"Emma Bonino, l’expasionaria devenue chef de la diplomatie", 2013

Le Soir - 30 mai 2013

La nouvelle Ministre des Affaires Etrangères est l'une des plus combatives, des plus brillantes, des plus sérieuse et des plus attachantes personnalités du monde politique italien et européen

A la voir sur les photos officielles aux côtés de ses collègues, comme l’autre jour le secrétaire d’État américain John Kerry en visite à Rome, la ministre italienne des Affaires étrangères, Emma Bonino, apparaît bien menue et fragile. Presqu’une petite fille intimidée, vêtue d’une de ces vestes couleur bonbon acidulée qu’elle affectionne.


En réalité, il s’agit de l’une des plus combatives, des plus brillantes, des plus sérieuses et des plus attachantes personnalités du monde politique italien et européen. Jamais effleurée par le moindre scandale, toujours à l’avant-poste pour tant de bonnes causes : les droits de l’homme, la lutte contrez la faim dans le monde, contre la peine capitale, contre les mutilations génitales des femmes, etc.

Ce petit bout de femme née il y a 65 ans (le 9 mars 1948) à Bra, dans le Nord de l’Italie, après des études de Lettres à Milan, est « entrée » en politique comme on entre en religion, poussée par une sorte de nécessité morale. À la suite d’un avortement clandestin, en 1975, qui l’a profondément blessée.

C’était la grande époque des batailles menées par Marco Pannella et son Parti radical (PR) pour les droits civiques des Italiens. Après la bataille pour le divorce, définitivement remportée avec le référendum abrogatif où les « non » avaient prévalu, en 1974, le Parti radical s’était engagé sur un nouveau front, celui de la légalisation de l’avortement. Une véritable révolution dans ce pays où la démarcation entre l’État et l’Église n’a jamais été très claire – souvent pour de basses questions électorales !

C’est alors qu’Emma, « la pasionaria du PR », fut arrêtée pour la première fois : elle avait avoué avoir aidé des femmes à avorter et s’était retrouvée derrière les barreaux.

Une expérience qu’elle renouvellera à plusieurs reprises, aux États-Unis, en Pologne et en Afghanistan. Toujours au cours de batailles pour des droits civiques ou politiques.

Elle a 28 ans lorsqu’elle entre pour la première fois au Parlement, en 1976. Ensuite, pendant une vingtaine d’années, elle sera toujours élue, ou en Italie, ou au Parlement européen. En 1993, elle devient secrétaire du PR et, deux ans plus tard, elle se retrouve à Bruxelles, commissaire européen pour la Défense des consommateurs, la Pêche et, surtout ce qui lui tient le plus à cœur, l’aide humanitaire.

C’est ainsi qu’elle se rendra en Bosnie et, ensuite, en Afrique, au lendemain du génocide au Rwanda. Fondatrice, quelques années plus tôt, de l’ONG « No Peace Without Justice », elle ne pourra que constater que, dans l’un et dans l’autre cas, personne n’était intervenu pour empêcher des massacres. Elle poursuivra donc sa lutte pour la création d’une Cour pénale internationale.

En 1999, elle est candidate à la présidence de la république mais sa personnalité fait probablement un peu peur aux grands électeurs qui lui préféreront un homme tranquille : Carlo Azeglio Ciampi.

Deux ans plus tard, après le choc de l’attentat du 11 Septembre, l’infatigable Emma se rend au Caire pour étudier la langue et la culture arabes. Elle y restera près de 4 ans.

En 2006, cette européenne convaincue (« Dans ce monde global, il faut une politique au niveau continental ») revient à ses anciennes amours : elle est ministre des Affaires européennes du gouvernement Prodi. En 2008, elle est élue vice-présidente du Sénat.

En 2010, elle se présente aux élections régionales du Latium (Rome) qu’elle perd de justesse, notamment en raison d’une campagne menée contre elle par la Conférence épiscopale qui n’a pas oublié l’Emma des années Pannella.

Un passé lointain, cependant. Aux élections de février 2013, le petit parti de Pannella-Bonino obtient trop peu de voix pour siéger au Parlement. Mais, quelques semaines plus tard, on repense à Emma pour le Quirinal.

Fausse alerte. Cependant, lorsque le nouveau chef du gouvernement, Enrico Letta, annonce la composition de son équipe, personne ne s’étonne de retrouver aux Affaires étrangères cette femme à poigne, avec une grande expérience européenne et internationale, polyglotte de surcroît !