ŽCentrafrique: Les élections de lŽinstabilitéŽ, Thierry Vircoulon

Centrafrique: Les élections de lŽinstabilité

Thierry Vircoulon, allAfrica.com  |   19 Mar 2011

 

Le processus électoral hors délai constitutionnel qui se déroule depuis le 23 janvier en Centrafrique nŽest pas seulement une nouvelle opportunité manquée pour la démocratisation du pays mais cŽest aussi un risque sérieux pour la paix. La crédibilité de ces élections qui ont abouti à une victoire confortable du parti au pouvoir (le KNK) et à une déroute suspecte de lŽopposition, est en effet sérieusement écornée.

Le président Bozizé a été réélu au premier tour avec 64% des suffrages et la majorité des voix dans 14 des 16 préfectures du pays. 26 des 35 députés élus au premier tour appartiennent à son parti. Lui-même (en contradiction avec lŽarticle 23 de la constitution) et plusieurs membres de sa famille (son épouse, son frère aîné, deux de ses enfants et son neveu, le colonel Sylvain Ndoutingai) font partie de ces 26 heureux élus. LŽopposition est, à lŽinverse, en déroute totale : hormis Martin Ziguélé, ses ténors sont exclus du second tour des législatives, un seul député de lŽopposition est élu au premier tour et le principal concurrent du président, Ange-Félix Patassé, arrive loin derrière lui avec 21% des suffrages. Si initialement les scrutins du 23 janvier ont ressemblé à un bricolage électoral, ils nŽont pas résisté à un examen détaillé par les experts électoraux étrangers.

Outre dŽinnombrables irrégularités qui auraient dû conduire à lŽannulation pure et simple du scrutin (non-affichage des listes électorales dans les délais réglementaires, localisation des bureaux de vote dans des lieux non neutres politiquement, nombre très élevé de votes par dérogation, refus de communication des procès-verbaux, multiplicité des modèles de cartes dŽélecteurs, etc.), ces élections ont été caractérisées par lŽusage des fonds de lŽEtat pour la campagne du parti au pouvoir, par de multiples pressions de candidats du KNK, par des violations du code électoral par la commission du même nom et, in fine, par la fraude. Le coup de grâce a été la découverte que la commission électorale nŽavait pas comptabilisé 1 262 bureaux de vote sur les 4 618 existants, soit environ 27% des suffrages. Le principal financeur du processus électoral, lŽUnion européenne, sŽest rendu compte que les élections étaient sujettes à caution au regard des normes internationales tandis que lŽOrganisation Internationale de la Francophonie notait des « insuffisances et des irrégularités ».

Au lieu de répondre preuves à lŽappui aux accusations de fraude et de gérer le contentieux électoral de manière impartiale, le pouvoir a réagi par des mesures dŽintimidation postélectorale et les plaignants ont été déboutés par les juridictions compétentes. Certains ténors de lŽopposition se sont vus aussi interdire de sortir du territoire centrafricain après le scrutin.

Non seulement le président Bozizé a su éviter le stress dŽun second tour mais il est aussi parvenu à évincer de lŽarène parlementaire les principaux dirigeants de lŽopposition. Bien que peu dérangeante pendant les cinq ans du mandat du président Bozizé, lŽopposition démocratique devrait être définitivement mise hors jeu pour le second mandat.

Unie dans la défaite ou presque, lŽopposition a démissionné en bloc de la commission électorale et boycotte le second tour des législatives qui doit se tenir le 27 mars. Le porte-parole du Collectif des forces de changement (la coalition de lŽopposition) a confirmé le retrait des candidats de lŽopposition et même lŽun des partis membres de la coalition présidentielle – le Parti Social Démocrate – a retiré ses candidats. A moins que les négociations de dernière minute conduites par le médiateur de la République nŽaboutissent, la Centrafrique se réveillera le 28 mars avec un parlement surdominé par le KNK et une opposition exclue des institutions.

Ce scénario est dangereux. En effet, lŽopposition démocratique, déjà très faible en Centrafrique, risque de le devenir davantage : en ne laissant quŽune place symbolique à lŽopposition parlementaire, le pouvoir signifie aux opposants que la lutte armée est la seule méthode dŽalternance. Et ce alors que le territoire centrafricain est loin dŽêtre pacifié : le programme de démobilisation, désarmement et réinsertion des groupes armés fait du surplace et nŽa donc pas permis de régler la question de lŽArmée populaire pour la restauration de la démocratie qui contrôle deux zones dans le nord-ouest du pays ; de récents accrochages entre un autre mouvement rebelle, la Convention des patriotes pour la justice et la paix, et lŽarmée ont eu lieu dans lŽest du pays après le vote du 23 janvier. La résurrection des rébellions consécutive à une monopolisation du pouvoir par le président Bozizé et son parti est suffisamment prise au sérieux pour que la France et les Nations unies tirent la sonnette dŽalarme.

LŽappel habituel des observateurs internationaux à « recourir aux voies de droit » pour contester le résultat des élections nŽa, bien sûr, pas de sens dans un pays où lŽindépendance de la justice est une abstraction juridique. Au lieu de miser sur un juridisme de façade, il est urgent de sauver ce qui peut encore lŽêtre du processus électoral, cŽest-à-dire le second tour des législatives.

Pour revenir dans le jeu électoral, lŽopposition a besoin dŽassurances sur la sincérité et la transparence du second tour. A cette fin, la commission électorale devrait sŽengager à respecter le code électoral en publiant les listes électorales au moins 48h avant le scrutin, porter à cinq le nombre des membres des bureaux de vote et autoriser les membres de lŽopposition à assister à toutes les opérations de dépouillement et de centralisation des résultats. CŽest la dernière chance pour sauver la crédibilité du processus électoral centrafricain. Après le second tour, quel que soit son résultat, le gouvernement serait bien inspiré de mener une politique dŽouverture à lŽégard des principales formations dŽopposition. En Centrafrique comme au Burundi et en Côte dŽIvoire, la marginalisation de lŽopposition est lŽantichambre des troubles postélectoraux.

Thierry Vircoulon, Crisis GroupŽs  Central Africa Project Director

allAfrica.com

1-IV-11, crisisgroup