"Présidentielle en République tchèque: même style, nouvelle orientation?", André Kapsas

Par André Kapsas*
Le 15/03/2013, regard-est

En janvier 2013, pour la première fois de leur histoire, les Tchèques ont élu leur Président au suffrage universel. Auparavant, le chef de l’État était en effet choisi par le Parlement. Même si la Constitution ne confère que peu de pouvoirs au Président, la course au Château de Prague a passionné le pays.

 

À la suite d'une campagne marquée, notamment durant l’entre-deux tours, par le populisme et la xénophobie, le candidat de gauche, Miloš Zeman, a défait le ministre des Affaires étrangères conservateur en poste, Karel Schwarzenberg. Dès son élection, M.Zeman a exprimé son intention de s'impliquer le plus possible dans les affaires politiques et a même appelé à la démission du gouvernement actuel. Ses déclarations ainsi que son passé controversé laissent penser que ce Président a bien l’intention de prendre de la place.

Une élection «sale»

Au lendemain du premier tour, les 11 et 12 janvier 2013, les deux vainqueurs s'étaient promis une campagne propre. «Qui fait une campagne essentiellement négative se fait lui-même du tort», avait alors affirmé Miloš Zeman[1]. Puis tout a changé à une semaine du second tour, après les déclarations de Karel Schwarzenberg à propos de la douloureuse question des décrets Beneš qui, en 1945, avaient légalisé l'expulsion de la minorité allemande de Tchécoslovaquie. Selon lui, à la lumière des critères actuels, cette expulsion serait aujourd'hui considérée comme une atteinte aux droits de l'homme et les responsables se retrouveraient devant la Cour internationale de justice de La Haye.

L'équipe de Miloš Zeman a eu tôt fait de se saisir de cette opportunité, servie sur un plateau d'argent, et la campagne a alors pris un tournant xénophobe certain. La «tchéquité» de Schwarzenberg est devenue le principal thème du second tour et des détails aussi compromettants que mensongers sur lui et sa famille ont été diffusés jour après jour. Jouant sur son nom germanophone, sur le prétendu passé nazi de sa famille, sur son long exil en Autriche et jusqu’à son épouse autrichienne, le camp Zeman a montré que la propagande anti-allemande est toujours porteuse en République tchèque.

L’apothéose de cette campagne peu digne fut atteinte avec la publication d'un inséré mensonger dans le tabloïd le plus populaire du pays, Blesk, lors du second tour organisé les 25 et 26 janvier. Publié par un avocat ayant commencé sa carrière dans la police secrète communiste, l'inséré avertissait les électeurs que K.Schwarzenberg voulait restituer les biens des Allemands expulsés[2]. Si l'équipe de Zeman s'est évidemment distancée de cette initiative, celle-ci ne s’en est pas moins parfaitement inscrite dans le style de la campagne. La Cour supérieure administrative a d'ailleurs reçu une centaine de plaintes concernant la campagne. Tout en reconnaissant que plusieurs des déclarations de M.Zeman étaient mensongères, elle a néanmoins rejeté toute révision des résultats.

Les fantômes du passé

Dans un premier temps, la candidature de M.Zeman s’est heurtée à la forte animosité d'une partie des médias et de la société civile. L'ancien Premier ministre s’est effectivement fait beaucoup d'ennemis lors de son passage au pouvoir entre 1998 et 2002, à l'époque du fameux «contrat d'opposition»: le parti social-démocrate (ČSSD) de Miloš Zeman avait alors conclu un accord avec le parti de droite (ODS), entente perçue par nombre d’analystes politiques comme un partage du gâteau par les deux principales formations politiques du pays. Le parti sortant, ODS, voyait en effet interrompues toutes les enquêtes concernant son financement illicite et ses combines liées à la privatisation, en échange de son soutien sans faille au gouvernement social-démocrate. En l’absence d'opposition, la corruption a fleuri et les institutions démocratiques ont été affaiblies. Ainsi, de 1997 à 2003, la République tchèque a chuté brutalement dans l'index de démocratisation publié par Freedom House[3].

Le style agressif et les agissements peu clairs de Zeman conduisirent à sa chute en 2002 et il passa une décennie dans l'ombre. Son arrivée au Château de Prague, siège du Président, fait craindre un retour à certaines pratiques associées aux années 1990. Ses relations avec les médias ne se sont pas améliorées. Une bonne partie de la presse a d’ailleurs dénoncé ses mensonges et pris position en faveur de son adversaire, tandis que lui se complaisait dans son rôle de victime. Lors de son investiture, le 8 mars, M.Zeman a d'ailleurs identifié les médias comme la troisième force négative dans le pays après l'extrême droite (pourtant faible) et les groupes mafieux. Cette déclaration lui a valu les applaudissements enthousiastes des invités présents.

