´Islande - UE: le divorce avant le mariage?´, Marine Thizon

- Octobre 2008 : Lourdement touchée par la crise, l’Islande fait face à la faillite de son système bancaire et financier.
- 2 février 2009 : Nouveau gouvernement investi par Johanna Sigurdardottir, leader sociale-démocrate.
- 17 juillet 2009 : L’Islande dépose sa candidature à l’entrée dans l’UE.
- 27 juillet 2009 : Le Conseil des ministres des affaires étrangères de l’UE reconnaît sa demande d’adhésion et charge la Commission européenne de l’étudier. C’est la première étape du processus d’adhésion.
- Mars 2010 : 93,2% des Islandais répondent non au référendum portant sur le remboursement de la dette dans l’affaire Icesave.
- 17 juin 2010 : L’Islande est reconnue comme candidat officiel.
- 24 février 2010 : Validation de la candidature de l’Islande et publication du rapport de la Commission européenne.

Tel un plaidoyer exhortant les maux islandais, le volcan Eyjafjallajökull rugit en avril 2010, déversant un nuage toxique sur l’Union européenne et révélant ses insuffisances en matière de gestion du trafic aérien. Oserions-nous interpréter cette éruption volcanique comme l’allégorie des tensions présentes dans le processus d’adhésion ?

Diptyque d’une saga insulaire

Octobre 2008, une crise mondiale engendre la faillite du système financier islandais. Fortement attachée, dans le passé, à son indépendance jeune de 57 années, l’Islande n’envisageait pas d’intégrer la grande famille européenne. Dans le dénuement, elle révise son jugement et dépose sa candidature à l’entrée dans l’UE en juillet 2009.

2010 est marquée par des discordes dans le couple Islande / UE. Au delà d’une opinion publique peu favorable à l’adhésion, l’Islande entre en conflit avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas au sujet de la banque Icesave et apparaît réticente à un partage de son trésor halieutique. Loin d’être un cri du cœur, le spectre de l’adhésion à l’UE semble être une porte de sortie estimable bien plus qu’un podium d’honneur. Cela laisse t-il présager pour autant d’un divorce avant le mariage ?

 

JPEG - 37.7 ko
Le 9 septembre 2009, Oli Rehn, alors commissaire en charge de l’élargissement, remet le questionnaire relatif au dossier d’adhésion à la ministre islandaise des affaires étrangères, Johanna Sigurdardottir.

Source : ministère des affaires étrangères islandais

L’affaire Icesave

Touché de plein fouet par la crise en 2008, le cours de la Couronne islandaise chute de moitié, tandis que le marché immobilier est au plus mal lorsque les trois banques islandaises (Glitnir, Kaupþing et Landsbanki dont Icesave est la banque en ligne), nationalisées dans l’urgence, font faillite. Autant d’embûches dans la success story islandaise qui s’ajoutent aux troubles nés de l’affaire Icesave.

Victimes de la faillite de cette banque en ligne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas demandent réparations. En mars 2010, le président islandais Ólafur Ragnar Grímsson décrète la tenue d’un référendum sur le remboursement de la dette. Les Islandais s’y opposent par référendum à 93,2%. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Européenne d’Investissement (BEI) gèlent les crédits islandais en attendant le règlement du conflit. Cerise sur le gâteau, Gordon Brown fait jouer la législation anti-terroriste pour saisir des actifs islandais. La Commission européenne navigue à vue dans ce miasme diplomatique et tente de limiter les effets d’amalgame susceptible d’entacher le processus d’adhésion.

 

PNG - 34.1 ko
Le logo officiel de la candidature islandaise à l’Union Européenne

Le trésor halieutique islandais

750km² d’océan en jouissance exclusive, c’est le trésor envié aux Islandais, richesse qu’ils sont prêts à défendre bec et ongles. La pêche représente notamment 60% des revenus à l’exportation du pays. Or, intégrer l’UE nécessiterait des ajustements afin de mettre en conformité la loi islandaise avec la réglementation européenne, tels que les quotas de pêche. L’UE menace d’ailleurs d’interdire les importations de maquereaux islandais car les quotas fixés unilatéralement par le gouvernement en 2011 (147 000 tonnes) dépassent de beaucoup les limites imposées par l’UE dans le cadre de l’Espace Economique Européen (EEE). Dans cette affaire, Jón Bjarnason, Ministre islandais de la pêche, fermement opposé à l’adhésion à l’UE, est subrepticement accusé de jouer la carte de la provocation dans le but de court-circuiter les négociations.

