le Salafisme jihadiste: de quoi s’agit-il?
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Par
, le 4 juillet 2015, diplowebAncien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense (France). Pierre Conesa est l’auteur de « La fabrication de l’ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi », Paris, éd. Robert Laffont, 2011. Un livre recommandé par le Diploweb.com.
« Quelle politique de contre-radicalisation en France ? », c’est le titre d’un rapport remis par Pierre Conesa en décembre 2014 à la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme. Compte tenu des attentats de 2015, Pierre Conesa, membre du Conseil scientifique auquel est adossé le Diploweb.com, offre à ses lecteurs les extraits suivants, issus de la première partie du rapport, intitulée : La radicalisation : un phénomène en expansion. Il présente de manière précise le Salafisme jihadiste.
La radicalisation : un phénomène en expansion
Y a- t-il des symptômes communs aux mouvements radicaux ?
IL N’EST PAS dans l’objet de l’étude de dresser un bilan exhaustif de tous les phénomènes de radicalisation mais de s’en servir pour comprendre la spécificité de la radicalisation islamiste. Les quelques constats qui suivent, concernent principalement les diverses formes de radicalisation religieuse [1].
Crise économique et identitaire aidants, les différentes formes de radicalisation sont en expansion et en pleine croissance : dans la confrérie des « Fous de Dieu », les radicaux polluent toutes les grandes religions : néo-évangélistes protestants, extrémistes juifs (Bloc de la Foi…), milices armées du BJP en Inde, Hezbollah chiite au Liban et bien évidemment le Salafisme Jihadiste (sunnite), le plus important par son extension géographique, la variété des ennemis qu’il se désigne et l’importance des actions violentes qu’il revendique.
Idéologiquement l’appartenance à un groupe radical répond à la recherche d’une identité unique et exclusive. « Du plus haut degré de la gestion de l’Etat, jusqu’aux toilettes, l’Islam gère » affirme M (incarcéré à Fresnes) « Avec l’Islam il y a peu de questions car il y a beaucoup de réponses » dit MO (Saint Maur).
La radicalisation se traduit d’une part par une démarche d’adhésion volontaire à la différence de l’appartenance par filiation familiale ou sociale, et d’autre part par une idéologie exclusive corsetée d’interdits et de ruptures strictes mais psychologiquement protectrices. L’idéologie refuse le compromis avec le monde environnant dont les mutations en cours (sociétés multiraciales, coexistence avec des groupes religieux minoritaires…) sont dénoncées comme corruptrices : « Vous dites que vous êtes censés être correct avec les Episcopaliens, et les presbytériens et les méthodistes etc… Je n’ai pas à être conciliant avec l’esprit de l’Antéchrist. Je peux aimer les gens qui ont de fausses opinions mais je n’ai pas à être conciliant avec eux » (Pat Robertson, téléprédicateur américain, « The 700 Club TV program », 14 janvier 1991.
La fossilisation de la pensée, les « clôtures dogmatiques » (Camel Bechikh) marquent l’identité du groupe et permettent de « positiver les ruptures » avec l’environnement familial, social ou national. Internet foisonne de ce genre de déclaration impérieuse d’affichage de la « Vérité » contre le reste du monde. L’idéologie collective est une construction intellectuelle de la certitude, une sorte de phobie sociale puisque « le Shaitan (Satan) est partout » dit SS qui exclut le dialogue avec l’Autre. L’individu isolé se retrouve dans la nouvelle identité qu’il acquiert, habité par la fierté d’entrer dans un groupe « d’élus » qui a compris les mécanismes profonds de la marche du monde et se conforte de son isolement. Le contre système idéologique prôné par le groupe consiste en une lecture des textes sacrés aussi littérale et exclusive qu’imaginative pour se couper des Autres : refus de partager les repas avec des croyants d’autres religions ; refus de mélanger les ustensiles de cuisine, refus de mixité, isolement des femmes… Quelques adaptations circonstancielles ou technologiques sont cependant possibles : « Les Savants autorisent la masturbation et même l’amour par téléphone » annonce fièrement MR, jeune homme de 22 ans incarcéré à Fresnes depuis 17 mois.
Toute contestation du dogme est regardée comme une déviance procédant d’une démarche hostile. La rhétorique, généralement agressive, renvoie invariablement à une dénonciation des avatars consubstantiels au monde moderne. Le retour à l’observance sectaire, politique ou religieuse qui définit le licite et l’illicite dans tous les aspects de la vie sociale serait la seule façon valable d’échapper à ces maux. Le 12 juin 2011, des ultra-othodoxes ont manifesté devant un parking de Jérusalem parce qu’il restait ouvert pendant le shabbat.
La vision holistique de l’histoire permet de déceler un sens global à la réalité masquée du monde et de donner un nom aux forces occultes et malfaisantes qui le gouvernent [2]. Les media sont bien évidemment des porte-paroles du diable et de ses acolytes, menteurs et racistes, manipulés par les Juifs ou les Américains ou Satan directement. La théorie du complot, explication commune, est souvent un couteau suisse qui permet de relire et réécrire les évènements historiques, passés ou actuels. Il suffit de citer ce texte de la Sainte Eglise Normande qui dénonce « les infiltrations judéo-islamiques, et progressistes dans les églises…qualifie le Pape Paul VI de « débauché organisateur d’orgies et à la solde des nazis, des sionistes, des Chinois des Russes et des homosexuels [3] » ou celle du Révérend Jerry Falwell, proche des néo-conservateurs et de l’équipe de G W Bush, qui rendait responsables des attentats du 11 septembre « les païens, les avorteurs, les féministes, et les homosexuels…coupables d’avoir tenté de séculariser l’Amérique et attiré la colère divine ». Le sentiment d’agression sournoise, la traitrise de la hiérarchie officielle, ou les influences secrètes d’ennemis aussi nombreux que coalisés, est un élément essentiel et rituel de nombreuses sectes, pas seulement islamistes.
