attendent impatiemment