Si le nouveau Président a réussi à convaincre les électeurs qu'il avait muri et s'était distancé de ceux qui avaient incarné les pratiques mafieuses du temps du contrat d'opposition, les observateurs y ont plutôt vu une tactique électorale. En effet, le soir même de la victoire de M.Zeman, son éminence grise –marquée par d'innombrables scandales–, Miroslav Šlouf, s’affichait à ses côtés. Lorsque Zeman était chef du gouvernement, des enregistrements avaient notamment révélé les liens entre le monde interlope tchèque et Šlouf. D’excellente humeur au soir de la victoire, celui-ci se vantait auprès des journalistes d’avoir conseillé Zeman tout au long de la campagne mais de l’avoir invité à maintenir une distance avec lui avant le scrutin.

D'ailleurs, le financement douteux de la campagne électorale de Miloš Zeman pourrait lui causer des problèmes. Des mois avant le début officiel de la campagne, les journalistes s'étaient déjà étonnés de ces énormes panneaux publicitaires affichés le long des routes: combien ces panneaux avaient-ils pu coûter à un candidat qui n’était alors considéré que comme un challenger? La campagne du nouveau Président a, semble-t-il, coûté beaucoup plus cher que ce qu’il prétend. Le compte électoral de M.Zeman, rendu public comme le veut la loi, indique plusieurs dons importants sans indication précise d’origine. Certains journalistes spéculent sur la provenance de ces dons, citant notamment l'implication de Martin Nejedlý, vice-président du Parti des droits civiques (SPO, fondé par M.Zeman en 2009) et, surtout, président de la branche tchèque du géant russe de l'énergie Lukoil[4]. Les comptes finaux ne seront dévoilés qu'en avril 2014. D'ici là, Zeman peut donc respirer.

Une présidence active?

La République tchèque a beau être un régime parlementaire, le Président a néanmoins une place traditionnellement importante. Comme l’ont montré Václav Havel et Václav Klaus dans le cadre de leurs mandats, le rôle que jouera Miloš Zeman dépend de ses ambitions. En effet, les présidents tchèques, de même que leurs prédécesseurs tchécoslovaques, ont souvent réussi à peser sur la vie politique, et ce grâce à leur stature plus qu'à leurs pouvoirs. V.Klaus n'a jamais hésité à exprimer son opinion et à faire pression sur le gouvernement. On se souvient qu'en 2009, il avait réussi à tenir l'Union européenne en haleine en refusant de signer le traité de Lisbonne pendant des mois. De plus, ses fréquentes déclarations eurosceptiques, voire anti-UE, ont refroidi les relations entre Prague et les autres capitales européennes.

M.Zeman a indiqué d'emblée qu'il comptait marcher dans les pas de ses prédécesseurs. Dès son élection, il a appelé le gouvernement de centre-droit à démissionner. Selon des sondages récents, la gauche est en pleine ascension, le parti social-démocrate (ČSSD) récoltant 38% des intentions de vote et le parti communiste (KSČM) 17,5%[5]. Si ce dernier était jusque-là tenu à l'écart et si sa participation dans une coalition de gauche était, par principe, rejetée par le ČSSD, il n’est pas exclu que les prochaines élections législatives, prévues pour mai 2014, permettent un retour des communistes au pouvoir. Au niveau régional, le scrutin de l'automne 2012 a d’ailleurs conduit à la formation de plusieurs coalitions entre sociaux-démocrates et communistes, et ce malgré les protestations citoyennes.

M.Zeman a déjà annoncé qu'il accepterait de nommer un gouvernement incluant un des derniers partis communistes non-réformés d'Europe. Il n’avait pas hésité à aller courtiser les électeurs communistes avant le premier tour et il pourrait bien s’employer à redorer le blason des «camarades». N'a-t-il pas été lui-même membre du Parti communiste, certes pour une courte période, entre 1968 et 1970? Les plaies du passé totalitaire ne sont pas encore refermées, néanmoins, et le sujet de la participation du KSČM à la vie politique divise toujours le pays.

