*Les incertitudes de l’identité ukrainienne*, François de Jabrun

http://www.diploweb.com/Les-incertitudes-de-l-identite.html

Par François de JABRUN *, le 24 décembre 2008.

* Chef de bataillon (Armée de Terre, France), Collège interarmées de défense, 15e promotion, 2007-2008.

Géopolitique de l’Ukraine. Quatre ans après la Révolution orange, le défi de l’Ukraine reste notamment de réussir à dépasser les antagonismes identitaires latents que lui ont légués l’histoire et la géographie. Les Ukrainiens ne parlent pas tous la même langue aujourd’hui. La population ukrainienne est ukrainophone ou russophone, ou encore mélange les deux langues. L’identité ukrainienne s’appuie donc sur une langue slave dont les expressions sont plurielles. Les Ukrainiens sont majoritairement chrétiens mais leur foi ne s’exprime pas dans les mêmes églises. A côté de la particularité gréco-catholique, trois Eglises orthodoxes concurrentes accueillent les fidèles ukrainiens du territoire et de l’émigration. Le rapprochement religieux autour de Kiev, cette capitale de l’orthodoxie, n’apparaît pas probable. Même l’expression politique souffre de ces divisions. Partis et leaders politiques s’opposent dans la répartition politique de leur électorat mais aussi dans l’approche des liens à maintenir ou à modifier avec les voisins de l’Ukraine.

Mémoire de géopolitique rédigé au CID dans le cadre du séminaire : « Les questions identitaires dans les équilibres internationaux », sous la direction de François Thual.

INTRODUCTION

« Plus nombreux que les Polonais, plus virils et plus cultivés que les Roumains, plus loyaux envers leurs aspirations nationales que les Tchèques eux-mêmes, ils forment la nation la plus romantique de l’Europe – la nation que personne ne connait. » [1]

PAYS DE L’EUROPE ORIENTALE, la république d’Ukraine née en 1991 rassemble, pour la première fois de son histoire, la majeure partie des populations ukrainiennes. Ce ne fut pas toujours le cas et explique combien difficile est la construction de son identité.

L’identité d’un peuple repose sur quelques fondements essentiels qui lui permettent de s’épanouir et de se révéler. En Europe, l’achèvement de la construction d’une identité aboutit généralement sous la forme d’un Etat-nation. Ce qui construit initialement l’identité d’un peuple est ce par quoi les hommes de ce peuple se reconnaissent identiques. Elle s’exprime évidemment par une communauté de langue, de religion, de traditions culturelles. Elle nécessite toutefois un territoire défini sur lequel s’exprimer. Sans terre, sans frontières, un peuple est en errance et la source de nombreux conflits est cette quête territoriale, corollaire de l’expression identitaire. L’identité est donc marquée par la géographie et par l’histoire qui, toutes deux, peuvent se jouer de l’identité.

La construction d’une identité suit donc un processus lent. Il part de la reconnaissance de ces caractères communs et se poursuit jusqu’à trouver son expression ultime dans un mode d’organisation établi, comme l’Etat-nation en Europe. Le cas ukrainien est, à cet égard, singulièrement révélateur. Cette « nation que personne ne connaît  » en 1934 est une nation que l’Europe redécouvre aujourd’hui. L’identité ukrainienne peine aujourd’hui à atteindre l’âge adulte. Fruit de courants contraires ou parallèles, inscrits dans le temps, elle cherche maintenant à sortir de ses incertitudes. Le choix a priori simple entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale est en vérité plus complexe. Sur les deux rives du Dniepr, les Ukrainiens ont des repères différents. La route vers la pleine expression d’une identité unique en Ukraine ne semble pas achevée.

L’histoire n’a guère été généreuse pour l’identité ukrainienne tant l’Ukraine, « fantôme de l’Europe » [2], a été occupée et partagée par ses puissants voisins au cours des siècles. Bien que ceux-ci n’aient laissé que peu d’espace à l’expression des Ukrainiens, des formes de revendication identitaire ont toutefois réussi à éclore lentement mais sans cohérence. Le défi actuel de l’Ukraine serait d’achever sa quête identitaire dont les caractéristiques semblent opposées.

