FEMEN, acció política a pit(s) descobert(s)

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Féminisme dévêtu en Ukraine

Par André Kapsas*
Le 15/06/2011
regard-est

Par ses actions osées et colorées, le mouvement féministe FEMEN fait régulièrement parler de lui dans la presse nationale et internationale. Les activistes de FEMEN manifestent seins à l´air pour attirer l´attention sur des enjeux socio-politiques aussi variés que la lutte contre la prostitution ou la censure sur Internet. Si les corps dénudés de jeunes filles assurent la médiatisation du mouvement, ils font aussi grincer les dents, à commencer par celles des féministes.

 

Malgré les promesses de la révolution d´Octobre et soixante-dix ans de communisme, les femmes d´Union soviétique n´ont jamais été les égales des hommes. Au contraire, des obligations professionnelles se sont tout simplement ajoutées aux tâches ménagères. La révolution féministe qui a changé les sociétés occidentales n´a jamais eu lieu à l´Est. La femme est restée l´épouse, la mère et la ménagère. Depuis la chute de l´empire soviétique, leur situation ne s´est pas améliorée, loin de là. La ruine économique des années 1990 et la pauvreté persistante ont fait des femmes une population particulièrement fragile dans l´Ukraine contemporaine.

Une société patriarcale

Les études montrent que les femmes célibataires ou divorcées ainsi que les mères seules sont particulièrement affectées par la pauvreté. Dans la mesure où les Ukrainiennes ne gagnent en moyenne que 71,9% du salaire masculin, la vie sans homme peut effectivement être dure[1]. Les impératifs économiques peuvent pousser des jeunes filles à vouloir «bien se marier», voire à tenter de trouver un homme aisé. La recherche d´une meilleure situation économique pousse aussi des Ukrainiennes vers les agences matrimoniales leur proposant un riche Occidental, ou bien vers la prostitution, en Ukraine comme ailleurs.


Dans la sphère politique comme économique, bien peu de femmes occupent le devant de la scène. Certaines, comme Ioulia Timochenko, femme d´affaires accomplie et ex-Première ministre, ont bien entendu atteint les échelons supérieurs, mais ces exemples sont rares. En termes de présence féminine au Parlement, l´Ukraine fait ainsi bien pâle figure, avec un maigre 8% de députées qui lui confère le 112e rang mondial[2]. Le Premier ministre, Mykola Azarov, a d´ailleurs récemment défendu la nomination d´un cabinet entièrement composé d´hommes en déclarant que mener des réformes n´était pas une affaire de femmes. Leur position à la tête des grandes entreprises est aussi modeste puisqu´elles ne représentent que 12% des dirigeants des grandes entreprises et 2% des dirigeants d´industrie[3].


FEMEN: féministe et nationaliste

C´est en réaction au statut de la femme en Ukraine que FEMEN est né en 2008. Le principal objet du combat du mouvement est la prostitution. Depuis 2005, les Occidentaux n´ont plus besoin de visa pour venir en Ukraine et le pays est devenu une importante destination de tourisme sexuel. Les membres de FEMEN dénoncent cette transformation de l´Ukraine en un «gigantesque bordel». Elles en ont assez d´être vues comme des prostituées par des étrangers dans les rues de Kiev ou perçues comme telles à l´étranger. Selon une étude, 70% des étudiantes kieviennes se seraient déjà vues proposer de l’argent par des touristes contre services sexuels[4]. Alors que l´Ukraine est sur le point d´accueillir le Championnat européen de football de 2012 conjointement avec la Pologne, les activistes de FEMEN craignent que cela ne provoque un boom de l´industrie du sexe. Leur but est de faire voter une loi qui permettrait de poursuivre les clients, comme c´est le cas dans certains pays européens. Jusqu´à présent, le projet n´a pas reçu le soutien de politiciens et il y a peu de chance qu´il débouche sur un projet de loi. Dans tous les cas, le thème de la prostitution est de plus en plus débattu en Ukraine.

FEMEN utilise volontiers la carte nationaliste dans ses symboles et ses actions. Son logo lui-même arbore les couleurs nationales et les manifestantes portent souvent la Vinok, la couronne de fleurs traditionnelle. Leur but n´est pas seulement de faire respecter les femmes, mais aussi de redonner à l´Ukraine une certaine dignité et, surtout, combattre l´image d´un pays pauvre aux femmes faciles. Sous la bannière «L´Ukraine n´est pas un bordel», les activistes de FEMEN ont récemment mené une véritable croisade contre une radio néo-zélandaise qui avait organisé un concours proposant un voyage en Ukraine pour «gagner une épouse». FEMEN s´est insurgée et a mené une campagne si virulente que le gagnant a préféré renoncer à son prix. Les activistes avaient notamment diffusé des posters sur lesquels une jeune femme aux seins nus tient une paire de testicules coupées dans une main et une faucille dégoulinant de sang dans l´autre. La fière amazone ukrainienne, couronnée d´une Vinok, est entourée d´un champ de blé, autre symbole national.


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FEMEN proteste aussi fréquemment contre la politique de la Russie à l’égard de l’Ukraine. En octobre 2010, les activistes du mouvement ont manifesté contre la visite du Premier ministre russe, Vladimir Poutine, aux cris de «Tu ne nous baiseras pas!».

L´action avant tout

«Je suis venue, je me suis déshabillée et j´ai vaincu», tel est le slogan de ce groupe d´activistes qui n´ont pas froid aux yeux. Le noyau de FEMEN est composé d´étudiantes de Kiev qui ont commencé à se déshabiller pour enfin faire passer leur message. Dans une société où le corps de la femme est utilisé à toutes les sauces pour vendre, FEMEN a décidé d´utiliser les attraits féminins comme armes. Une activiste, Inna Chevtchenko, raconte: «Au début, nous ne manifestions pas seins nus, mais nous avons réalisé que nous devions faire quelque chose de radical»[5]. De fait, les poitrines désormais exhibées des jeunes filles ne manquent jamais d´attirer l´attention des médias et le mouvement est même connu au-delà des frontières.


