"L’armée et l’exercice du pouvoir au Burkina Faso: un lien inextricable", Boureïma N. Ouedraogo

Notes internacionals CIDOB, núm. 106

Il existe au Burkina Faso un lien inextricable entre l’armée et l’exercice du pouvoir. Du point de vue de l’actualité récente, le rôle de l’armée est un élément essentiel pour appréhender les causes ainsi que les enjeux de la chute du régime, suivie de la fuite hors du pays le 31 octobre 2014 de Blaise Compaoré.

L’analyse proposée ci-dessous permet d’apporter un éclairage sur le processus expliquant comment l’armée a réussi à s’attacher à la nation en trouvant un certain équilibre dans la période précédant le règne de Compaoré, lui-même militaire. La dérive autocratique marquant cette période a été à la base de la fragilisation de son régime en place depuis 27 ans. Au cours des dernières années, une combinaison de facteurs a précipité la chute du régime: échecs de ses programmes politiques, cupidité du clan présidentiel, montée du sentiment d’indignation et d’exaspération au sein de la population, ambivalence de l’armée et dissidence au sein du parti présidentiel. La domination de l’armée, dans le cadre de l’exercice du pouvoir au Burkina Faso de manière quasi ininterrompue depuis l’indépendance, soulève de fortes interrogations au moment où une période de transition démocratique s’impulse.

De ce point de vue, l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a renversé le régime de Blaise Compaoré est riche en enseignements. Elle illustre d’une manière remarquable l’ambivalence de l’armée, capable d’être à la fois une force aveuglément coercitive et une force libératrice. Fortement liée à l’État et allant jusqu’à s’identifier à lui, l’armée est capable d’incarner un “fonctionnalisme du meilleur” ou un “fonctionnalisme du pire” pour citer Bourdieu, lorsqu’il présente les deux interprétations courantes et concurrentes de l’État: celle de l’ ”État divin”, sorte de lieu neutre, d’institution bienveillante par excellence, chargée de réaliser l’intérêt général, ou celle de l’“État diabolique”, au service des dominants, instrument d’asservissement par excellence des faibles par les puissants. Comme l’État, l’identité de l’armée n’échappe pas à cette sorte d’ambivalence entre divination et diabolisation.

L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre est révélatrice des spécificités de l’armée: l’organisation militaire, les changements qui l’affectent et les dysfonctionnements qui en résultent.

L’armée et l’exercice du pouvoir au Burkina Faso: un lien inextricable

Au Burkina Faso, depuis l’indépendance en 1960 et jusqu’à aujourd’hui, le pouvoir d’État, à deux exceptions près, a toujours été dirigé par un militaire. Sur les quatre Républiques que le pays a connues et sur le nombre aussi important sinon davantage de régimes d’exception, un seul civil a exercé le pouvoir d’État: il s’agit de Maurice Yaméogo, entre 1960 et 1966 (Première République). Le deuxième civil à l’exercer, depuis le 21 novembre 2014, est le président actuel de la transition, Michel Kafando.

De 1966 jusqu’à cette date, six militaires se sont succédé à la tête de l’État burkinabè: le Général Sangoulé Lamizana (1966- 1980), le Colonel Saye-Zerbo (1980-1982), le Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo (1982-1983), le Capitaine Thomas Sankara (1983-1987), le Capitaine Blaise Compaoré (1987-2014) et le Lieutenant-Colonel Isaac Yacouba Zida (31 octobre 2014 - 21 novembre 2014).

Dès lors, la question suivante se pose avec acuité: comment peut-on expliquer la pérennisation des élites militaires à la tête de l’État au pays des “hommes intègres”?

Un processus de routinisation du charisme au sein de l’armée burkinabè

La pérennisation de l’armée à la tête de l’État au Burkina Faso n’est pas le produit d’une domination directe, d’un mode de “fonctionnement à la coercition” (Benchemane, 1978), mais plutôt le résultat d’un processus de routinisation du charisme dans l’armée. C’est le cas au moins jusqu’au coup d’État de 1987 qui s’est soldé par l’assassinat de Thomas Sankara et l’arrivée de Blaise Compaoré à la tête de l’État. La notion de routinisation du charisme dans l’armée doit s’interpréter ici comme un charisme qui s’attache, non pas tant à la personne, à savoir le militaire (l’officier en l’occurrence), qu’à la fonction ou à l’institution militaire elle-même.