I. L’UKRAINE, « FANTOME DE L’EUROPE »

L’histoire a longtemps freiné la construction de l’identité ukrainienne

Voltaire écrivait : « l’Ukraine a toujours aspiré à être libre ; mais entourée de la Moscovie, des états du Grand seigneur et de la Pologne, il lui a fallu chercher un protecteur, et par conséquent un maître dans l’un de ces trois Etats  » [3].

Si l’on prend comme référence les frontières actuelles de l’Ukraine, un bref aperçu historique révèle combien difficile a pu être l’affirmation des Ukrainiens en Ukraine au cours des siècles. Les Ukrainiens n’ont un territoire ukrainien véritablement reconnu et stabilisé que depuis la fin de l’URSS (1991). Auparavant, l’Ukraine est le jouet des rivalités de puissances voisines et passe sous leur domination.

1. AVEC LA ROUS’ DE KIEV, QUAND L’HISTOIRE DEVIENT MYTHE

Le territoire ukrainien n’est pas une réalité géographique et politique jusqu’au XXème siècle. Son histoire originelle ne semble lui offrir qu’une origine mythique exprimée dans la Rous de Kiev.

Dans l’Antiquité, la steppe de l’Ukraine n’est qu’une terre de passage

Sa steppe est d’abord la zone de passage de peuplades venues de l’Oural et de la Caspienne. Les Kourganes atteignent les rives de la Mer Noire vers le cinquième millénaire et disparaissent vers l’an 2000 avant Jésus-Christ. Ils sont suivis par d’autres tribus qui ne se fixent pas sur ce territoire. Ce sont les Cimmériens de 2000 à 700 avant notre ère, puis les Scythes jusqu’en 339 avant Jésus-Christ et les Sarmates jusqu’au IIème siècle de notre ère. Ces tribus laissent peu de traces de leur passage. Les Grecs installent des comptoirs sur la rive de la Mer Noire dès le Vème siècle. Les colonies de Tyras, Olbia, Chersonnèse et de Perticapée sont des ports céréaliers permettant de relier la Méditerranée. Elles sont majoritairement détruites par les invasions des Huns vers 270. L’Empire romain puis byzantin prend ensuite la relève en se limitant toujours à la frange côtière et à la Crimée entre les Vème et XVème siècles.

Slaves et Varègues se rencontrent pour créer un nouvel Empire

Au 7ème siècle, des tribus slaves arrivent du nord et s’installent le long des rives des principaux fleuves. Le Boug, le Dniepr et leurs affluents voient donc se développer une société essentiellement rurale. Les premiers centres d’échange apparaissent et font éclore les premières villes dont Kiev [4]. La société de ces Slaves orientaux repose sur un système familial et patriarcal. Bien qu’ils parlent une langue commune, le protoslavon, ils n’ont aucune unité politique.

Leurs sociétés sont organisées par des immigrés venus du nord. Les Varègues [5] (Vikings) descendent les fleuves afin de relier la Baltique à la Mer Noire. A la demande des tribus slaves, ils se chargent de l’organisation sociale le long des fleuves et développent les cités. Ils adoptent les mœurs et la langue des Slaves mais constituent la classe dirigeante. Autour des villes, leurs chefs débutent une première unification politique comme en 802 Rurik, le prince de Novgorod. Son fils, Oleg, s’empare de Kiev en 882 et fonde un Etat plus vaste. La Rous’ [6] de Kiev est née. La dynastie des Rurikides étend cet empire en soumettant les tribus locales et en développant sa capitale, Kiev. Les princes de Kiev vont jusqu’à assiéger Constantinople en 911 et à obtenir un traité de commerce avec l’empire byzantin.

La Rous’ poursuit son essor malgré deux sources chroniques d’instabilité : la succession n’est pas héréditaire mais l’unité est garantie par la soumission des cadets à l’aîné, d’autres tribus orientales progressent vers les steppes. Wladimir (960-1015) conquiert la Volhynie et la Galicie qu’il prend aux Polonais. Il s’allie aux empereurs byzantins dont il épouse la sœur, Anne, en 989. Kiev est au faîte de sa puissance. En 988, il se fait baptiser dans la foi chrétienne. Acte autant politique que religieux, il fonde la chrétienté slave. Le peuple se convertit au christianisme mais ne se vassalise pas à Byzance. La Rous’ entre dans le monde chrétien et peut nouer des contacts avec les grands royaumes de l’Occident. La fille de Wladimir, Anne, épouse ainsi le roi de France, Henri 1er en 1051. L’apogée de la Rous’ s’exprime aussi dans un foisonnement artistique dont Kiev est le cœur. Le premier « art russe » s’exprime dans les églises à plan carré, à trois absides et de multiples coupoles. La cathédrale Sainte-Sophie, une école théologique, une bibliothèque, le code législatif de la rouskaïa pravda sont autant d’expressions de cet essor de la culture roussienne.

