nord du Kosovo: Mitrovica retient son souffle

 | De notre correspondante à Pristina | lundi 21 novembre 2022

La tension ne cesse de monter entre le Kosovo et la Serbie. À Mitrovica, les Serbes du Nord et les Albanais du Sud redoutent que la situation dégénère si aucun compromis n’est trouvé sur le report du plan organisant la ré-immatriculation des véhicules portant des plaques de Belgrade. Reportage.

Par Julie Chauvin

Ambiance lugubre à Mitrovica, ville tristement célèbre pour être le symbole des divisions entre Serbes et Albanais du Kosovo. Depuis quelques jours, les véhicules blindés de la KFOR surveillent le grand pont censé relier les deux parties de la ville, mais qui reste interdits à la circulation automobile. « C’est angoissant de voir toute cette sécurité, on pense immédiatement au pire », s’inquiète Edin, une jeune Albanais de la partie sud.

Accrochés sur les fils à linge des balcons, tels des draps suspendus, les drapeaux serbes ont envahi les rues de Mitrovica Nord. Des groupes organisés ont distribué massivement ces fanions. Pour montrer leur soutien au gouvernement d’Aleksandar Vučić, les habitants doivent l’afficher publiquement. Ils sont donc suspendus aux lampadaires, exposés dans les vitrines des commerces ou encore tagués sur les murs, de sorte que chaque parcelle de la ville est recouverte des couleurs rouge, bleu et blanc, celles du drapeau serbe. « Le Kosovo, c’est la Serbie et ces drapeaux nous permettent de revendiquer ce territoire », explique Goran, assis à la terrasse d’un café.

Aux abords du pont, le marché du samedi matin est désert. Fruits et légumes, raki, fromages frais… Le chiffre d’affaires des commerçants subit les conséquences du climat anxiogène qui règne en ce moment alors que les tensions sont à leur comble depuis le 1er novembre et la volonté du gouvernement de Pristina d’en finir d’ici le printemps 2023 avec les plaques d’immatriculations émises par Belgrade. « En ce moment, personne n’ose traverser le pont. Les gens ont peur. Normalement, ce marché est un lieu mixte. Albanais et Serbes viennent y faire leurs courses », déplore Sima, l’une des commerçantes.

Dans les rues du nord de la ville, une odeur de peinture fraîche émane des murs. Des graffitis faisant appel à l’identité serbe pour « encourager la résistance aux autorités du Kosovo » sont brusquement apparus. « Le 21 novembre, il est du devoir de chacun de résister, à chaque étape » peut-on lire sur les pavés de la rue piétonne, ces graffitis sont signés par une mystérieuse « brigade nord ».

Beaucoup craignent que la situation s’envenime, l’atmosphère est très tendue.

Si aucun compromis n’est trouvé à Bruxelles ce lundi entre Aleksandar Vučić et Albin Kurti, les autorités kosovares prévoient de commencer à infliger une amende pouvant atteindre 150 euros aux automobilistes disposant d’une plaque d’immatriculation serbe. « Beaucoup craignent que la situation s’envenime en début de semaine, l’atmosphère est très tendue à Mitrovica. La deadline approche, et toujours aucun compromis n’a été trouvé » s’inquiète Miodrag Marinković, directeur du Centre d’actions sociales positives.

Depuis de longs mois, les dirigeants serbe et kosovar se livrent à un duel à distance, chacun campant sur ses positions et accusant l’autre de provocations. Après la démission collective des Serbes de toutes les institutions du Kosovo le 5 novembre, l’Union européenne et les États-Unis ont encore demandé à Pristina de relâcher la pression sur les plaques et de reporter la mise en œuvre des sanctions prévues. Mais Albin Kurti refuse de céder, mettant notamment en avant des questions de souveraineté et de réciprocité pour justifier son obstination. Selon les estimations, 9000 véhicules porteraient toujours des plaques serbes vieillissantes dans le Nord du Kosovo.

L’implantation de ces mesures a déjà entraîné des violences dans la ville de Mitrovica comme en témoigne Mirko [1], habitant de Mitrovica nord. « Par conviction politique, je ne voulais pas changer ma plaque serbe, j’ai finalement décidé de le faire pour ne pas avoir d’amende et ma voiture a été brûlée quelques jours après », soupire-t-il.

Je ne sais pas qui appeler quand on a un problème, les policiers ont démissionné.

À Mitrovica Nord, les uniformes bleus de la police ont disparu, conséquence de la démission collective du 5 novembre. Pour certains habitants, cette action laisse planer un climat d’incertitude. « Je ne sais pas qui appeler quand on a un problème, les policiers ont démissionné, je ne me sens plus en sécurité ici », raconte avec émotion Erna, jeune collégienne. Elle n’est pas la seule à partager ce constat. « Les femmes victimes de violence sont encore plus isolées, elles ne peuvent plus appeler la police. On craint une augmentation de ces violences. Il est important que ces responsables reprennent leur travail pour la sécurité des citoyens », alerte Miodrag Marinković. D’autres, comme Mirko [2], assurent que les violences sont en hausse. Lui-même a préféré changé sa plaque, contre sa conviction insiste-t-il, de peur d’être verbalisé.

Pour restaurer un semblant de normalité administrative et institutionnelle dans le Nord, la présidente du Kosovo a fixé au 18 décembre prochain la tenue d’élections anticipées dans les quatre municipalités du Nord. La Lista Sprska, téléguidée par Belgrade, a immédiatement annoncé son boycott. Or, « sans ce parti, personne ne va aller voter, le boycott va continuer », déplore Katerina, qui étudie à Mitrovica-Nord, dans une des universités financées par Belgrade.

Les habitants, du nord comme du sud de la ville, pâtissent de la rupture du dialogue entre Belgrade et Pristina, qui s’éternise. Tous espèrent néanmoins qu’un compromis pourra être enfin trouvé cette semaine à Bruxelles. « Si rien n’est fait, j’ai peur que cela se transforme en règlement de compte ethnique. On traverse la plus grosse crise d’après-guerre, les politiques doivent trouver un accord avant que tout ne parte en fumée », s’alarme le directeur de l’ONG, sous couvert d’anonymat. Dans la rue piétonne de la ville, bien peu animée, quelques rires d’enfants qui jouent au ballon. Leur insouciance contraste douloureusement avec le climat pesant qui règne à Mitrovica.

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Notes

[1Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la personne

[2Le prénom a été modifié

NORD DU KOSOVO : MI