On remarquera le triptyque accusatoire commun à toutes les sectes radicales : l’individualisme et la sexualité, les femmes et le féminisme et le sécularisme, sur lequel des éléments d’analyse psychanalytique manquent encore.
Comme dans toute secte religieuse, l’appartenance au groupe se manifeste par des marqueurs différenciant : nouveau nom patronymique, formules rituelles vêtements… L’habit sunna » semble faire l’objet d’une mode réglementée : « Le pantalon doit être relevé au-dessus de la cheville quand on est musulman » (M B Fresnes). Quelques adaptations vestimentaires comme des chaussures Nike ou New Balance, plus adaptées que les sandales en peau de chameau, ou alimentaires sont possibles : « Aucun Hadith n’interdit de boire du Coca Cola » rétorque un Salafiste surpris à consommer cette boisson « impérialiste » pendant l’offensive israélienne à Gaza.
La recherche de la ghettoïsation du groupe sectaire dans des quartiers religieusement homogénéisés par pression, voire par violence pour en exclure les Autres, est identique. C’est ce que les Salafistes font à Trappes et à Aubervilliers en résistant aux forces de l’ordre lors de contrôle d’identité, ou les intégristes juifs font dans les quartiers Mea Sharim et Geoula de Jérusalem en interdisant certaines femmes dans les bus. Le plus souvent la secte radicale rejette l’action politique classique. La justice des hommes doit être remplacée par la justice divine même si elle est exercée par les hommes, c’est le principe de la théocratie iranienne ou saoudienne. En Septembre 1984, Pat Robertson, téléprédicateur américain, suggéra qu’un tribunal religieux spécial soit désigné pour déterminer si un prédicateur qui prétendait avoir reçu un message divin avait été effectivement visité. En fait la concurrence est vive entre les nombreux prédicateurs rivaux dans le protestantisme américain. La justice religieuse tente de se différencier voire de s’imposer à la justice laïque : des tribunaux islamiques pour les musulmans canadiens avait demandé Syed Mumtaz Ali, président de la Société canadienne des musulmans, fondateur de l’Institut islamique de justice civile canadien, ou des tribunaux rabbiniques comme le demandait le rabbin Ovadia Yossef, fondateur du Shas, contre les tribunaux d’Etat.
L’espace d’interdits construits autour des femmes et des enfants est également très caractéristique et pas réservé à l’Islam radical comme les media ont tendance à le croire. On le retrouve chez les Adventistes et les Radicaux juifs : les mariages ne peuvent être qu’endogames et souvent décidés par la hiérarchie ; le voile intégral, la disparition des cheveux sous un voile ou une perruque est imposée aux femmes afin de les marquer. L’enfermement est une caractéristique commune :
. Et bien j’allais à des cours et puis quand c’est comme ça, le mari fait bien les choses, il restreint ton cercle d’amis de mécréants et puis il élargit celui de la communauté, donc il t’emmène à des cours les samedis, les dimanches, et puis dans la semaine voir des sœurs... C’est vrai qu’au début c’est lui qui me le suggérait et puis au fur et à mesure on a envie d’y aller parce que toute façon ton réseau d’amis se réduit voire s’anéantit et puis il y a une sorte de discours dans la communauté qui te convainc. Tu te convaincs qu’il faut t’éloigner de ces gens-là, ils sont différents les mécréants et qu’ils sont dangereux et qu’ils vont polluer notre pratique, notre religiosité, notre éthique etc. Finalement personne et tout le monde est responsable à la fois, c’est-à-dire que c’est un ensemble de choses qui viennent te persuader, te manipuler pour te faire croire que ce chemin que t’es en train de prendre et qui est en train de t’exclure de la société clairement, alors qu’avec le temps pas du tout. Moi très vite j’ai fait une dépression. Alors après sur cette dépression il faut mettre des mots, donc voilà « tu dois être majnoun, il faut faire une roqya (rituel de désenvoutement), il faut écouter le Coran … Mais en fait pas du tout : juste tu craques quoi, tu n’en peux plus (rires) et ta vie s’est écroulée et tu n’as plus de famille et tu ne fais plus de sport et tu n’as plus droit de regarder les gens dans les yeux (rires) quand tu sors dehors donc c’est que … Je pense que j’ai frôlé l’hôpital psychiatrique » raconte SS jeune femme convertie qui donne une version intéressante de l’adoption du voile : « C’est très, très bizarre, le bandana je ne l’ai porté que deux mois. Ensuite le voile complet, ça a été trop violent j’ai vécu des agressions. Quand je portais le voile intégral, il faut savoir que je ne voyais plus du tout ma famille…j’étais complètement seule avec (mon mari), avec cette communauté et à l’époque j’avais rencontré une fille qui le portait, et puis comme je développais des phobies sociales, c’était aussi un moyen de se cacher encore plus »
Les enfants doivent très tôt être pris en charge afin de préserver la progéniture des impuretés du monde : certaines communes de la banlieue parisienne visitées par nous, constatent la vie en autarcie de certaines familles : l’envoi des enfants à l’école coranique le mercredi (« les enfants doivent apprendre » explique-t-on) ; l’inscription à des centres aérés gérés par les mosquées… [4] L’enlèvement de plus de 200 fillettes par la secte Boko haram au Nigéria est purement scandaleux, mais est-ce une pratique exclusivement musulmane ? La Ligue de Résistance du Seigneur, secte chrétienne du nord de l’Ouganda, aurait enlevé près de 25 000 enfants entre 1986 et 2005 [5] pour en faire soit des soldats (80% des effectifs), soit des esclaves sexuelles (30 à 40% seraient des fillettes). Les sectes extrémistes religieuses exercent les mêmes violences partout. Sont-elles condamnées de la même façon ?