Les luttes internes conduisent ensuite à l’émiettement de cet empire en de nombreuses principautés. La Rous’ disparait lorsque les Mongols s’emparent de Kiev en 1240. Quelques population fuient vers les Carpates et se réorganisent dans un petit Etat indépendant autour de Lvov, la principauté de Halitsch-Volhynie. Celle-ci sera cependant vassalisée par la Lithuanie.

Qui pourrait être l’héritier de la Rous’ de Kiev ?

L’héritage de la Rous’ est une question cruciale de la formation des identités russe et ukrainienne. Les nationalistes ukrainiens ont toujours tenté une captation de cet héritage. Est-ce justifié ?

Il est certes évident que la Rous a fourni les premiers éléments de l’identité ukrainienne. Les Ukrainiens sont des Slaves issus du mélange de ces tribus et des Varègues. La langue ukrainienne est issue du protoslavon. La conversion de Wladimir inscrit le christianisme oriental dans l’identité ukrainienne et Kiev, centre spirituel de cette chrétienté slave, est la mère de toutes les villes russes. Les Ukrainiens peuvent donc, à raison, se réclamer de la Rous’ de Kiev.

Ils ne sont toutefois pas les seuls descendants de cet Empire. Russes et biélorusses peuvent légitimement réclamer leur part d’héritage slave et chrétien oriental. Leurs langues aussi découlent du protoslavon. L’héritage est donc partagé par ces trois peuples slaves orientaux. Une carte de la Rous’ montre combien son étendue dépassait au nord les frontières de l’actuelle Ukraine.

Par ailleurs, après l’invasion mongole, Kiev perd sa prééminence aux dépens de Moscou. Pour les Russes, le cœur de la Rous’ se serait déplacé vers le nord. Il leur semble tout légitime que la Moscovie soit le descendant de la Rous’. Pour eux, la Rous’ perdure et la Russie doit en rassembler les héritiers sous sa coupe. Biélorusses et Ukrainiens devraient donc lui être soumis. Leur lecture historique justifiera et justifierait encore la négation de cette identité ukrainienne. C’est la raison pour laquelle ils appellent l’Ukraine, Malo Russia, petite Russie.

L’héritage de la Rous ne peut donc être capté uniquement par les Ukrainiens. Leurs arguments justifient les arguments contraires des Russes. La Rous a certes fondé en partie ces deux nations en leur offrant leurs premières caractéristiques identitaires. L’identité ukrainienne ne peut se limiter à cet héritage mythique.

2. L’UKRAINE SOUS LE BOISSEAU OCCIDENTAL

Après la disparition de la Rous, l’histoire d’une nation indépendante sur la steppe de l’Ukraine est mise en sommeil par la géographie. Elle est écartelée entre les puissances de l’époque et le jouet de leurs luttes. Son identité est alors marquée initialement par une influence occidentale.

Les Lithuaniens débutent l’occidentalisation douce des Ukrainiens (1340 -1569)

L’éclatement des Rurikides sous la pression mongole fait naître une multitude de principautés qui peinent à demeurer indépendantes. La Galicie est ainsi autonome au XIIème siècle. Elle s’unit ensuite à la Volhynie et le prince de Galicie-Volhynie reconnait l’autorité de Rome en 1253. La première tradition catholique sur une terre ukrainienne nait alors dans sa frange occidentale. La dynastie s’éteint et l’invasion lithuanienne fait disparaitre cette principauté en 1340.

Les Lithuaniens repoussent les Mongols au-delà du Dniepr et occupent Kiev en 1362. La majeure partie de l’Ukraine est désormais occupée par la Lituanie. Puis, après le traité de Krevo, la Pologne s’empare de la Volhynie et de la Galicie.

