homofòbia moldava i integració europea

Moldavie: Les hésitations du projet de loi anti-discrimination

Par Julien DANERO IGLESIAS* et Louise BARSEGHIAN** 
Le 15/06/2011
regard-est

Le projet d’une loi anti-discrimination imposée par Bruxelles dans la perspective du rapprochement entre la Moldavie et lŽUnion européenne a soulevé un débat sur la place des minorités au sein de la société moldave et déclenché une polémique, axée principalement sur la question de lŽhomosexualité dans le pays.

 

 
«Moldova: pays homophobe», titrait une chaîne de télévision moldave le 17 mai dernier, journée mondiale de lutte contre lŽhomophobie, en commentant les résultats du classement annuel effectué par ILGA[1] visant la situation légale des minorités sexuelles en Europe: la Moldavie en occupe lŽavant-dernière position, à égalité avec le Belarus et juste devant l’Ukraine.

Ce classement fait écho à un débat omniprésent dans lŽactualité moldave depuis le début de lŽannée 2011: le 18 février, un projet de loi anti-discrimination a été approuvé par le gouvernement puis envoyé au Parlement mais, face à la polémique soulevée au sein de la société et de la classe politique, celui-ci a finalement été abandonné.

Si diverses associations se sont rassemblées pour démontrer que la Moldavie avait à tous égards besoin de cette loi (les catégories les plus discriminées du pays sont les enfants, les personnes âgées, les Roms et les séropositifs)[2], cŽest néanmoins la question de lŽorientation sexuelle qui est restée au centre des débats. Alors que lŽhomosexualité a été dépénalisée en 1995 avec lŽabrogation de l’article 106 du Code pénal soviétique, qui la définissait alors comme une relation «non-naturelle», le législateur moldave sŽest rarement penché sur cette question au cours des quinze dernières années, sauf quand il ne disposait dŽaucune alternative.

Légères «dissensions»

Tel quŽil fut initialement proposé, le projet de loi prévoyait «la prévention et la lutte contre la discrimination, l’assurance de l’égalité de chances ou de traitement de toutes les personnes (…) sans distinction de race, de couleur, de nationalité, d’origine ethnique, de langue, de religion ou de conviction religieuse, de sexe, d’âge, d’état de santé, de handicap, d’orientation sexuelle, d’opinion, d’appartenance politique, de possession, d’origine sociale, comme sur la base de tout autre critère similaire».

Après d’âpres discussions sur la place publique, le ministre moldave de la Justice, Alexandru Tanase, a retiré le projet de loi, motivant cette action par les «dissensions» qu’il avait créées dans la société, apparues principalement autour de la question de l’«orientation sexuelle». Le terme de «dissensions» semble pourtant bien faible: en effet, malgré lŽaction de GenderDoc-M[3] et le lobbying constant que l’association exerce depuis plusieurs années pour aboutir à une telle mesure, et en dépit de la mobilisation de mouvements tels que Hyde Park[4], les réactions observées lors de l’examen du projet de loi au Parlement ont été particulièrement violentes.

Dans un premier temps, plusieurs leaders politiques, communistes comme libéraux, ont déclaré qu’ils n’approuveraient pas la loi car une famille fondée conjointement par un père et une mère représente une valeur chrétienne millénaire essentielle au développement de la société.

De manière plus radicale, lŽéditorialiste Petru Bogatu[5] estime sur son blog quŽau-delà du fait que la Constitution moldave reconnaît déjà le droit à tous les citoyens dŽêtre légalement égaux, cette nouvelle loi confèrerait aux homosexuels un statut de normalité «inacceptable du point de vue moral». En effet, selon lui, «Les homosexuels doivent être traités comme des aveugles de naissance. Comme des personnes qui sont sorties du ventre de leur mère non avec 5 mais avec 8 orteils à un pied». Il considère en outre que si «le déficit de morale produit toujours la décadence», la démocratie moldave n’a pas besoin d’une maladie de jeunesse qui confond «la liberté et le libertinage». Parallèlement, les déclarations émanant des associations religieuses orthodoxes, qui sont peu à peu devenues les protectrices les plus bruyantes des «vraies» valeurs du pays, sont tout aussi fortes: Pro Familia et Moldova Crestina jugent ainsi cette loi immorale car elle encouragerait notamment la pédophilie[6].

Une mobilisation religieuse bruyante

De telles réactions ne sont pas exceptionnelles en Moldavie et, si les associations chrétiennes fondamentalistes restent minoritaires, elles exercent néanmoins un pouvoir de mobilisation non négligeable. On avait déjà pu lŽobserver en mai 2008 quand la Gay Pride moldave, pourtant autorisée par la Mairie de Chişinău, avait été annulée avant même de commencer, suite à lŽintervention musclée dŽactivistes orthodoxes qui avaient bloqué le bus des organisateurs et proféré des menaces à leur égard sous le regard passif de la police – censée protéger les manifestants.