Enfin il faut constater que les extrémismes fonctionnent en miroir, avec des valeurs formellement opposées mais souvent des mythologies assez semblables : les GAL furent un groupement clandestin de la police espagnole destinés à lutter par la force contre l’ETA ; les militants identitaires ciblent particulièrement l’Islam et les lieux de culte musulmans, enfin, lors des dernières élections européennes, presque tous les partis politiques populistes ou extrémistes ont affiché des slogans antimusulmans. La similitude des principes politiques du Front National et du Salafisme par leurs mythes fondateurs (la Nation française versus l’Oumma), la fragmentation à but d’exclusion du corps social, leurs disciplines de vie et leur corset de certitudes est frappante. Il est d’autant plus surprenant que la poussée d’extrême droite européenne fasse l’objet d’analyses et de débats politiques, alors que la poussée salafiste jihadiste est simplement représentée sous son angle policier et terroriste. Comme si les deux phénomènes ne relevaient pas d’un même processus politique !
Radicalismes religieux et violence
La rhétorique de sectes religieuses, généralement agressive, renvoie invariablement à une dénonciation des défauts consubstantiels au monde moderne. Le retour à l’observance religieuse dans tous les aspects de la vie sociale est affirmé comme la seule façon valable d’échapper à ces maux modernes. Pour remédier à la carence des solidarités et des idéologies traditionnelles qui découle de l’uniformisation de la modernité culturelle, le référentiel religieux joue le rôle de liant social mobilisateur, créateur de nouveaux repères identitaires. Cette mobilisation dans la nouvelle foi, joue comme un tremplin socio politique pour assurer la mise en place de l’ordre nouveau. Le retour à l’orthodoxie cultuelle s’articule presque toujours une orthopraxie, et la lecture des malheurs du monde moderne se prolonge dans une volonté d’intervention dans l’organisation pratique de la vie. L’extrémisme religieux se pose comme la voie pour corriger les diverses déviations sociales que sont l’immoralité, l’injustice, l’oppression politique, les abus et les dépravations apportés par le progrès et la modernité [6]. Beaucoup offrent une grande perméabilité à la légitimation de la « juste violence » indispensable pour infléchir la dépravation du monde.
Les extrémismes religieux sont devenus la forme licite d’un racisme à base théologique. Quand un fondamentaliste religieux apporte sa propre nourriture et ses ustensiles, refuse de partager un repas avec un croyant d’une autre religion, ou de le côtoyer, qu’il demande que son enfant soit mis à part avec ses coreligionnaires ou interdise qu’une de ses filles se marie avec un homme d’une autre religion, cela ne peut se justifier au seul titre du respect des religions. Ces mêmes interdits opposés par un laïc seraient qualifiés d’actes racistes. Il appartient à chacune des autorités religieuses de sanctionner ses propres extrémistes et pas seulement ceux des autres religions.
Ces extrémismes revisitent une histoire truquée permet de désigner un responsable qui devient ainsi l’ennemi : « Le peuple musulman, les Arabes, furent ceux qui capturèrent les Africains, les réduisirent à l’esclavage, et les envoyèrent en Amérique. Pourquoi les Américains devraient ils embrasser la religion des esclavagistes ? …Vous vous dites, que se passe-t-il : nous accueillons dans notre société et leur donnons des droits à des gens qui persécutent les Chrétiens partout dans le monde. C’est assez !’ (Pat Robertson). Ils excluent et le discours est parfois très direct :« On ne doit pas s’aider avec les Koufars (non musulmans) a dit Allah, ni combattre avec ceux qui ont tué nos parents » dit ML (salafiste incarcéré à St Maur). « Ma soeur fait ses prières mais ne porte pas le Hijab. Elle a choisi son mari pratiquant, mais ils sont très françisés. Il ne faut pas leur ressembler ».
L’intolérance religieuse est leur credo commun. « Je suis pour toutes les religions, du moment qu’elles se soumettent à la loi islamique » déclare M O (Saint Maur), ce à quoi semble répondre le communiqué du Christian Zionists en 1996 : « Nous sommes convaincus d’un point de vue biblique, que le concept musulman d’Allah est une déviation antijudaïque et antichrétienne de la manière dont Dieu s’est révélé …à notre Seigneur ».