Cette influence demeure jusqu’au début du XVIème siècle mais les caractéristiques propres à l’Ukraine sont maintenues. Le statut lithuanien de 1529 maintient les coutumes kiéviennes et l’orthodoxie demeure puissante sur la rive gauche du Dniepr. La Lituanie se trouve alors au centre de la lutte entre le monde orthodoxe et russe et le monde polonais et catholique.

Puis la grande Pologne marque plus durablement cette orientation vers l’Occident (1569 -1648)

L’Union de Lublin

En 1569, l’Union de Lublin consacre l’union du royaume de Pologne et du Grand-duché de Lituanie. L’influence polonaise triomphe alors sur les territoires de la Podlachie, de la Volhynie, de la Podolie, de Bratslav et de Kiev et de l’Ukraine du sud du Dniepr. L’Ukrainien est désormais en situation d’infériorité dans une société stratifiée. L’aristocratie polonaise domine et assimile peu à peu une partie de la noblesse ukrainienne ; la bourgeoisie demeure un mélange de peuples essentiellement non ukrainiens (Juifs, Allemands). La paysannerie, seule, demeure ukrainienne mais ne dispose d’aucun droit ni politique, ni civil ; elle est totalement dépendante des seigneurs.

L’Union de Brest-Litovsk et le premier catholicisme ukrainien

Le catholicisme gagne les élites aristocratiques ukrainiennes polonisées tandis que les paysans demeurent fidèles à l’orthodoxie. Par l’Union de Lublin, l’Eglise catholique voit toutefois en Ukraine l’occasion de ramener une part de la chrétienté orientale dans son giron. La volonté réformatrice du patriarche de Constantinople provoque le mécontentement du haut clergé orthodoxe, déjà sensible au dynamisme et à la richesse de l’Eglise catholique. En 1590, le métropolite et le haut clergé reconnaissent l’autorité du Pape. En 1596, le concile de Brest-Litovsk entérine cette décision d’union. La naissance de cette Eglise ukrainienne gréco-catholique, dite uniate, marque le début de tensions religieuses fortes. Chaque parti cherche des appuis extérieurs : les catholiques vers la Pologne et les orthodoxes vers la Moscovie. Le bas clergé orthodoxe et la paysannerie résistent à l’influence catholique et polonaise. Ils tentent de maintenir une forme d’identité orthodoxe et ukrainienne mais leur dépendance vis-à-vis des élites ralliées limite sa force.

Ils trouvent un relais chez les Cosaques [7] zaporogues qui naissent dans les steppes du bas Dniepr. Dès le XVIème siècle, ces steppes se repeuplent de paysans et de guerriers qui s’organisent avec un gouvernement autonome et qui élit un chef, l’hetman. La Pologne leur reconnait une certaine autonomie en 1572 : la Siètche, le centre administratif et la base d’opération des Cosaques zaporogues, est reconnue et leurs privilèges assurés. Les Polonais tentent toutefois de reprendre le contrôle de la rive droite du Dniepr que contrôlent les Cosaques.

Ces années de domination polono-lithuanienne ont fixé une première empreinte occidentale sur l’Ukraine

Pendant près de quatre siècles, l’Ukraine n’existe pas en tant que telle et est dominée par les Lithuaniens et les Polonais. Le royaume de Pologne et le Grand-duché de Lithuanie sont deux puissances catholiques majeures et leur domination sur l’Ukraine n’est pas neutre.

L’influence lithuanienne parait mineure par la liberté qu’elle consent initialement aux spécificités ukrainiennes. L’occupation polonaise semble moins souple. Elle a provoqué une césure au sein de la société ukrainienne : des élites polonisées et catholicisées, une masse paysanne attachée à l’orthodoxie. Elle obtient un double résultat paradoxal. Une identité ukrainienne occidentale voit le jour. Elle est catholique ou gréco-catholique. Elle participe au développement culturel formidable de l’Ukraine occidentale par la diffusion de la Renaissance italienne et les liens avec l’Occident. L’Ukraine devance même la Moscovie dans la diffusion de l’humanisme. Les collèges Jésuites d’Ukraine sont renommés et peuvent rivaliser avec leurs rivaux orthodoxes. A Kiev, le collège orthodoxe Mohyla, fondé en 1632, cherche à rivaliser avec ces collèges occidentalisés. Il forme pourtant les élites ukrainiennes en leur dispensant un enseignement en latin, proche de celui des universités occidentales.

