"Moyen Orient. L’effet de la bombe. Une carte commentée", Farhi & Mens

Par Farideh FARHI, Yann MENS , le 23 octobre 2013, diploweb

Yann Mens est Rédacteur en chef d’Alternatives Internationales. Farideh Farhi est Chercheure affiliée à l’Université de Hawaii (Mānoa, Etats-Unis).

Géopolitique du Moyen-Orient. Quatre pays sont équipés de l’arme nucléaire autour de l’Iran qui maintient que son programme est à finalité strictement civile.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de vous présenter une carte et deux textes extraits du n°60 d’Alternatives Internationales, septembre 2013, p. 33 et p. 38.

L’effet de la bombe. Yann Mens, Rédacteur en chef d’Alternatives Internationales

LA VASTE région qui s’étend de la Méditerranée à l’Inde présente une concentration exceptionnelle de puissances nucléaires militaires. Au nord, la Russie ; à l’ouest, Israël ; à l’est, l’Inde et le Pakistan. Seule parmi ces quatre pays, la Russie détient la bombe en vertu du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP). En effet, à l’instar des quatre autres pays qui avaient fabriqué cette arme avant la signature du texte en 1968 (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Chine), Moscou a été autorisée par le TNP à la conserver, en échange d’une très vague promesse de désarmement. Les autres pays signataires du Traité, c’est-à-dire la quasi-totalité des Etats du monde aujourd’hui, se sont engagés à ne pas acquérir la bombe (mais après l’avoir signé, la Corée du Nord s’en est retirée en 2003). Trois récalcitrants n’ont jamais adhéré au TNP : Israël, l’Inde et le Pakistan. Ne s’étant engagés à rien, ils détiennent aujourd’hui l’arme nucléaire légalement au vu du droit international, même si l’Etat hébreu ne l’a jamais officiellement reconnu pour ne pas embarrasser son allié américain. Signataire du TNP, l’Iran qui se trouve sous le feu potentiel de quatre puissances nucléaires, est soupçonné par les puissances occidentales de vouloir mettre au point clandestinement une telle arme, ou les moyens de la fabriquer à très court terme, en utilisant son programme civil d’enrichissement de l’uranium. Ce que Téhéran nie farouchement bien que le pays ait dissimulé à plusieurs reprises des éléments de son programme nucléaire à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).

M-O. L'effet de la bombe. Une carte commentée
Carte de l’Iran entouré de 4 puissances nucléaires
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Israël, la Russie, le Pakistan et l’Inde disposent de l’arme nucléaire

Le point de vue de Farideh Farhi, Chercheure affiliée à l’Université de Hawaii (Mānoa, Etats-Unis)

L’ELECTION de Hassan Rouhani à la présidence iranienne offre l’occasion aux puissances occidentales d’abandonner l’approche improductive qui a grevé les négociations avec Téhéran sur le dossier nucléaire depuis des années. D’ailleurs, il ne reste plus grand-chose à sanctionner en Iran, du moins si l’objectif n’est pas la déstabilisation du pays et une misère accrue pour sa population. Vu le chaos qui règne au Moyen Orient, un accord sur le nucléaire iranien est peut-être le seul sujet pour lequel les puissances occidentales soient à même d’améliorer une situation qui à l’inverse, pourrait échapper à tout contrôle si elle provoquait une nouvelle guerre.

Malgré tous les obstacles qui se dressaient face à lui, Rohani a été élu par la population iranienne. Une population qui refusait d’être réduite à l’inaction par les résultats contestés de l’élection présidentielle de 2009 et la répression qui l’a suivie. Poussé par deux anciens présidents, Akbar Hachemi Rafsanjani et Mohammad Khatami, les électeurs sont énergiquement entrés en lice pour soutenir le programme de Rohani qui s’est engagé à gérer l’économie avec« prudence », à interagir avec le reste du monde et à assouplir le climat politique interne.