Nés souvent de traumatismes historiques ou géopolitiques, les radicalismes religieux aussi multiples que variés, sont plus que d’autres, tentés par la violence, forts du mandat divin dont ils se prétendent porteurs. « Seules les certitudes rendent fous » constatait Nietzsche. Même pour les stratèges du Département d’Etat américain, le danger des radicalismes religieux est perceptible. Dans la liste régulièrement mise à jour des groupes qualifiés de terroristes, en 1980 15 des 30 plus dangereux groupes étaient de nature religieuse ; en 2012 ils étaient devenus 45 sur 61 (et encore cette liste n’évoque-t-elle pas les groupes proprement américains qui relèvent du FBI). Tout individu extrémiste n’est pas obligatoirement un terroriste mais s’il contribue à faciliter ou légitimer le passage à l’acte et en ce sens il doit entrer dans le champ de la réflexion. Après les assassinats de médecins pratiquant l’avortement par des militants chrétiens anti-avortement comme celui du docteur David Gunn en mars 1993, trente-deux pasteurs, prêtres, et dirigeants d’Operation Rescue, affirment dans une pétition que le meurtre était justifié et signent en janvier 1995 une déclaration dans le Detroit Free Press défendant l’utilisation de la violence contre ces médecins avorteurs. Nombre de prédicateurs salafistes qui se prétendent pacifiques ont légitimé certains attentats en refusant de les condamner.
Ce monde inique court vers sa perte et la violence peut seule en redresser la dérive ou à l’inverse accélérer sa destruction, préalable indispensable au « Grand Soir » politique ou religieux. Destiné à accélérer l’arrivée de l’Apocalypse, l’attentat chimique commis le 25 mars 1995 dans le métro de Tokyo, trouve son explication dans la vision eschatologique du Gourou Aoum Shinrikyo. Le premier attentat de masse commis sur le sol américain l’a été par le militant suprémaciste, Timothy Mac Veil convaincu de la supériorité menacée du Christianisme et de la Race Blanche. Les 168 morts auraient ainsi vengé l’attaque par les troupes fédérales de la ferme de Waco où s’étaient réfugiés les membres armés de la secte apocalyptique des Davidiens.
L’acte violent prend une tournure purificatrice et sacramentelle et la cible a peu d’importance (anonymes du métro de Tokyo, enfants d’une crèche à Oklahoma City, ou travailleurs humanitaires en Afghanistan…). L’assassinat de dirigeants politiques ou religieux pacifistes responsables plus que d’autres des misères du monde, est une pratique fréquente : assassinats d’Yitzhak Rabin qualifié de traitre par Yigal Amir et d’Anouar El Sadate par un militaire islamiste appartenant aux Frères Musulmans. En France, un projet d’égorgement de Daril Boubakeur, Recteur de la Grande Mosquée de Paris, a été arrêté à temps, mais les menaces de mort continuent à l’encontre d’Imams républicains. Les « mauvais croyants » ne sont pas épargnés : les GIA algériens dans la nuit du 22 au 23 décembre 1997 à Benthala, ont massacré des villageois qui étaient allés voter en dépit d’une Fatwa d’interdiction.
Appelons donc avec les mêmes mots, les mêmes manifestations de rejet de l’Autre par les mêmes termes. Dès lors pour comprendre la spécificité du radicalisme musulman, il faut le comparer aux autres formes de radicalismes religieux. Mohamed Ali (ex Cassius Clay) interrogé par un journaliste après les attentats du 11 septembre, se voyait demander :
. Qu’est-ce que cela vous fait de partager la même foi que ceux qui ont attaqué l’Amérique ?
Il répondit
. Qu’est-ce que cela vous fait de partager la même religion qu’Hitler ? »
Tentons donc de discerner ce qui fait la spécificité du radicalisme musulman qui est celui qui menace le plus la société française …
Spécificités du radicalisme islamiste
Secte ou pas secte ?
Les media utilisent pour des raisons difficilement compréhensibles le qualificatif sectaire pour nommer la « Secte Boko Haram » au Nigéria mais pas Al Qaida [7]. Pourtant l’un et l’autre émargent au marché des Biens du Salut. Mais si les hiérarchies de l’Eglise catholique ou du Chiisme, veillent au respect de leur propre dogme qualifiant de « secte » telle ou telle résurgence théologique inattendue, ce n’est pas le cas dans le Protestantisme, l’Islam sunnite ou dans la religion juive, plus habitués à l’émergence d’offres religieuses à la carte que nulle hiérarchie incontestable ne peut condamner.
C’est une discussion intéressante sur le plan académique car la France est le seul pays d’Europe à avoir tenté de définir par la voie législative, les dérives du phénomène sectaire. Selon la MIVILUDES, une dérive sectaire est « un dévoiement de la pensée, d’opinion ou de religion, qui porte atteinte à l’ordre public aux lois et aux règlements aux droits fondamentaux, à la sécurité et à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne en état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou la société ». La secte s’est propagée comme nouveau modèle religieux de socialisation à base religieuse. Durkheim avait insisté sur la situation d’« anomie » dans les sociétés modernes, résultant de l’individualisme de plus en plus poussé qui sape le sentiment d’interdépendance entre les individus, indispensable à la vie collective.
Par certains de ses aspects, le radicalisme islamiste répond à la définition de secte, mais par d’autres il s’en éloigne et c’est ce qui fait son originalité et probablement une des clés de son succès. Arrêtons-nous donc plutôt à des comparaisons avec des phénomènes religieux similaires.