A contrario, cette domination occidentale a aussi nourri une forme de résistance identitaire. L’identité ukrainienne se cristallise alors sur l’orthodoxie et sur le caractère paysan de sa population. Le mythe nourri par les prétendues républiques cosaques, havres de liberté, en est l’expression la plus évidente.

Un prolongement de l’influence occidentale demeure ensuite en Galicie orientale et en Ruthénie subcarpathique. Après le partage de la Pologne en 1772, cette région est rattachée à l’empire austro-hongrois. Un régime plus libre vis-à-vis des aspirations ukrainiennes y est pratiqué. L’objectif est clairement de construire un contrepoids à l’influence russe sur l’Ukraine. Ainsi le compromis austro-hongrois de 1867 donne un statut d’autonomie à la province de Galicie (Landtag). La vie paysanne s’y améliore et le servage y est aboli en 1848. Cette tolérance autrichienne permet le développement de la société civile. Lvov, devenu Lemberg, devient un centre culturel très actif avec une université autonome reconnue. Son rayonnement dépasse la frontière austro-hongroise et touche le reste de l’Ukraine.

3. PUIS LA GRANDE RUSSIE ETOUFFA LA PETITE-RUSSIE

L’arrivée de la Russie dans l’histoire ukrainienne débute par un malentendu. L’hetman cosaque, Bogdan Khmelnitsky, s’oppose à la domination polonaise. Pour cela, il recherche la protection de la Moscovie et signe le traité de Pereislav le 16 janvier 1654. Le Tsar reconnaît les droits des hetmans et les libertés cosaques. En fait, les Russes y trouvent l’occasion de réunifier la Rous’ sous leur domination et de vassaliser l’Ukraine, cette Petite-Russie. Après la mort de Khmelnitsky en 1657, ils s’entendent rapidement avec les Polonais pour dépecer l’Ukraine.

L’Empire russe « avale » la Petite-Russie (1667 - 1905)

Polonais et Russes s’accordent lors de la paix d’Androusovo, le 13 janvier 1667, pour se partager l’Ukraine de part et d’autre du Dniepr et dissoudre toute velléité d’autonomie. La plus grande partie, vingt-deux millions d’habitants, est soumise à l’autocratie russe. Cet Etat centralisé et patrimonial met sous dépendance la Petite-Russie, partie intégrante de l’Empire.

La Russie impose son autorité sur l’Ukraine

Un protectorat, l’hetmanchthina, laisse subsister une certaine autorité aux hetmans mais leurs prérogatives sont progressivement rognées. L’Eglise orthodoxe ukrainienne est soumise à l’autorité du patriarcat de Moscou. En 1720, toute publication en ukrainien est interdite. L’intégration complète de l’Ukraine à la Russie est réalisée par le Tsar Pierre le Grand. En 1722, elle n’est qu’une simple province russe et les hetmans disparaissent. En parallèle, la Russie affirme son emprise sur la paysannerie ukrainienne. Il est interdit aux paysans de quitter la terre et donc de fuir vers les terres libres des steppes. L’impôt par âme de la réforme fiscale de 1719 renforce la dépendance du monde paysan. Les terres riches sont alors distribuées et constituent de grands domaines où les paysans sont soumis à la corvée. Catherine II poursuit cette politique de dépendance ; son oukase du 3 mai 1783 introduit le servage en Ukraine. La liberté séculaire du paysan ukrainien disparaît et toute mobilité sociale est de facto interdite.

La Russie ne peut cependant pas laisser libre les steppes du sud de l’Ukraine. Les Tsars cherchent donc à reconquérir ces territoires et à obtenir ainsi un débouché sur la Mer Noire. Elle affronte ici l’empire ottoman. En 1771, les Russes conquièrent la Crimée. La paix de Kouchouk-Kainardj avec la Turquie en 1774 donne l’indépendance à la Crimée, mais dans l’orbite russe, et concrétise l’occupation russe jusqu’au Boug. Catherine II affirme vouloir « rassembler les terres russes ». Elle y parvient aux dépens de la Pologne. Elle maintient cependant les privilèges de la noblesse polonaise et ukrainienne assimilée. Après les résistances des Cosaques et leur alliance avec la Suède en 1708, elle supprime toutefois leurs privilèges et fait détruire la Siètche.