Examinons à présent les procédures de routinisation du charisme dans l’armée burkinabè:

- Sous les chefs militaires avant Compaoré, l’armée n’a pas fonctionné de manière autoritaire;

- L’armée est intervenue souvent sur la base de la disqualification des élites civiles à incarner la nation et son unité;

- Les chefs militaires avant Compaoré n’ont pas favorisé leur région d’origine comme celui-ci le fera en impulsant un développement local sans précédent dans sa région natale de Ziniaré (à une quarantaine de kilomètres au nord-est de la capitale);

- L’armée burkinabè s’est illustrée par des hauts faits lors de deux conflits frontaliers avec le Mali (1974 et 1985).

De 1966 à 1982, sous des chefs militaires comme le général Sangoulé Lamizana ou le général Saye-Zerbo, l’armée a réussi mieux que les civils à s’identifier à la nation. Malgré les insuffisances de ces régimes militaires, les maux liés à l’État prédateur n’étaient pas arrivés à la côte d’alerte qu’ils atteindront avec Blaise Compaoré, incluant notamment: corruption, “politique du ventre”, népotisme et assassinats d’opposants politiques. La période 1966 à 1978 a été qualifiée de “démocratie militaire” par Jean Audibert (1978) qui évoque l’administration du pays par le général Lamizana comme celle d’un “bon père de famille”.

A titre d’exemple, le coup d’État militaire du Colonel Saye-Zerbo en 1980 n’a terni, ni l’image du Général Lamizana, ni celle de l’armée, encore moins celle de son auteur. On peut dire que ce coup d’État était moins dirigé contre Lamizana que contre les élites politiques civiles dont les querelles mettaient en péril la cohésion nationale, au point qu’un prélat, le Cardinal Paul Zoungrana, a salué ce coup d’État comme une bénédiction de Dieu (Somé, 2006). En somme, les chefs militaires en question ont pu jouir d’un certain charisme qui a rejailli sur l’institution militaire dans son ensemble à travers ce que nous avons appelé, avec Max Weber (1971), le processus de routinisation.

Les années sankaristes marquent le tournant dans la routinisation du charisme militaire. Thomas Sankara lui-même jouissait d’un certain charisme, mais le système politique mis en place après le coup d’État du 4 août 1983, était plutôt une dictature militaro-civile incarnée par les CDR (Comité de défense de la révolution) qui se sont illustrés par des limogeages parfois abusifs de fonctionnaires, l’imposition du sport de masse aux citoyens et l’obligation de consommer burkinabè. Bien que les révolutionnaires de l’époque sankariste eussent à cœur de former le militaire sur le plan politique et idéologique -leur slogan était “un militaire sans formation politique est un criminel en puissance”-, c’est sous le régime sankariste que l’on assista aux premiers assassinats politiques notamment au sein de l’armée.

Il n’en reste pas moins que les dérives autoritaires, les crimes politiques et la mauvaise gouvernance imputables aux régimes antérieurs à Blaise Compaoré atteindront avec ce dernier des niveaux sans précédents.

Le régime de Blaise Compaoré: une autocratie militaire plus ou moins normalisée

Le coup d’État du Capitaine Compaoré contre le Capitaine Thomas Sankara change la figure de l’armée. L’ère Compaoré marque la fin de la routinisation du charisme militaire. L’État va commencer à mettre en œuvre un système de domination directe, fondée sur la coercition, en utilisant l’armée, et plus spécifiquement une partie de celle-ci, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP).

C’est alors que s’ouvre la période des assassinats politiques à répétition: d’abord durant la période dite de rectification (1987-1990), ensuite pendant les décades infâmes de l’ère pseudo-démocratique (1991- 2014). Au sein de l’armée, cela a commencé par l’acte fondateur de l’assassinat du président en exercice, Thomas Sankara - une première dans l’histoire du pays. Puis suivront d’autres assassinats de militaires. En dehors de l’armée, les intellectuels et les élites politiques ne sont pas épargnés: on peut citer des étudiants, des enseignants d’université, des syndicalistes, des chefs de partis politiques, etc. La figure la plus célèbre des victimes civiles est le journaliste Norbert Zongo, directeur de publication du journal L’Indépendant, et symbole de la presse libre et indépendante (Bianchini, 2007), assassiné et brulé dans son véhicule avec d’autres passagers le 13 décembre 1998, alors qu’il enquêtait sur un autre assassinat: celui du chauffeur du frère de Compaoré. Sous l’ère Blaise Compaoré on ne compte plus les assassinats politiques qui sont devenus une méthode de gouvernement (Kiebré, 2014).