Les méthodes de conversion sont assez semblables avec celles des Témoins de Jéhovah. Le contact humain d’abord : le placement d’un livre ou d’un périodique dans de nouvelles mains, décrivant la fin inexorable du monde annoncée par la Bible. La plupart des gens ont des connaissances trop superficielles de la Bible pour ne pas être troublée par les enseignements de l’Association. Puis la cible est incitée à lire et à étudier les publications de « l’Association » (publications bibliques interprétées). Ces livres emplissent l’esprit du candidat de leur phraséologie et de leur enseignement jusqu’à ce que ce dernier parle et pense comme le veulent les tribuns « théocratiques » du quartier général. L’angoisse du candidat est stimulée par des remarques dramatiques concernant les événements mondiaux, et par un entretien empreint de sympathie à l’écoute de ses problèmes personnels. Un groupe local dirigé par un représentant de l’Association dirige l’étude d’un manuel avec questions et réponses. Les participants cherchent et lisent les versets bibliques bien souvent sans leur contexte, justifiant l’enseignement de l’Association. Les questions évoquées renvoient le lecteur au passage précis de l’article ou du verset donnant la réponse, comme dans un manuel scolaire ou dans le Petit Livre Rouge de la Révolution Culturelle chinoise. De cette manière l’enseignement des "Témoins de Jéhovah" structure plus profondément l’esprit. Si le candidat met sa formation fidèlement en pratique, il est prêt pour la dernière étape du rite d’intégration : baptême collectif par immersion, mariage endogamique dans la secte sanctifié par le Gourou (comme dans la Secte Moon), manifestation publique de l’entrée dans « l’Organisation de Dieu ». On devient « proclamateur du royaume », serviteur de « la bonne nouvelle du royaume » donc prosélyte. Si l’on reste fidèle aux ordonnances de l’Association, on peut être sûr de bénéficier d’actifs pour l’entrée au Paradis. Certaines sectes proposent souvent aux adeptes l’auto-déification (« Deviens toi-même ton "Dieu" comme moi, le gourou »), c’est le principe même de l’Imam autoproclamé.
Les convertis interviewés dans le cadre de l’étude, donnent un récit assez similaire. Tous ont été aidés par d’autres dans l’apprentissage de la religion, si tous déclarent avoir eu un intérêt pour l’islam à travers les livres et le Coran ou par internet, ils ont été pris en charge par un ensemble de personnes : « C’est une sœur au lycée qui m’a parlé de religion et c’est elle qui m’a ouvert la voie du minhaj ». Au départ de la conversion/réislamisation, c’est le bouche à oreilles qui semble primer, « on rencontre telle personne qui nous conseille d’aller au cours d’untel parce qu’il est dit qu’elle connait la science religieuse… ou que tel ‘alim lui accorde le droit d’enseigner en France… La première année c’était formidable… avec des frères [8] j’ai commencé à apprendre l’arabe ». Dans le fondement théologique (le Coran), les sociétés musulmanes sont des sociétés de l’écrit mais à travers une parole au départ. C’est pourquoi l’apprentissage par cœur du Coran est la base des écoles coraniques, système qui repose sur les écrits avec l’idée que la transmission réelle du savoir par l’oralité. Ces jeunes ne se contentent pas d’apprendre à travers les livres et par l’écrit uniquement, ils ont besoin d’un intermédiaire, d’une personne capable de transmettre un savoir religieux un digest de l’Islam. « Faut pas être tout seul, j’avais des orientations et on me donnait des preuves » « Quand j’ai commencé à lire, j’ai vu que les maghrébins étaient à côté de la plaque…. J’ai appris au début par moi-même, le Coran, la sunna et aussi beaucoup de traductions… puis je suis tombé sur des gens bien ». Ces gens ne sont pas enfermés dans un groupe, ils sont généralement face à eux-mêmes, c’est le contrôle social des autres croyants extrêmement fort qui contribue à structurer la pratique des individus (par le rappel et la da’wa).
La langue arabe, langue du Coran, a un statut particulier et c’est une obligation de l’apprendre, dans le cadre du groupe. Il y a d’abord des stratégies matrimoniales, ainsi les Oulémas conseillent de se marier avec un arabophone pour que la langue soit parlée au quotidien. C’est le cas d’une française interviewée qui est allée vivre à Alger en se mariant avec un Algérien. D’autres prennent des cours dans des appartements privés, avec des frères ou des sœurs qui se sont rendus dans des universités islamiques à l’étranger et se chargent à leur retour en France de diffuser leur savoir aux autres. Chez toutes les personnes interrogées, à défaut de maîtriser la langue, elles remplacent des termes français par des termes arabes, ainsi les invocations quotidiennes (au lever, la prière, avant de manger, avant de sortir de chez soi…) sont dites en arabe.
La religion arrive à un moment précis dans l’histoire de ces jeunes. Généralement à la recherche d’eux-mêmes ou en situation d’exclusion sociale, ils y trouvent un renouveau pour les convertis ou « une vérité longtemps mise de côté » pour les autres. On a le sentiment en les écoutant raconter leur parcours, qu’ils ont été accompagnés pendant le temps « des premiers moments d’enthousiasme » dont parlait déjà Farhad Khosrokhavar [9] en 1997, puis une fois leur foi consolidée, c’est le mariage endogame organisé qui prend le relais, enfin vient le moment de la remise en question et des doutes et de nouveau les frères arrivent pour faire da’wa à celui qui s’éloigne d’Allah. On distingue donc trois temps qui s’étalent dans un très court terme, « tout va très vite » selon les interviewés.