L’Ukraine est alors administrée par un gouvernement militaire. Cette domination n’est cependant pas si excessive. Potemkine, nommé prince de Tauride, [8] assure le gouvernement de la province ukrainienne à partir de 1762. Il affirme concentrer ses efforts pour le développement de cette « nouvelle Russie ». Le développement économique est assuré par l’arrivée de colons allemands qui permet une prodigieuse croissance démographique. Cette politique est poursuivie par le duc de Richelieu, nommé gouverneur de la nouvelle Russie par le Tsar Alexandre 1er entre 1805 et 1814. L’administration est réformée, l’éducation progresse notamment dans l’enseignement secondaire, Odessa devient le premier port d’exportation des blés d’Ukraine. Toutes ces avancées économiques profitent à l’Ukraine mais l’inscrivent aussi un peu plus sous la domination russe.

L’Ukraine est alors fondue dans l’empire russe

Le XIXème siècle semble confirmer l’empreinte russe sur l’Ukraine. La centralisation se renforce. La langue ukrainienne est interdite dans un oukase de 1876. Le terme même d’Ukraine est banni au profit de celui de Petite-Russie. L’économie de la province ukrainienne se développe mais au bénéfice de l’Empire. Son industrie est complémentaire de l’industrie russe et les Russes dominent les circuits financiers ; une conséquence particulière dont les effets se révèlent aujourd’hui est l’apport de population russe en Ukraine. En effet, l’attachement de la population ukrainienne à la terre la maintient dans une agriculture traditionnelle de faible rendement. Le besoin industriel est donc comblé par des immigrés russes qui fournissent la majeure partie de la classe ouvrière et une grande part de la bourgeoisie urbaine et commerçante, avec les Juifs. La croissance urbaine est considérable et permet une certaine amélioration du niveau d’éducation. Ceci se fait toutefois dans le cadre contraignant russe. A cet égard, les élites ukrainiennes sont absorbées par la culture dominante. Des écrivains ukrainiens, comme Gogol, écrivent en russe. Les artistes ukrainiens sont attirés par Saint-Petersbourg. Un milieu culturel commun, panrusse, n’accepte pas de réelle distinction.

La transition et les périodes troublées ne remettent pas complètement en cause la tutelle russe (1905 – 1921)

Les mouvements qui touchent l’empire russe à partir de 1905 affectent l’Ukraine sans lui permettent d’affirmer son autonomie. Le foisonnement politique est le même à Kiev qu’à Petrograd et les Ukrainiens semblent alors suivre la voie tracée par leurs frères grands-russes.

La Première Guerre mondiale voit les Ukrainiens écartelés s’affronter sous les bannières russes et austro-hongroises. Elle ouvre surtout une période de troubles que la révolution de 1917 catalyse. Les Russes occupent la Galicie en 1915 mais sont chassés par une contre-offensive allemande. L’Ukraine existe alors par intermittences mais subit surtout le débordement de la révolution russe et son corollaire, les tentatives d’ingérence des puissances occidentales. Entre 1917 et 1920, près de six armées combattent sur les steppes ukrainiennes : armées blanches de Wrangel et de Dénikine, armée rouge, armée polonaise de Pilsudski, contingents occidentaux et armée anarchiste de Makhno [9]. Toutes les tentatives d’indépendance ukrainienne sont balayées par ces combats et par l’ingérence croissante des Russes par le biais des bolchéviques ukrainiens.

L’Union des républiques socialistes soviétiques prend le relai des Tsars (1921 – 1991)

En mars 1921, le traité de Riga entérine le partage de l’Ukraine entre ses voisins. La Pologne garde la Galicie orientale, la Roumanie prend pied en Bukovine du nord et en Bessarabie du sud, la Ruthénie (ou Ukraine) subcarpathique rejoint la Tchécoslovaquie et l’URSS s’empare à nouveau de l’Ukraine centrale et orientale.