Le soutien électoral qu’il a obtenu garantit que le nouveau président agira résolument pour convaincre ses interlocuteurs occidentaux, mais aussi les sceptiques en Iran, qu’il est possible de conclure par la voie diplomatique un accord qui d’une part respecte la souveraineté de l’Iran, c’est-à-dire le droit à enrichir de l’uranium que lui confèrele Traité de Non Prolifération Nucléaire, ainsi que la légitimité de la République Islamique à protéger cette souveraineté. Et qui d’autre part, rassure les Occidentaux, inquiets face à une potentielle militarisation du programme nucléaire. Pour l’instant, les services de renseignement occidentaux estiment que même si l’Iran continue à enrichir des quantités croissantes d’uranium à un taux plus élevé et pourrait théoriquement en avoir bientôt assez pour fabrique plusieurs bombes, il n’a pas encore décidé de le faire, laissant la porte ouverte à une telle option. Par ailleurs, les installations qui enrichissent de l’uranium sont surveillées 24h sur 24 par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) dont les rapports rappellent qu’elle n’a trouve aucune preuve de détournement de combustible à destination d’un programme militaire.

Hassan Rohani n’est pas seul décideur en Iran sur le dossier nucléaire, car l’autorité la plus importante du pays est le Guide, Ali Khamenei. Mais l’Iran n’est pas la dictature d’un homme. Le président peut donc, et doit, négocier avec les autres centres de pouvoir du pays. Tout accord auquel il parviendrait avec les puissances occidentales devra bénéficier d’un large soutien en Iran et ne pas être torpillé par des forces politiques le présentant comme une concession déséquilibrée aux puissances occidentales.

Pour autant, le président bénéficie d’une véritable marge de manœuvre pour tenter de conclure un accord « juste » qui prenne également en compte leurs inquiétudes occidentale. Le fait que Khamenei ait dit récemment à Rohani de ne pas faire confiance aux pays occidentaux doit être compris comme une position de repli pour le Guide en cas d’échec des négociations, sur le mode « je l’avais bien dit ». Et non pas comme une entrave dans la tentative pour parvenir à un accord. Il faut se souvenir qu’en 2003, lorsque Rohani était le négociateur iranien sur le dossier nucléaire, Khameni avait accepté, au moins temporairement, un régime d’inspection des installations nucléaires plus robuste. Il avait également autorisé la suspension de l’enrichissement pendant quelques mois. Mais en juin dernier, Rohani lui-même a rejeté l’hypothèse d’une nouvelle suspension dans l’avenir.

En portant à la présidence le visage raisonnable de l’Iran, les électeurs espèrent que les puissances occidentales leur présenteront elles aussi une face raisonnable. Or il n’est guère raisonnable de demander Téhéran des gestes immédiats à même de rétablir la confiance, tout en ne présentant en échange que de vagues promesses de pas significatifs dans l’avenir. Des promesses, qui vu le poids du Congrès américain sur de nombreuses sanctions, ne seront probablement pas réalisées de si tôt.

Le jugement de l’électorat iranien ne devrait pas être pris à la légère. Dans une région où les espoirs qu’avait soulevé la présidence Obama se sont envolés, l’incapacité à conclure un accord avec le visage raisonnable que présente aujourd’hui l’Iran sera perçu comme de la part de l’Occident comme une nouvelle volonté de présenter des exigences brutales sans avoir conscience de l’objectif final et des coûts qu’il suppose.

L’électorat iranien et les autorités du pays, Guide inclus, et son électorat étant sur la même ligne, au moins pour le moment, il sera plus difficile aux Occidentaux de justifier leur politique de sanctions complètes. A l’inverse, un accord visant à limiter le programme nucléaireiranien et à le placer sous un régime d’inspection robuste en échange d’une levée partielle des sanctions serait un succès de long terme pour les puissances occidentales. Mais ce ne sera possible que si elles ci adoptent aussi un visage raisonnable et renoncent à leur obsession de contraindre l’Iran à renoncer à pouvoir produire lui-même le cycle complet du combustible nucléaire, alors que le Conseil de Sécurité ne lui demande que de suspendre son programme afin de rétablir la confiance en une solution négociée.

Copyright pour les deux textes et la carte : Alternatives Internationales, n°60, septembre 2013, p. 33 et p. 38.