Si, à l’accoutumée, comme nous rappelle Weber, toute domination aspire à la légitimité, il est des situations où la recherche de la légitimité n’est plus de mise pour rester à la tête du pouvoir. C’est le cas du régime de Compaoré qui a utilisé la ruse, la corruption et la coercition pour se maintenir et s’est confondu avec une logique de force, de terreur et d’impunité. La formule consacrée, souvent répétée par les tenants du régime sous forme de menace adressée à tout opposant est: “si tu fais, on te fait et il n’y a rien”, sous-entendant que le règlement de compte d’un opposant resterait impuni.

Il n’est pas hasardeux de prêter au régime de Compaoré la nature des gouvernements militaires connus en Amérique du Sud dans les années 70-80 sous la doctrine de la sécurité nationale. Ce régime en a toutes les caractéristiques: développement d’un État policier, création du Régiment de sécurité présidentielle, terreur, primauté du renseignement sur tous les autres départements de l’armée, chamboulement de la hiérarchie militaire, insécurité généralisée pour toute personne, qu’elle soit militaire ou civile.

Le contexte de la lutte internationale contre le terrorisme a donné à l’armée burkinabè une précieuse opportunité pour confirmer sa place centrale dans l’exercice du pouvoir. Objectivement, ou tactiquement, le terrorisme va servir d’alibi à l’installation des bases militaires occidentales en Afrique et singulièrement au Burkina Faso. La situation fait écho à la thèse de la doctrine du choc: le terrorisme justifiant une sorte d’impérialisme militaire. Elle trouve une analogie avec les thèses de Naomi Klein (2008) où d’autres types de désastres ont justifié la mise sur pied de politiques ultralibérales.

Blaise Compaoré a su en tirer profit, devenant un allié précieux de la France dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans la région sub-saharienne. Ayant besoin d’une base d’intervention rapide et après avoir essuyé les refus des chefs d’État du Mali et du Niger, Compaoré accepte en 2010 la présence d’une base militaire à condition qu’elle reste discrète, à l’abri des regards (à une dizaine de kilomètres de la capitale) et que l’armée française forme l’unité antiterroriste burkinabè (Carayol, 2014).

Enfin, le rôle de l’armée burkinabè sur la scène internationale s’est affirmé à travers son appui dans les opérations de maintien de la paix avec l’envoi de soldats sur les différents théâtres d’opérations en Afrique, de manière officielle, privée ou “mercenariale” (Henry, 2011).

Comprendre la chute du régime de Blaise Compaoré

L’échec de son programme politique intitulé “Pour une société d’espérance et de progrès”

Blaise Compaoré a manqué la chance historique de concilier deux tempéraments du citoyen burkinabè: l’amour de la liberté et l’amour de la justice. L’amour de la justice renvoie au concept de “l’estime de soi” (burkindlum) qui habite le citoyen burkinabè et qui fait que sa réputation d’“homme intègre” n’est pas usurpée.

Pour schématiser, on peut dire que la révolution sankariste a apporté un peu de justice et pas assez de liberté: au dernier temps du régime de Thomas Sankara, les esprits commençaient à se retourner contre la “dictature militaro-civile” des Comités de défense de la révolution. La “société d’espérance et de progrès” promise par Compaoré n’a pas atteint ses objectifs. Le régime n’a pas réussi à donner de l’espérance à une jeunesse désœuvrée et désespérée qui, à tort ou à raison, n’a jamais cessé de voir en la mort de Thomas Sankara, “l’espoir assassiné”. Il n’a pas apporté non plus le progrès, excepté celui du taux de croissance économique entaché par la persistance de la pauvreté de la population (Ouédraogo, 2014). Les atteintes permanentes aux droits de l’Homme, les assassinats politiques, l’approfondissement des inégalités sociales, montrent que le régime de Compaoré n’a donné au citoyen burkinabè, ni le sentiment de liberté, ni le sentiment de justice.