Quand le pouvoir bolchevique hésite entre centralisme et autonomie des nationalités

L’attitude des bolcheviques vis-à-vis des nationalités est d’abord empreinte de fédéralisme, mais l’autonomie est toute relative. Le parti communiste de l’Union soviétique prend le relai du Tsar pour affirmer son centralisme. Les velléités ukrainiennes en subissent les conséquences. En 1919 déjà, les régiments ukrainiens de l’Armée rouge sont supprimés. Un accord en décembre 1920 proclame l’union militaire et économique de l’Ukraine avec la Russie. Les domaines importants de la vie économique sont engerbés dans une structure exécutive commune. En 1921, Moscou affirme sa volonté en menant une forte répression de l’Armée rouge et de la Tcheka [10] en Ukraine. Des combattants de la guerre civile sont massacrés et des patriotes ukrainiens sont éliminés à l’étranger. Surtout, la Russie continue d’exploiter économiquement l’Ukraine. L’approvisionnement par l’agriculture ukrainienne est un enjeu majeur pour l’URSS dont l’attitude est désormais marquée par l’opportunisme. Dans les années vingt, la nouvelle économie politique (NEP) promeut une forme d’autonomie culturelle, voire l’ukrainisation. Avec une certaine liberté accordée aux paysans, l’agriculture reprend et entraîne la reprise de l’industrie ukrainienne. Le communisme devrait alors pouvoir s’enraciner dans les cultures nationales.

Puis Staline essaie de « désukrainiser » violemment l’Ukraine

Cependant, la centralisation reprend en 1927 et aboutit en 1930 à une mise sous tutelle économique accompagnée de répression et d’épuration. La période stalinienne atteint le paroxysme de l’influence russe et de l’étouffement des aspirations ukrainiennes. L’industrialisation et la collectivisation de l’agriculture sont forcées et vont à l’encontre des coutumes ukrainiennes et provoquent une réaction forte du pouvoir central. L’élimination de la paysannerie, les purges politiques en sont l’expression. Les cadres urbains du parti font liquider les paysans riches, les koulaks, en 1929-1930 comme dans le reste de l’Union. C’est entre 1930 et 1932 que la collectivisation forcée est accélérée. Les terres sont réquisitionnées et des quotas de production excessifs sont fixés au-delà des possibilités ukrainiennes. Les récoltes chutent alors d’un tiers. La loi d’août 1932 sur la propriété d’Etat instaure la peine de mort à qui glane du blé. Les champs sont protégés et la famine s’étend sur l’Ukraine. Entre cinq et six millions d’Ukrainiens meurent de cette politiques et près d’un million sont déportés. Un observateur note que « les seuls à manger à leur faim dans les campagnes étaient les communistes et les anthropophages ». Staline réussit à briser la résistance du monde paysan ukrainien et, en corollaire, intensifie de facto la russification. En effet, des paysans russes sont déplacés vers l’Ukraine dont les villages sont dévastés. Certains historiens ukrainiens y voient d’ailleurs une volonté de détruire l’identité ukrainienne. A cet égard, les purges staliniennes touchent aussi l’Ukraine : les élites intellectuelles sont éliminées, les « nationalistes bourgeois » sont stigmatisés au procès de Kharkov en avril 1930 et le parti communiste ukrainien est épuré. L’église ukrainienne orthodoxe autocéphale est dissoute.

La Deuxième Guerre mondiale marque une parenthèse de désordre mais renforce la présence russe sur toutes les terres ukrainiennes. Le pacte Molotov-Ribbentrop du 23 août 1939 permet le partage de la Pologne et l’entrée de l’Armée rouge en Galicie. Cette partie occidentalisée de l’Ukraine est alors « nettoyée » par le NKVD [11] et rattachée à l’URSS. L’armée allemande poursuit toutefois ses offensives et conquiert Kiev en septembre 1939. L’Ukraine est alors occupée mais aussi divisée : l’Ukraine occidentale et la Galicie se rattachent, comme la Pologne, à un ministère allemand, l’Ostland, la Bukovine et Odessa demeurent sous la férule de Roumanie, alliée de l’Allemagne, le reste de l’Ukraine et la Crimée passent sous la coupe d’une administration militaire avec un Gauleiter particulièrement violent. La résistance ukrainienne s’organise contre les Allemands mais une part des Ukrainiens rejoint les Allemands pour contrer les Soviétiques.

La fin de la guerre cristallise la réunion de toutes les terres ukrainiennes sous l’autorité soviétique : la Roumanie cède la Bukovine et la Bessarabie dès 1940, la Pologne perd les terres de Galicie et la Tchécoslovaquie la Ruthénie subcarpathique en 1945. Le parti communiste impose des mouvements de population entre Pologne et Ukraine, près d’un million de Polonais sont chassés d’Ukraine occidentale. La force russe, par les Soviétiques, veut ainsi clore le chapitre occidental de l’histoire ukrainienne.