L’identité originelle est reconstruite comme membre d’une nouvelle communauté universelle. La conversion peut se faire indifféremment par conversion ou par « renaissance » sorte de redécouverte de la foi : Ben Laden était un reborn Muslim comme G W Bush se disait reborn Christian après sa phase alcoolique. A ce moment-là, l’identité commence à prendre sens et l’individu devient « réellement » musulman. L’engagement dans une communauté croyante construite sur le modèle associatif et décentralisé, doit être prosélyte et, en ce sens, le salafisme est assez comparable aux sectes adventistes avec les mêmes ambitions et missions planétaires. Dans les sectes, la rupture est positivée puisque le nouvel adhérent accède à une élite composé « d’élus », en l’espèce de « vrais croyants » appartenant à la « faction sauvée » destinée à éclairer le monde [10]. Dans ses livres, John Calvert [11] fait remarquer que quand les pères fondateurs de l’Islamisme, Qotb et Maudaudi, comparent l’Islam à d’autres systèmes, ce n’est pas au Christianisme au Judaïsme ou à l’Hindouisme qu’ils font référence mais au communisme au capitalisme et à la démocratie libérale. L’islam se présenterait ainsi comme une troisième voie. Il ne s’agissait pas d’une quête de la cité islamique originelle, mais de la recherche d’un ordre social nouveau où la justice serait assurée grâce au cadre des valeurs islamiques puisées directement dans les textes sacrés. Le salafisme (étymologiquement le modèle à prendre chez les grands ancêtres, compagnons du Prophète) est une idéologie réactionnaire d’imitation du passé. Remarque identique d’un autre auteur américain Christopher Caldwell [12] : « Même s’ils ne croient pas à l’Islam, (les musulmans) croient au camp Islam ». L’Oumma, nouvelle collectivité supranationale virtuelle mais mondialisée comme en d’autres temps le Tiers-mondisme ou le Communisme, donne au disciple un sentiment d’appartenance plus prégnante que dans les autres grands monothéismes (voir en annexe 1 la lettre Malcolm X).
Le rapport au texte sacré est strictement littéral : comme dans les églises évangéliques protestantes basées sur une lecture très normative du Livre saint : le « Biblicisme » on retrouve la pratique littéraliste de la lecture du Coran chez les Salafistes qui vise à définir, dans le moindre détail sans adaptation aucune, la « conduite juste » du croyant. . La tradition doit servir le projet de changement social. Les sites islamistes francophones consultés fourmillent de questions et de réponses quotidiennes et très matérielles pour se comporter en bon musulman en toutes circonstances. Les références aux textes sacrés sont parfois explicites, parfois inventées et largement abondées [13] par des leaders religieux dont la puissance charismatique l’emporte souvent sur la solidité théologique. Les jeunes islamistes démontrent, comme le souligne Kepel « une très grande disponibilité à s’émanciper des contraintes de l’accumulation historique des gloses [14] », quand ils ne souffrent pas tout simplement d’inculture religieuse. La définition du licite et de l’illicite aux frontières mouvantes et toujours plus contraignantes, borne le refus des mixions avec le monde. Cela va jusqu’à des remises en question des pratiques médicales que ce soit le refus des transfusions sanguines des Témoins de Jéhovah, les pratiques ésotériques des adeptes du New Age, ou, pratique de désenvoutement des Adventistes du 7° jour, ou la Roqiya des Islamistes les plus convaincus [15].
(…)
Le Salafisme appartient à la communauté des sectes de l’Apocalypse par l’annonce d’un absolu eschatologique. On peut recenser aisément une trentaine de ces sectes catastrophistes toutes religions confondues, regroupant plus de 30.000 adeptes, trouvant leur argumentaire dans une interprétation qui leur est propre soit des textes religieux (en particulier le livre de l’Apocalypse de Saint Jean), soit des textes ésotériques (de différentes traditions), soit de vraies ou fausses apparitions, révélations, prophéties d’événements catastrophiques nationaux ou mondiaux, de phénomènes cosmiques ou de découvertes scientifiques. Les Camelots de la fin du monde qu’ils vendent du Christ (Adventistes ou Témoins de Jéhovah), du Yaveh (Bloc de la Foi) ou de l’Allah (Salafistes) emploient le même argumentaire. La lecture exclusivement eschatologique de la vie internationale, se double d’une annonce précise de signes annonciateurs de l’Apocalypse et les agissements du Démon sont décodés par le Gourou [16]. Le discours religieux est construit sur une relation pathogène à l’histoire : arrêt de l’horloge du temps, détection de « signes » annonciateurs, révélation de « prophéties cachés », retour du Messie… James G Watt, ancien secrétaire d’Etat à l’intérieur de l’équipe de G W Bush déclarait sans ciller que « la pollution n’était pas un véritable problème pour un Chrétien puisque l’Apocalypse était pour bientôt ». La crise syrienne, le « Bilad al Sham » mobilse d’autant plus que c’est précisément là qu’interviendrait la fin du monde et le combat contre l’Antéchrist, dans les discours salafistes.