L’exaspération des citoyens, leur indignation et l’érosion du sentiment de peur

Ce régime a instrumentalisé le sentiment de la peur pour gouverner. Mais au fil du temps, la peur de la mort a commencé à s’effriter, au niveau de tous les acteurs, militaires comme civils. Chez les étudiants, la précarité a fini par avoir raison de la peur, d’où leur fameux cri de guerre: “cabri mort n’a plus peur du couteau”. Le recul du sentiment de peur face à la répression s’est encore vérifié lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, qui a fait des martyrs. En cristallisant l’exaspération des citoyens, l’obstination autour du projet de révision constitutionnelle devant permettre au président de briguer un nouveau mandat en 2015 a eu raison de tout ce qui inhibait l’envie d’en finir avec l’ère Compaoré.

La montée en puissance de la société civile

Depuis le coup d’État de 1966 contre Maurice Yaméogo, dans lequel les syndicats ont joué un grand rôle, la société civile burkinabè n’a pas cessé de se renforcer avec l’arrivée continuelle de nouvelles vagues d’organisations. Ainsi, à la fin des années 90, suite à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, on vit arriver: le “Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques”, le mouvement “Trop c’est trop”, la coordination des intellectuels du Burkina. Ces organisations sont venues renforcer celles déjà existantes: le MBDHP (Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et du Peuple) et l’opposition politique radicale dont Joseph Ki-Zerbo était une figure de proue. Quinze ans après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, la société civile n’a pas faibli, bien au contraire, elle a été renforcée par l’arrivée d’une nouvelle vague d’organisations, à titre d’exemples: le Balai citoyen, le Collectif de la Coalition contre la Vie Chère (CCVC).

La cupidité aveuglante du clan présidentiel

Face à la volonté de Compaoré de modifier la Constitution afin de pouvoir briguer un autre mandat en 2015, le président de la transition a parlé de myopie; le mot n’est pas assez fort, il vaut mieux parler de cécité. Blaise Compaoré et son entourage ne voyaient plus rien sinon leurs propres illusions. Et pourtant les faits étaient là, massifs, indéniables: une humeur anti-institutionnelle grondante et montante, des meetings qui remplissaient des stades municipaux, des marches qui réunissaient des milliers de manifestants. Le comportement de Compaoré et son régime nous enseigne que les idées peuvent être plus têtues que les faits. Seule la logique de l’État prédateur, c’est-à-dire la cupidité des dirigeants soucieux de remplir leurs poches, peut expliquer un tel aveuglement. En ce qui concerne Blaise Compaoré lui-même, la peur d’être traduit devant la justice nationale et internationale au terme de son mandat nourrissait davantage cet aveuglement.

La dissidence au sein du parti majoritaire

Une partie des dirigeants a décidé de quitter le navire du camp présidentiel en janvier 2014, après 26 années de loyaux services rendus. Les raisons de leur départ du parti majoritaire CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès), pour former le MPP (Mouvement du Peuple pour le Progrès) sont diversement interprétées: pour certains il s’agit d’une éviction liée aux luttes internes de positionnement à l’intérieur de l’ancien parti majoritaire. Dans l’opinion publique, beaucoup de gens doutent de leur sincérité, ils sont tenus pour comptables du régime de Compaoré grâce auquel ils se sont allègrement enrichis. On rappelle qu’hier encore ils étaient parmi les premiers partisans de la révision de la Constitution. Pour d’autres en revanche, il s’agit d’un regain de lucidité et d’une prise de position justifiée par leur attachement au bien du peuple. La dissidence au sein du parti majoritaire a affaibli le régime de Compaoré parce que les démissionnaires, d’une part, ont été suivis par de nombreux militants acquis à leur cause et, d’autre part, ils ont été bien accueillis au sein de l’opposition politique qui a vu ses rangs se renforcer.