L'un des facteurs qui détermineront le poids du nouveau Président sera sa capacité à transformer son succès électoral en gains pour son propre parti politique. En effet, Miloš Zeman était déjà brièvement sorti de sa retraite à l'occasion des élections législatives de 2010, alors que son Parti des droits civiques avait fait chou blanc. Si les sondages récents ne prédisent toujours pas le passage de la barre des 5% nécessaires à leur entrée au Parlement, les «Zémanovistes» pourraient surfer sur la vague de popularité du nouveau chef de l'État et jouer un rôle lors de la prochaine législature. Auquel cas, et surtout si son parti se joint à une éventuelle coalition, le Président aura une influence directe sur le processus législatif et, qui sait, sur le gouvernement.

Il ne faudra toutefois pas attendre les élections législatives pour voir quel style Miloš Zeman adoptera. En effet, il va être amené à montrer ses couleurs dès les prochains mois, alors qu'il va devoir combler les postes des deux-tiers de la Cour constitutionnelle et de la direction de la Banque nationale. Ce genre de prises de décisions avait déjà provoqué des étincelles dans le passé, lorsque le Sénat avait refusé les juges proposés par Václav Klaus, par exemple. La nouvelle orientation de la Banque nationale pourrait aussi marquer des changements dans la politique économique tchèque, puisque les candidats mentionnés par Zeman sont favorables, tout comme lui, à une adhésion à la zone euro.

La paix avec l'Europe

Si la campagne a suscité un tollé en Allemagne, où les accents germanophobes ont eu un certain retentissement, le nouveau Président devrait tout de même contribuer à l’apaisement des relations avec l'Europe en général. Le nouveau chef de l’État devrait rompre avec l’habitude qu’avait son prédécesseur de proférer des propos incendiaires à l’encontre de Bruxelles. Calmer le jeu avec Bruxelles –et avec l'Allemagne, premier partenaire économique de la République tchèque– fera donc certainement partie des priorités. L'adoption de l'euro en 2017 devrait aussi rapprocher le pays des idées fédéralistes européennes, même si Zeman s’est prononcé contre l'adhésion au Pacte budgétaire européen avant l'entrée de son pays dans la zone euro.

Le 8 mars 2013, le nouveau Président n'a même pas mentionné la politique étrangère lors de son investiture, ce qui laisse penser qu'il n'y accorde pas une grande importance et qu'il n'ira pas à contre-courant du gouvernement sur ces questions-là, contrairement à ce que faisait V.Klaus. Qui plus est, l'arrivée probable des sociaux-démocrates au pouvoir rapprochera encore plus le gouvernement du Président en la matière, ce qui devrait améliorer la cohésion.

Si l'Union européenne peut se féliciter du remplacement de l'eurosceptique Klaus par Zeman, les Tchèques se demandent s’ils n’auront pas à regretter leur choix. Il paraît bien légitime de craindre le style démagogique du nouveau Président, ainsi que le retour à certaines pratiques corrompues des années 1990 ou l'influence croissante du Parti communiste. Le passé de Miloš Zeman ne parle donc pas vraiment en sa faveur. Mais le pays a beaucoup changé et, avec lui, la société civile désormais apte, semble-t-il, à se mobiliser. Et, qui sait, peut-être Zeman a-t-il lui-même changé?

Notes:
[1] «Negativní kampaň nechystáme, slíbili Zeman i Schwarzenberg», Zpravy, 13 janvier 2013, http://zpravy.e15.cz/domaci/politika/negativni-kampan-nechystame-slibili-zeman-i-schwarzenberg-946433
[2] «Advokát s pochybnou minulostí v StB objednal inzerát proti Schwarzenbergovi. Ten se brání», IHNED.cz, 25 janvier 2013, http://zpravy.ihned.cz/c1-59193690-blesk-otiskl-inzerat-proti-schwarzenbergovi-ten-podal-trestni-oznameni
[3] Milada Anna Vachudova, Europe Undivided: Democracy, Leverage, and Integration After Communism, Oxford University Press, Oxford, 2005.
[4] «Kdo financoval Zemanovu kampaň? To se dozvíme až v dubnu 2014», IHNED.cz, 10 janvier 2013, http://zpravy.ihned.cz/c1-59093490-kdo-plati-kampan-milose-zemana
[5] «Díky prezidentským volbám posiluje TOP 09. Zemanovci by se do sněmovny nedostali», IHNED.cz, 30 janvier 2013, http://vyhledavani.ihned.cz/109-59221990-on-zeman-00000S_d-4f

*Étudiant à la maîtrise UCL (London) et Université Charles (Prague)

Vignette: Affiche de campagne dans les rues de Prague quelques jours avant le premier tour de la présidentielle. «Qui peut défaire Zeman?» et, ajouté au crayon: «Karel». © A.Kapsas.