Dans la veine tracée par le médecin américain Paul Cameron qui, à lŽinvitation dŽinstitutions chrétiennes orthodoxes avait, en octobre 2008, gratifié nombre dŽuniversités, agences de presse et autres médias moldaves dŽinterventions aux titres évocateurs tels que «LŽhomosexualité – un péché à lŽégard de Dieu et de lŽHomme», «Conséquences médicales et sociales de lŽhomosexualité», «LŽhomosexualité est une menace pour la Moldavie et non une question de droits civiques», le pasteur et juriste américain Scott Lively a joué un rôle dans la contestation actuelle. Lui qui avait, notamment, donné une conférence en Ouganda, prélude à l’adoption d’une loi par ce pays condamnant l’homosexualité à la peine de mort en 2009, a été invité, en mars dernier, à faire part aux Moldaves de sa position sur ce projet de loi: «Si on accepte une loi anti-discrimination, on met en fait le pouvoir légal dans les mains des activistes gays et on fait accepter aux gens les criminels homosexuels»[7].

La communauté LGBT nŽest toutefois pas lŽunique cible de lŽEglise orthodoxe et des fondamentalistes. Un autre exemple récent montre le poids de la mobilisation religieuse dans le pays: lŽinscription officielle, en mars 2011, d’une organisation islamique au Registre d’Etat des organisations non-commerciales a provoqué une levée de boucliers. Tandis que le président de l’Association Pro Ortodoxia déclarait que la reconnaissance moldave de l’Islam faisait du pays une «poubelle religieuse», un prêtre de l’Eglise orthodoxe de Moldavie affirmait: «Hier, nous avons enregistré les homosexuels, demain, les Musulmans, après les Témoins de Jéhovah, et ainsi de suite…»[8].

Indépendamment des associations chrétiennes les plus extrêmes, lŽEglise orthodoxe semble ainsi résolue à sŽimmiscer dans l’activité légale des institutions de la république et asseoir son influence sur lŽensemble de la population moldave. D’autres exemples récents peuvent en effet être cités: une action en justice aboutissant à l’interdiction d’un film sur les minorités sexuelles, initialement programmé sur la chaîne de télévision nationale; l’interdiction d’un livre intitulé Le Sexe raconté aux petits; l’introduction dans les écoles dŽun cours de religion où seule l’orthodoxie est enseignée...

Une loi pourtant incontournable

Il serait pourtant exagéré de donner à l’Eglise lŽentière responsabilité du retrait de la loi. Si ses réactions sont ouvertement radicales, on peut également supposer que, dans la mesure où l’homosexualité reste un sujet tabou et mal accepté dans une Moldavie majoritairement rurale et orthodoxe, certains hommes politiques pourraient également sŽinquiéter de perdre leur capital électoral en soutenant ce projet de loi et en apparaissant eux-mêmes, aux yeux d’une partie de l’opinion publique, comme «amis des homosexuels», voire comme homosexuels[9].

Les leaders politiques moldaves montrent en effet une réticence certaine à adopter une loi aussi marquée. En mai 2008, Marian Lupu, aujourd’hui Président par intérim, avait déclaré dans une université du pays que, pour la majorité des élites gouvernantes, «les manifestations publiques des homosexuels sont impossibles en Moldavie. (...) Si Bruxelles dit que l’une des conditions [d’un rapprochement] est d’institutionnaliser ou dŽadopter une loi sur les parades des minorités sexuelles, cela ne signifie pas que nous le ferons».

Pour le président du Comité Helsinki en Moldova, Teodor Cîrnaţ, l’enjeu est effectivement électoral et le retrait s’explique par la proximité des élections locales des 5 et 19 juin. Dès lors, le projet de loi reviendra probablement sur l’agenda à une période moins décisive pour l’image des hommes politiques. Cette opinion est partagée par Maxim Anmeghichean, co-fondateur de GenderDoc-M et aujourdŽhui Directeur des programmes dŽILGA-Europe, qui considère que la lutte pour la reconnaissance des droits des personnes LGBT a déjà connu des avancées considérables compte tenu du contexte dans lequel elle a été amorcée il y a quinze ans. Ce dernier juge par ailleurs que les dirigeants moldaves nŽauront dŽautre choix que de soutenir ce mouvement dans la perspective dŽun rapprochement avec lŽUnion européenne[10].