Il n’y a pas de droit de propriété intellectuelle sur le marché de l’Apocalypse où prévaut le syncrétisme le plus débridé : Aoum le prophète japonais expliquait la déclaration de guerre américaine au Japon en 1941, par l’influence…des Juifs américains (toujours eux !). Chaque évènement (tsunami, crise nucléaire au Japon ou réchauffement de la planète) est lu au travers du prisme du merveilleux et du combat d’Issah (Jésus) contre l’Antéchrist. La prédiction de la date exacte de la fin du monde étant une science à risque, elle est associée à des « déconfirmations » qui permettent aux Prophètes d’expliquer leurs erreurs d’annonce [17]. A défaut de calendrier exact, certains prédicateurs sont très précis sur les modalités du processus. L’ennemi tout puissant (le complot judéo-américano-croisés-hypocrites etc) est la concrétisation terrestre de Gog et Magog, les deux figures mythiques qui combattront le retour du Messie selon le livre d’Ezechiel, 38 et 39 [18]. Un doute subsiste toutefois : comment expliquer que dans deux conversations avec Jacques Chirac, G W Bush ait fait lui aussi référence aux deux agents de l’Apocalypse pour entrainer la France dans la guerre en Irak [19] ? Gog et Magog sont-ils des agents de l’Impérialisme ou du Salafisme ?
Les Salafistes se divisent cependant entre ceux qui voient comme étape préalable le rétablissement imminent du mythe conjuratoire du Califat, bouclant ainsi un cycle historique par retour aux origines, nouvelle version du mythe parousique du Paradis perdu, et ceux qui promettent le Grand Soir immédiat : « un Etat (islamique) où l’eau, l’électricité, et le gaz seront gratuits, conformément aux enseignements du Coran…où tout le monde aurait accès à un logement, à des habits décents et à de la nourriture » annonce à un journaliste, Anjem Choudary, un des agitateurs du Londonistan. On comprend que ce discours de la rédemption salvatrice avec garantie du paradis prenne chez les plus désespérées des désespérés.
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Le Salafisme, une idéologie refuge : l’islam de ces jeunes s’est construit dans une société qui n’a plus rien à proposer, où les anciennes idéologies (socialistes, républicaines, communistes…) sont en crise et chaque groupe cherche à se construire une identité de substitution. Certains des convertis rencontrés déclarent avoir été anarchistes ou proches de l’extrême gauche avant leur conversion. « L’islam m’a apporté la stabilité car je me suis mariée et une certaine régularité dans ma vie de tous les jours » « L’islam m’a accompagnée lorsque j’ai perdu ma mère, j’avais 13 ans, j’étais catholique avant, avec l’islam je me suis sentie apaisée ». Se constitue alors une religiosité dans un groupe hors de la société, porteurs d’une dignité à travers le sacré. Ils arborent l’islam comme une identité remettant en cause la culture dominante qui au nom de la tradition laïque, renvoie la religion au domaine privé. Ces jeunes adoptent une attitude religieuse par aspiration pour une spiritualité que ne leur apporte pas la société. "C’est une conversion, après ça dépend ce qu’on entend par le terme islamisation, si l’islamisation est l’intégration de pratiques culturelles moyennes orientales ou maghrébines pas du tout. Seulement je suis musulman donc converti à la religion de l’islam qui veut qu’il y ait un seul Dieu et que le dernier de ses Prophètes soit Mohamed et qu’il y ait le jugement dernier. Donc islamisé dans ce sens-là, mais pas dans le sens culturel… Le terme islamisation ne me convient pas, je dirais entrer en religion, l’islam est pour tout le monde et la racine signifie paix… avec les convertis c’est différent, car il n’y a pas de racines à l’étranger, ce n’est pas un islam traditionnel, on est étranger chez nous… et les gens voient que l’islam n’est pas qu’aux arabes".
Quelques différences notables avec d’autres radicalismes sectaires : un système réticulaire décentralisé plutôt qu’un groupe sectaire
Pas de gourou, le croyant contacte des référents par les moyens modernes sans toujours les rencontrer. Un rapport de l’ICSR de Londres appelle ces référents des « disséminateurs », sorte de sympathisants hyper actifs sur le Web comme Ahmed Moussa Jibril, Américain d’origine palestinienne, ou Moussa Cerantonio, Australien converti. Sans jamais constituer de groupes organisés, ni inciter directement à la violence, sans se prétendre membre de l’un ou l’autre des groupes terroristes, ceux-ci font écho à tous les attentats et actions de ces derniers. L’étude montre qu’ainsi l’EIIL est le plus référencé des groupes terroristes, suivi du Front Al Nosra….
Une politique d’influence plutôt que de communication
Il faut remarquer que les Jihadistes qu’ils soient membres d’Al Qaida ou individuels comme Merah ne revendiquent publiquement leurs actes que lorsqu’ils y sont contraints : pas de conférences de presse clandestines comme le FNLC, pas de vitrine légale comme Iparretarak, pas de communiqué envoyé à l’AFP comme les mouvements tiers-mondistes. Cette politique de communication assez nouvelle, entretient le mystère et le sentiment d’omniprésence du Jihadisme dans l’opinion mondiale. Par contre elle peut convaincre directement des individus et ensuite les réseaux sociaux font le lien. Le succès de certaines vidéos montre l’impact de ces disséminateurs. Internet n’est jamais source exclusive de recrutement et il y a toujours contact humain relationnel avant comme le démontrent le rapport Quilliam [20] mais aussi les entretiens effectués par nous.
