"Sud-Kivu: les Maï Maï recrutent", Thierry Vircoulon

MFC

Mis en ligne le 08/03/2012, lalibre.be

Thierry Vircoulon (ICG) analyse la situation post-électorale.

Durant la campagne électorale, Kinshasa a fait les habituelles promesses d’intégration dans l’armée aux chefs Maï Maï (1) pour avoir la paix pour les élections. Aujourd’hui, les autorités relancent les opérations militaires contre eux. Le contexte post-électoral est évidemment tendu dans les deux Kivus."

Thierry Vircoulon est directeur pour l’Afrique centrale à l’International Crisis Group (ICG). Nous l’avons interrogé à son retour du Sud-Kivu, "paradis des milices", sur la tension croissante qu’il y a trouvé.

L’analyste s’est rendu dans la région de Fizi et à Uvira. La première est passée à l’opposition, l’autre restée à la majorité présidentielle. "Quand il est venu faire campagne à Fizi, Joseph Kabila s’était excusé de la "dette à payer" qu’il y avait contractée en ne réalisant pas ses promesses de la campagne de 2006 ; il avait été hué." Aux législatives, c’est le candidat de l’UDPS (parti de Tshisekedi) qui l’a emporté, suivi par un indépendant puis par un candidat de la mouvance présidentielle - "qui avait un discours ambigu puisqu’il donnait raison à l’opposition".

La perte de Fizi s’explique par plusieurs facteurs, analyse M. Vircoulon. "Le non-respect des promesses de 2006: Fizi n’a toujours ni eau, ni électricité. La présence de régiments de l’armée nationale commandés par des Tutsis - soit des Banyamulenge (2), soit (et surtout) des CNDP (3), venus pour l’essentiel du Nord-Kivu ; l’opposition est nette entre ces structures militaires non autochtones et le fort sentiment autonomiste qui règne au Sud-Kivu, où tous les candidats se présentaient comme des "originaires". Enfin, la région a vu se détériorer la situation militaire à la mi-2011, avec une reprise des opérations de l’armée au dernier trimestre contre les FDLR (4) et les Maï Maï, ce qui a accru l’agressivité des FDLR, jugés "calmes" jusque-là parce que plus ou moins intégrés à la société locale", explique Thierry Vircoulon.

Comment expliquer que les FDLR, rwandais, soient mieux acceptés que les Tutsis congolais que sont les Banyamulenge, autochtones, et les ex-CNDP, du Nord-Kivu ? "Cela s’explique par l’antagonisme historique local entre les Banyamulenge, qui vivent isolés sur les hauts plateaux, et les Babembe et Bafulero qui vivent en bas - antagonisme né de la vieille rivalité entre éleveurs et agriculteurs. Quant aux militaires issus du CNDP, ils ne sont pas de là. Leur présence gêne même les Banyamulenge intégrés dans l’armée qui, comme d’autres groupes armés intégrés, veulent juste l’uniforme et les grades de l’armée nationale, mais pas obéir à des gens d’ailleurs ; ils veulent contrôler leur territoire. La multiplication des intégrations de groupes rebelles a fait de l’armée une structure où les groupes continuent leur guerre en interne mais où il n’y a ni articulation financière, ni articulation d’autorité."

Thierry Vircoulon a fait une autre constatation : "Dans les zones rurales profondes, nombreuses au Sud-Kivu (moyens et hauts plateaux, forêt de l’Itombwé), il n’y a pas eu d’élection parce que le matériel n’est pas arrivé faute de voies d’accès et d’une logistique appropriée. La population du rural profond a été de facto exclue du vote".

La circonscription d’Uvira - ville de 200 000 habitants - est, elle, restée à la majorité présidentielle, qui y remporte 4 sièges sur 5. "Cela s’explique, semble-t-il, par la distribution d’argent aux électeurs et la corruption de responsables électoraux. Parce que les promesses de 2006 n’ont pas été tenues là non plus et Uvira est aussi sans eau, ni électricité. Mais comme la ville est frontalière, il y a une activité économique. Il est quand même caractéristique que le mwami (roi ) des Bafulero, qui se présentait pour la majorité présidentielle, a été battu, alors que l’autorité des mwamis n’est normalement pas contestée ; les résultats officiels prêtent à suspicion."

Après les élections, le Sud-Kivu est resté tendu. "Quand les résultats de Fizi ont été connus, les gens ont d’abord craint des représailles de l’armée. Et aujourd’hui, ils craignent une réaction des Maï Maï - qui avaient pris clairement position contre Kabila - à la proclamation de la victoire de la majorité présidentielle. On signale de nouveaux recrutements, chez les Maï Maï - au Nord-Kivu aussi. L’armée a pris les devants en lançant des opérations contre les Maï Maï et FDLR depuis février mais, comme d’habitude, ces opérations ne font que disperser les groupes rebelles. Elles ne les neutralisent pas", conclut Thierry Vircoulon.

 

(1) Groupes armés congolais disparates.

(2) Tutsis des hauts plateaux du Sud-Kivu.

(3) Ex-rébellion de Tutsis dirigée par Laurent Nkunda puis intégrée dans l’armée, où elle occupe de nombreux postes de commandement.

(4) Rebelles hutus rwandais issus des génocidaires.