En effet, le gouvernement moldave, formé d’une coalition qui affiche le nom dŽAlliance pour l’Intégration européenne, est tenu à ses promesses envers l’Union, et la loi anti-discrimination, même si elle fait polémique, en fait partie. Déjà en 1995, la dépénalisation de l’homosexualité avait été favorisée par des pressions similaires dans le cadre de lŽadhésion de la Moldavie au Conseil de l’Europe. Aujourd’hui, la loi anti-discrimination relève d’un ensemble de normes que le pays devra adopter afin de permettre lŽétablissement dŽun régime de visa plus souple avec l’Union européenne, projet plébiscité par la population.

Pour Antoniţa Fonari, secrétaire générale des ONG de Moldavie, l’Union européenne insiste sur cette loi afin dŽéviter que certains Moldaves ne demandent massivement l’asile politique: «L’Union européenne nŽacceptera pour rien au monde qu’une catégorie discriminée en Moldavie soit omise [de la loi] car, dès lors, les personnes concernées demanderont l’asile politique et auront raison de le faire. Je vais alors me déclarer rome, baptiste et homosexuelle et je vais demander l’asile la première. Je vous le promets». Interrogé à ce sujet, le Premier ministre Vlad Filat ne sŽen est pas caché: lŽadoption de cette loi «ressort des engagements pris par la République de Moldavie face aux partenaires européens». Le contenu sera donc identique, à «quelques précisions» près, et ce malgré des oppositions fermes.

Suite à ce débat, plusieurs personnalités publiques ont commencé à afficher leur soutien au vote de la loi et, par extension, à la cause LGBT. La chaîne de télévision Publika nŽa pas hésité à se joindre au mouvement, à organiser des débats et à mettre à la disposition des passants, en plein centre-ville, un tableau intitulé «Dis ce que tu penses» afin de les encourager à exprimer leur opinion sur ce sujet en marge de la manifestation menée par GenderDoc-M et Hyde Park, le 17 mai 2011.

Les activistes favorables au mouvement LGBT sont optimistes: certes l’évolution globale des mentalités au sein de la société prendra encore du temps, mais les autorités moldaves devraient progressivement se montrer plus tolérantes à l’égard des minorités sexuelles, en façade du moins. Dans les grandes villes du pays, les différentes actions de sensibilisation, la mobilité des jeunes moldaves, la généralisation de lŽusage dŽInternet et lŽouverture à la culture européenne contemporaine participent déjà activement de ce mouvement qui pourrait s’étendre au cours des prochaines années.

Notes:
[1] International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans & Intersex Association.
[2] Diana Răileanu, «Victimele discriminării» (Les victimes de la discrimination), Europa Liberă, 26 mai 2011.
[3] Association de défense des droits des minorités sexuelles (LGBT) en Moldavie, fondée en 1999.
[4] Association non gouvernementale de défense de la liberté dŽexpression en Moldavie, fondée en 2003.
[5] Editorialiste (Jurnal de Chisinau, Vocea Basarabiei, blog personnel), vice-Président du Front Populaire moldave de 1990 à 1992.
[6] «Societatea civilă divizată prin argumente pro şi contra» (La société civile divisée entre les arguments pour et contre), Info Prim-Neo, 23 mars 2011, disponible sur le site d’informations www.azi.md.
[7] Scott Lively, in M.Ticudean, «Pastorul Scott Lively şi-a expus şi în Moldova teoriile care sunt total opuse ştiinţei medicale» (Le Pasteur Scott Lively a également exposé en Moldavie ses théories, totalement opposées à la science médicale), Europa Liberă, 14 mars 2011.
[8] «Creştinii ortodocşi protestează împotriva legalizării islamului în Republica Moldova» (Les chrétiens orthodoxes protestent contre la légalisation de l’Islam en République de Moldavie), Info Prim-Neo, 18 mai 2011, disponible sur le site d’informations www.azi.md.
[9] V.Cojocari, «Frica politicienilor moldoveni de a fi… consideraţi gay» (La peur des politiciens moldaves d’être… considérés gays), 30 mai 2011, blog personnel: www.cojocari.ro.
[10] Entretien avec Maxim Anmeghichean, Directeur des programmes dŽILGA-Europe, Paris, 1er juin 2011.

Photo vignette: Manifestation anti-gay à Chisinau (2008). Les slogans sont les suivants: «Non à l’immoralité, oui à la famille», «Protégez les familles saines», «Ne faites pas une vertu d’un péché», «Maman (femme) + Papa (homme)». © Louise Barseghian.

* Assistant en Sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, chercheur au CEVIPOL.
** Chargée de Projets culturels.