Régulièrement, elles se rassemblent et se déshabillent en brandissant des pancartes et en criant des slogans devant une foule de photographes. Parfois, elles organisent aussi des actions d´éclat, interrompant une émission télévisée en direct ou un événement officiel. En février 2010, elles ont ainsi fait irruption dans le bureau où le candidat à la présidentielle et futur Président Viktor Ianoukovitch votait, afin de protester contre le «viol de la démocratie». En mai 2011, elles ont aussi utilisé leurs corps afin de former des catapultes humaines et canarder de peinture le portrait du dictateur bélarussien Aliaksandar Loukachenka au beau milieu de la Place de l´Indépendance, à Kiev. Une baignade publique dans une fontaine de cette même place a aussi servi à protester contre le manque d´eau courante en Ukraine, tandis que des photos de filles urinant en pleine ville ont visé à réclamer plus de toilettes publiques. Si leurs actions visent surtout des enjeux ukrainiens, les activistes de FEMEN manifestent aussi un intérêt pour les droits des femmes à travers le monde, par exemple en protestant contre la lapidation de l´Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani.

Critiques et menaces

Le mouvement rassemblerait une quarantaine de filles prêtes à se déshabiller pour la cause, ainsi que 300 activistes. Presque toutes ont une vingtaine d’années. Leur engagement ou, plutôt, la forme de leur engagement, a fait couler beaucoup d´encre en Ukraine. En effet, c´est surtout l´utilisation de la nudité en public qui dérange. Beaucoup voient comme une contradiction que des filles dévêtues protestent contre la prostitution ou l´utilisation du corps de la femme à des fins commerciales. Ils trouvent que FEMEN nuit à son propre message en lui donnant une forme vulgaire. En novembre 2010, les organisateurs d’une manifestation de petits et moyens entrepreneurs ont même expulsé de leurs rangs des activistes de FEMEN, refusant qu´elles les soutiennent de cette façon.

Chez les féministes aussi, FEMEN est loin de faire l´unanimité. Leurs techniques sont considérées comme contraires aux idéaux du féminisme. En fait, le mouvementne se reconnaît pas comme féministe. Selon la fondatrice du mouvement, Anna Hutsol, les activistes de FEMEN ne sont pas féministes au sens traditionnel du terme, car elles utilisent l´érotisme dans leur approche et leur habillement. Leur but est d´être intéressantes et attirantes pour les femmes ukrainiennes modernes. Pour elles, s´habiller d´une manière sexy n´a rien à voir avec une quelconque soumission ou bien un manque de respect des droits de la femme. A.Hutsol déclare: «Regardez, cela fait partie de notre culture. Se donner délibérément une allure déplaisante, en Ukraine, c´est se consigner à la marginalité. Ce n´est pas ce que nous voulons»[6]. I.Chevtchenko en rajoute:«Nous ne voulons pas être des féministes traditionnelles... Les organisations et les groupes de femmes ici ne font qu´écrire des essais et rien d´autre. Nous avons besoin d´activistes qui vont crier et laisser leurs vêtements dans la rue».

Victime de son succès, FEMEN a commencé à intéresser les forces de l´ordre ukrainiennes. Leurs fréquentes critiques de l´érosion de la démocratie sous la présidence de Viktor Ianoukovitch dérangent manifestement. Et elles en font les frais. En juin 2010, des agents des services spéciaux se sont présentés nuitamment chez A.Hutsol, l´ont emmenée de force dans une voiture et ont menacé de lui casser les jambes et les bras[7]. Plusieurs étudiantes engagées ont aussi été interrogées par ces mêmes services. Ils s´intéressaient aux sources de financement et à la structure du mouvement. Celles qui manifestent finissent, quant à elles, le plus souvent au commissariat pour nudité sur la place publique.

Les commentaires sur leur site Internet et ailleurs montrent que leurs actions suscitent autant l´intérêt de sympathisants que de mâles aguichés par ces jolies filles. Il est difficile d´estimer à quel point le mouvement FEMEN contribue à faire avancer la cause des femmes en Ukraine et à quel point leurs actions sont soutenues par le public. Ce qui est sûr, cependant, c´est que FEMEN est la référence du féminisme en Ukraine aujourd´hui. Tetyana Bureychak, experte dans l´étude du féminisme, rapporte ainsi qu´au début de l´un de ses cours, ses étudiants ont cité FEMEN parmi les premiers mots leur venant à l´esprit pour évoquer le féminisme[8].

Notes:
[1] «Facts and Figures on Gender Equality Ukraine», International Labour Organization.
[2] «Les femmes dans les parlements nationaux», Union interparlementaire.
[3] «Gender inequality poses a human development problem, experts say», United Nations Development Programme, 6 novembre 2008.
[4] Benjamin Bidder, «Das ganze Land ist ein Bordell», Der Spiegel, 3 mai 2011.
[5] Homa Khaleeli, «The nude radicals: feminism Ukrainian style», The Guardian, 15 avril 2011.
[6] Natalia Antonova, «FEMEN’s Anna Gutsol on sex tourism and short skirts in Ukraine», Global Comment, 11 septembre 2009.
[7] «SBU – korporativnoe pokryvatelstvo ili professionalnaïa impotentsia Horochkovskogo», Live Journal de Femen, 10 août 2010.
[8] Homa Khaleeli, «The nude radicals: feminism Ukrainian style», op.cit.

*Licencié en histoire de l’Europe centrale et orientale (Québec).

Photo vignette: © www.femen.org