´Géorgie: La loi sur le statut des religions est passée´, Sophie Tournon

Géorgie: La loi sur le statut des religions est passée

 

Par Sophie Tournon (Civil.ge, Radio Free Europe, Tabula), regard-est

Le Parlement géorgien a adopté une loi le 5 juillet permettant aux groupes religieux «historiquement liés à la Géorgie» et «reconnus comme tels par le Conseil de l’Europe» d’être officiellement reconnus comme personne juridique relevant du Code civil. Les différentes confessions de Géorgie pourront dès lors choisir d’être juridiquement une personne juridique privée ou publique. Ce statut juridique est une nouveauté pour des groupes religieux de Géorgie qui jusque-là ne pouvaient prétendre qu’au statut d’entités privées à but non lucratif, sans reconnaissance de leur rôle par les autorités officielles. Cette loi vient ainsi les mettre sur un quasi pied d’égalité avec l’Eglise orthodoxe géorgienne, privilégiée par le Concordat conclu en 2002 et par son «rôle historique» introduit dans la Constitution géorgienne.

Cette loi intervient peu après la visite, le 20 juin, du catholicos arménien Garéguine II à Tbilissi, auprès du patriarche géorgien Ilia II puis du président Mikhéil Saakachvili. Le catholicos avait obtenu l’accord du président pour que le statut de l’Eglise arménienne de Géorgie soit légalement reconnu, permettant à la communauté catholique arménienne une visibilité et une reconnaissance à l’égale de celle de leurs concitoyens géorgiens. Cette demande, acceptée par M. Saakachvili et qui fera l’objet d’une révision totale de la loi sur les groupes religieux du pays, a offensé le Patriarcat géorgien. Selon Ilia II, qui a défini le catholicos comme étant «encore jeune et inexpérimenté», une telle décision nécessite un débat public, un statut similaire de l’Eglise géorgienne en Arménie et une discussion sur le statut de l’Eglise géorgienne et de ses églises à l’étranger. Le patrimoine religieux géorgien en Arménie, Turquie et ailleurs est un sujet sensible, tant pour des raisons de restauration et de sauvetage culturel que de protection symbolique et politique de la présence de l’orthodoxie géorgienne à l’étranger.

Soutenue par le parti des Chrétiens-Démocrates, la demande du Patriarche d’ajourner ce projet de loi n’a pas été entendue des autorités, qui ont rapidement fait passer la loi. Cette dernière a élargi le projet initialement prévu pour l’Eglise arménienne afin d’inclure d’autres groupes religieux: les catholiques, les baptistes, les juifs et les musulmans. Cette décision, prise rapidement, sans consultation publique, au grand dam de l’Eglise géorgienne, a suscité des réactions tranchées dans la société. Des fondamentalistes réclament que l’Eglise orthodoxe géorgienne soit reconnue comme «religion officielle» et dénoncent le projet de l’Eglise arménienne de s’approprier des églises et des terres convoitées, aux origines débattues, ressuscitant un ancien débat souvent teinté d’arménophobie et de haine religieuse. D’autres, plus modérés, regrettent que le débat n’ait pas été tenu avec la population, qui risque de se braquer et de ne pas comprendre une telle décision: plusieurs partis de l’opposition ont ainsi invité le président à opposer son veto à la loi afin de respecter le jeu démocratique ainsi que le Patriarche. Mais le président Saakachvili a signé la loi le 6 juillet.

Beaucoup craignent que le pays ne soit divisé et qu’un conflit, jusque-là latent, n’éclate au grand jour entre le gouvernement libéral, partisan d’une politique sécularisant la société, et l’Eglise orthodoxe géorgienne, traditionnaliste. Cette loi a été accueillie avec bienveillance par l’ambassadeur américain, qui félicite la Géorgie pour cette preuve de «tolérance indispensable à la paix et à la démocratie». Cette déclaration en faveur de la loi sera certainement interprétée par les orthodoxes géorgiens comme la preuve des liens forts entre les autorités et les Etats-Unis, liens perçus comme fondamentalement mauvais pour la Géorgie, en «perte d’identité» depuis sa course à l’Europe et son choix du libéralisme capitaliste, selon les fondamentalistes et les nationalistes radicaux.