Qui dit quota de pêche dit aussi espèces. Juin 2010, la commission baleinière internationale planche notamment sur le cas de l’Islande. Hors la loi selon la législation européenne, l’Islande défend une tradition de chasse commerciale (quota de 150 nageoires de baleines pour la période 2009-2013). Cette posture pro active en matière de chasse baleinière risque de malmener les sensibilités environnementales européennes.

Opinions publiques et forces politiques

L’opinion publique islandaise n’a globalement jamais été en faveur d’une adhésion à l’UE, susceptible de dissoudre sa communauté de 320 000 habitants dans un ensemble de 400 millions d’Européens. La crise semble néanmoins aviver une certaine ferveur européenne car en février 2008, 60% des personnes interrogées se prononcent en faveur d’une candidature islandaise. Le volte-face est de courte durée puisqu’en mars 2010, 60% des Islandais interrogés s’expriment contre une adhésion à l’UE. 19% des personnes interrogées en août 2010 pensent que l’adhésion serait une bonne chose et 29% que leur pays bénéficierait de son appartenance à l’UE. De leurs côtés, les eurobaromètres dressent un portrait frileux des Européens, en position globale de repli pendant la crise et donc réticents à l’ouverture des frontières et des négociations à l’entrée de nouveaux candidats dans l’UE.

 

JPEG - 22.1 ko

Dans le même temps, le parti au pouvoir islandais est vilipendé. Une méfiance croissante vis-à-vis du gouvernement s’installe. Seulement 30% des Islandais soutiennent la coalition au pouvoir menée par l’alliance sociale-démocrate (SDA, Samfylkingin), seul parti favorable à l’adhésion et dont l’engagement européen de son chef de file, le premier ministre Johanna Sigurdardottir, est tourné en dérision dans les médias. De son côté, la gauche verte gouvernant aux côtés des sociaux démocrates débattait récemment sur l’idée de clore les pourparlers avec l’UE avant la fin du processus d’adhésion.

Les observateurs constatent d’autre part la résurgence du parti d’opposition (les conservateurs indépendants, Sjálfstæðisflokkurinn), qui obtient l’appui de 36% des Islandais. A nouveau première force politique nationale, ce parti revendique l’arrêt immédiat des négociations avec l’UE et envisage une intégration spécifique et unique dans la zone Euro, alternative vivement rejetée par les instances européennes.

Lors du rendu de ses conclusions sur la candidature islandaise le 24 février 2010, la Commission européenne souligne que l’Islande doit poursuivre ses efforts en vue d’établir une stratégie fiscale crédible, de renforcer ses mécanismes de contrôle financier et de favoriser la liberté de circulation des capitaux. Plusieurs préoccupations concernent notamment l’indépendance et les procédures de nomination en jeu dans le système judiciaire. Toutefois, le Commissaire à l’élargissement, Štefan Füle cherche à nuancer les sceptiques : « L’Islande est un petit pays, déjà bien intégré dans le marché intérieur européen. Sur ces bases, nous considérons que l’intégration de l’Islande aura un impact limité sur les politiques européennes ».

Selon Michel Sallé, spécialiste de l’Islande, « les seuls vraiment intéressés par l’entrée de l’Islande sont les pays nordiques déjà présents dans l’Union. Ils poussent car ils voudraient reconstituer une sorte de Conseil nordique interne à l’union, avec la Norvège, l’Islande et éventuellement les Pays baltes. Ils souhaitent contrebalancer l’élargissement à l’Est qu’ils ne voient pas forcément d’un bon œil ».

La balle est désormais dans le camp du Conseil européen qui statuera prochainement sur la suite à donner à l’adhésion islandaise. Dans un cas favorable, le traité d’adhésion devra passer encore sur le grill populaire en Islande et être ratifié par chacun des Etats Membres. L’appartenance de l’Islande à l’espace Schengen et à l’EEE depuis 1994 n’est pas gage d’aboutissement heureux. Rappelons-nous que le peuple norvégien a dit « non » à deux reprises, par voies référendaires au traité d’adhésion.

7-II-11, eurosduvillage