L’ambivalence de l’armée

L’armée comme force politique est une épée à double tranchant. Si l’armée qui n’est jamais neutre est d’ordinaire le bras armé de la minorité des gouvernants, elle peut aussi devenir à la faveur de certains évènements le bras armé de la majorité. Ce deuxième cas de figure explique comment l’armée a joué un rôle primordial lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Pierre Dabezies (1978) souligne que “toute mission répressive a elle-même pour effet de politiser l’armée, négativement par l’hostilité que son action suscite… positivement par le parti pris qui s’insinue dans ses rangs”. Le parti pris de l’armée en faveur du peuple lors de l’insurrection a été fatal au régime de Blaise Compaoré.

Les enjeux de la transition démocratique

La gestion de l’humeur du citoyen burkinabè

La colère d’indignation du citoyen burkinabè née de 27 ans de régime de Compaoré n’est pas encore tombée, comme en témoigne l’humeur anti-institutionnelle palpable dans le pays. Le citoyen tient désormais à participer effectivement et directement à la gestion du pouvoir et à la prise des décisions. Depuis le début de la transition, on ne compte plus les Directeurs généraux qui ont été limogés suite à la pression de la rue, des ministres ont également été évincés. Il s’agit souvent de personnes à la réputation douteuse parce que connues du public pour avoir commis impunément des abus sous le régime de Blaise Compaoré.

La restauration de la confiance entre militaires et civils

L’armée burkinabè se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins: la rupture d’un long processus de routinisation de la fonction militaire par Compaoré a conduit à un sentiment de crainte et de défiance envers l’armée. L’acceptation par le Lieutenant-colonel Zida à céder le fauteuil de Président de la transition à un civil, à peine un mois seulement après l’insurrection populaire qui a renversée Blaise Compaoré, est vue par certains comme le résultat de la pression de la communauté internationale, notamment de la part de la CEDEAO (Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest).

Une bonne partie de l’opinion publique considère qu’en dépit d’un civil à la tête de l’État et d’un autre à la tête du Conseil national de la transition (CNT), le régime demeure militaire. Les postes-clés sont entre les mains des militaires: premier ministre, ministre de la défense, ministre de l’administration territoriale, ministre de l’agriculture et ministre des mines. À en croire certains commentateurs, les militaires donnent l’impression d’avoir octroyé le pouvoir à un gouvernement civil, mais ce gouvernement reste sous leur contrôle. Insidieusement, les militaires condamnent ce gouvernement au succès. L’échec de la politique de ce nouveau gouvernement dit civil signifierait sa disqualification et remettrait en question la légitimité du civil à assumer le pouvoir d’État.

Dans son article contre la récupération de l’insurrection et l’accaparement des postes ministériels par l’armée, A. K. Sango (2014) a tenu les propos suivants: “Hélas ce que nous vivons aujourd’hui a été possible avec la bénédiction des acteurs civils que sont les leaders des partis politiques et de la société civile en raison de leur incapacité à mettre l’intérêt général au-dessus des ambitions personnelles». Avec la transition actuelle, plusieurs décennies après les évènements de 1966, de 1974 et de 1980, c’est la quatrième fois que l’incapacité, la défaillance, l’immaturité ou les querelles entre les élites civiles font la part belle à l’armée. L’année 2015 et les échéances électorales qui y sont liées s’annoncent comme une période charnière pour marquer une inflexion historique et remettre en question le caractère inextricable de l’armée et de l’exercice du pouvoir au Burkina Faso.

 

*Boureïma N. Ouedraogo est anthropologue et sociologue burkinabè, titulaire d’une Habilitation à Diriger des recherches de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Il enseigne à l’Université de Ouagadougou où il a été successivement chef du Département de sociologie, directeur du programme de formation des Adultes (DEDA).

Son dernier livre: Droit, démocratie et développement en Afrique. Un parfum de jasmin souffle sur le Burkina Faso, paru chez L’Harmattan en mars 2014, traite de l’épineuse question de la transition démocratique en Afrique, plus singulièrement au Burkina Faso. Ce livre a été reçu par l’opinion publique burkinabè comme un livre prophétique, puisque six mois après sa parution, une insurrection populaire a emporté le régime autoritaire de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans.

Boureïma N. Ouedraogo*, Docteur en sociologie, Université de Ouagadougou, Burkina Faso

Data de publicació: 01/2015

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