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Chacun de ces référents emploie les méthodes qui lui paraissent les plus adaptées. Prêches enregistrés, sites web, vidéo chocs, images de guerres et de massacres, associées à des prises de vues assez semblables aux jeux vidéo, tous media et messages adaptés à la génération d’internet et du clip, pour répondre à des questions comportementales quotidiennes, attirer vers le recrutement ou pour annoncer la fin du monde.
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Ces chiffres d’audimat quoiqu’impressionnants, sont très largement inférieurs aux audiences des téléprédicateurs protestants américains. Les pratiques sont donc assez comparables aux mouvements sectaires sans leadership unifié du Protestantisme.
Des lieux et des formes de la radicalisation sont de plus en plus variés. Le Tabligh longtemps acteur du fondamentalisme est en recul au profit du salafisme. Les Mosquées sont de moins en moins un lieu de radicalisation. Certaines connues pour leur encadrement salafiste, veillent à la parole publique. Ceci n’empêche cependant pas des prêches qui ressemblent fort à des justifications de la violence, y compris à l’encontre d’autres musulmans. La prison est le lieu de radicalisation étudié par F Khosrokavar et son équipe [21]. C’est l’objet d’attention particulière des administrations. L’islam y a fait son apparition à la fin des années 90. Tandis que depuis une dizaine d’années, chercheurs et professionnels de l’administration pénitentiaire s’accordent à dire que l’islam est devenu la première religion en prison, on constate sur le terrain un déséquilibre entre des détenus de plus en plus musulmans et un culte catholique qui prédomine toujours autant dans le paysage de l’aumônerie carcérale française. Avec la loi de 1905, le service religieux doit être assuré dans tous les établissements pénitentiaires maisons d’arrêt, centres de détention ou maisons centrales. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, réaffirme d’ailleurs le droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion de chaque personne détenue. Malgré des tensions persistantes au sein du CFCM, l’aumônerie musulmane au sein de l’institution pénitentiaire s’est organisée en nommant dès 2005, un aumônier national des prisons, dont la fonction est de recruter et de faire le lien entre l’administration centrale pénitentiaire et les aumôniers régionaux et locaux. Mais le lieu n’attire-t-il pas l’attention des autorités et élus parce qu’il est le plus étudié ? Les services judiciaires antiterroristes disent que 80% des retours de Syrie n’ont fréquenté ni la mosquée, ni la prison.
Internet joue un rôle croissant : Wassim Nasr, journaliste sur France 24, a délivré au colloque de Lyon de juin 2014, une analyse intéressante sur la force de conviction liée à la nature des messages et aux vecteurs utilisés : « Ceux qui fabriquent les messages ne sont pas forcément des relais officiels de groupes qui combattent. Ils n’ont parfois même pas de connexion avec les groupes et encore moins avec Al Qaida. Ce type de vidéo est produit par des jeunes qui ont entre 18 et 35 ans, à destination d’un public du même âge. On valide les actions d’un groupe. A la limite, c’est donc toléré par Youtube. Se rendre au jihad en Syrie est audible à un public qui n’y avait pas accès. Mais l’intérêt est grandissant pour Twitter. (500 000 membres peuvent être en rapport en direct sur les opérations militaires). Certains groupes jihadistes s’intéressent à Twitter et l’Etat islamique aurait l’intention de nommer un émir pour gérer Twitter. Mais via Tweeter, les membres exposent leur linge sale. C’est comme cela que deux jeunes saoudiens ont été arrêtés. Facebook n’est pas très populaire car cela implique des techniques de connaissance faciale mise en place par les services de renseignement. Par contre les adhérents de Facebook peuvent se mettre en avant, pour la frime, pour prouver qu’ils sont bien là-bas et que c’est faisable par tout le monde… Les réseaux sociaux augmentent la motivation, rendent la chose audible et faisable. Si les voisins l’ont fait, n’importe qui peut le faire. Si mon copain a une Kalach à la main, je peux le faire aussi. Quand un jeune Occidental entend un appel au jihad dans sa langue, cela a un effet amplificateur, ce qui est différent d’un appel en pachtoune. Il s’est créé une proximité qui n’existait pas avant. Les jeunes s’endoctrinent sur internet. Si on tape Al Qaida, on tombe sur des articles... Grâce à Youtube, alors qu’avant pour comprendre il fallait lire et se documenter, aujourd’hui il suffit de regarder une vidéo. Il n’y a aucun effort à faire, c’est plus facile »
L’adhésion individuelle parait volontaire. Les cas d’abus de faiblesse punissables par la Loi de janvier 1996 sur les dérives sectaires, paraissent rares. Les ressorts des conversions et reconversions (retour à la religion) des Salafistes interviewés paraissent être de trois ordres. Généralement jeunes au moment de leur conversion à l’islam (entre 13 ans pour la plus jeune et 17-20 ans pour les autres), ils traversent des crises multiples : crise d’identité ; crise du sens ; sentiment d’inutilité sociale, et parfois familiale. C’est à travers leur histoire personnelle que se révèlent leur rapport à la France, leur sentiment par rapport à ce qui se passe dans