´Moindre intérêt de Pékin pour le gaz et le pétrole russes?´, Céline Bayou

Russie : Moindre intérêt de Pékin pour le gaz et le pétrole russes?

 

Par Céline Bayou (source: Kommersant)
15-VI-11, regard-est

Cette semaine, la Russie et la Chine devraient signer l’accord portant création de gazoducs reliant les deux pays, mise en œuvre de l’alliance tant attendue –depuis dix ans- entre Gazprom et CNPC. Mais, pendant que Moscou réfléchissait au bien-fondé d’un tel projet, qui risquait d’accroître la dépendance, tellement crainte, de la Russie face à la Chine (accord qui, accessoirement, effrayait également l’Union européenne, qui y voyait une menace de détournements de flux de gaz à ses dépens), Pékin semble bien avoir trouvé d’autres solutions aptes à satisfaire ses besoins. Et ce que Moscou craignait risque d’arriver: il se pourrait que ce soit la Chine qui dicte ses conditions.

L’accord devrait être signé le 16 juin au Kremlin entre Dmitri Medvedev et son homologue chinois Hu Jintao, ou le lendemain dans le cadre du Forum économique de Saint-Pétersbourg. Les négociations achoppent depuis le début du mois entre les deux compagnies sur la question du prix du gaz, situation désormais jugée classique dans la relation énergétique russo-chinoise.

La Chine, qui enregistre une croissance moyenne de son PIB d’environ 10,5% par an depuis une vingtaine d’années, est de plus en plus gourmande en produits énergétiques et cherche à diversifier ses approvisionnements. Pour le moment, la quasi-totalité de ses importations énergétiques sont satisfaites par les pays du Moyen Orient et d’Afrique. De son côté, la Russie s’efforce elle aussi de diversifier l’orientation de ses exportations (pour le moment, plus de 80% de ses ventes de produits énergétiques vont vers l’Europe). Les deux pays ont donc des intérêts communs en la matière. Des projets de constructions de gazoducs et d’oléoducs sont donc en discussion depuis la fin des années 1980 mais ont pris de la substance à partir des années 2000, sous l’effet de la hausse du prix mondial du baril de pétrole. Pékin a alors entamé des négociations avec Yukos et Gazprom. Du côté russe, ces pourparlers sont toutefois largement suspendus à l’état des relations avec les clients européens. Les autorités russes accourent à Pékin à chaque crise du gaz avec l’Ukraine ou le Bélarus mais manifestent une méfiance de principe à l’égard du partenaire chinois. Cette politique n’est pas sans effet sur l’Union européenne, qui accepte de signer des accords de long terme avec la Russie dès que celle-ci semble se rapprocher un peu trop de la Chine… Dès lors, l’intérêt de Moscou pour Pékin s’affaiblit, d’autant que la Chine n’est pas disposée à payer le prix européen et souhaiterait lier le prix du gaz à celui du charbon.

Lasse du comportement versatile de son partenaire russe, la Chine s’est efforcée de trouver d’autres fournisseurs. Elle a par exemple signé un accord avec le Kazakhstan, qui a permis dès 2006 d’inaugurer un nouvel oléoduc. En 2009, elle a accordé un crédit de 10 milliards de dollars à Astana, ce qui a permis en échange à CNPC d’accéder au capital de la principale entreprise énergétique kazakhstanaise. Simultanément, de nouveaux contrats ont été conclus avec des pays du Moyen Orient, d’Afrique et d’Amérique latine. En 2006, la Chine a également signé un accord pour la construction d’un oléoduc Turkménistan-Ouzbékistan-Kazakhstan-Chine, qui a commencé à acheminer du gaz sur 1.800 km dès 2009 et devrait voir sa capacité annuelle augmenter…

Désormais, l’intérêt que porte Pékin à la Russie s’est amoindri. Gazprom n’a sans doute plus les moyens d’agir sur les prix et les experts chinois jugent que la seule opportunité pour le monopole russe pourrait naître du désir de Pékin d’accroître la part du gaz dans son mix énergétique, suite à l’accident de Fukushima.