La soumission de l’Ukraine se poursuit sous le giron de l’URSS

Pendant la période de Guerre froide (1947-1991), l’Ukraine demeure fidèlement dans le giron russe et soviétique. Son développement se poursuit, grâce notamment à ses richesses agricoles. Après 1956 et le 20ème congrès, commence la déstalinisation. Le premier secrétaire, Nikita Kroutchev, originaire d’Ukraine, provoque un certain nombre de réformes au niveau de l’union qui s’appliquent en Ukraine. La centralisation perdure mais est mâtinée d’une part de régionalisation dans le domaine économique. L’industrie lourde se développe alors en Ukraine. La contestation politique peut éclore mais est toujours jugulée par le pouvoir central. L’union ukrainienne ouvrière et paysanne de Loukianenko prône l’autodétermination en 1960. Ses responsables sont arrêtés et condamnés l’année suivante. Le KGB continue la répression des mouvements nationalistes, avec le lot habituel de procès politiques et d’arrestations d’intellectuels. Les années 1970, marquées par l’ère Brejnev, sont une période de stagnation économique et de répression politique. Cette constante demeure jusqu’à l’ouverture, provoquée par Moscou et qui aboutit à l’explosion de l’Union soviétique en 1991.

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Ces dix siècles d’histoire de l’Ukraine sont profondément marqués par une géographie défavorable aux velléités d’indépendance ukrainienne. A aucun moment, toutes les populations se définissant comme ukrainiennes n’ont pu se rassembler sur un même territoire avec un gouvernement indépendant. Même la Rous’ primitive ne peut être considérée comme une première nation exclusivement ukrainienne. Elle ne donne que ses racines, slave et orthodoxe, à l’Ukraine mais aussi à la Russie et à la Biélorussie.

Tout au long de cette période, la terre ukrainienne et sa population majoritairement paysanne ont été soumises au joug de ses puissants voisins. Ces derniers ont fixé leur empreinte culturelle sur ces vassaux. A l’ouest, les Polonais et les Lithuaniens ont conquis les élites ukrainiennes aux valeurs occidentales et catholiques par une politique d’assimilation quasi permanente. Leurs successeurs autrichiens et hongrois ont poursuivi cette voie. A l’est, les Russes ont imposé leur loi à leurs « frères de Petite-Russie ». Que ce soient les Tsars ou leurs successeurs de la dictature communiste, ils ont continuellement cherché à russifier cette province et à lui dénier toute perspective d’autonomie à long terme.

Le soft power occidental et le hard power oriental ont manifestement fait de l’Ukraine ce fantôme de l’histoire européenne contemporaine. Sans terre et face à ces puissances « voraces », le peuple ukrainien a eu du mal à pouvoir se construire une identité propre et autonome. Toutefois et paradoxalement, une forme complexe et hétérogène de conscience nationale ukrainienne a pu naître et aboutir à l’actuelle république ukrainienne.

II. LA LENTE NAISSANCE DES IDENTITES UKRAINIENNES


Malgré les difficultés d’expression, des caractéristiques identitaires ukrainiennes ont pu se révéler

« L’Ukraine s’unit à la Pologne, comme une sœur à sa sœur (…). [Puis] l’Ukraine se rapprocha de la Moscovie et s’unit à elle, comme un peuple slave à un autre peuple slave.(…) Mais bientôt l’Ukraine vit qu’elle était tombée en esclavage(…) et l’Ukraine tomba, mais ce ne fut qu’en apparence(…). Car la voix de l’Ukraine ne s’est pas éteinte. Et l’Ukraine se lèvera de son tombeau. » [12]. Ainsi exprimaient les nationalistes ukrainiens du XIXème siècle la permanence d’une volonté nationale ukrainienne.

En effet, sous les dominations polono-lithuanienne et russe, des formes de revendication identitaire ukrainienne ont vu le jour et se sont développées. La naissance d’une certaine conscience nationale repose sur des initiatives diverses et sans cohérence visible. Le nationalisme ukrainien s’est nourri des premières expériences cosaques et s’est développé au XIXème siècle de part et d’autre du Dniepr avec plus ou moins de liberté d’expression. Il a abouti à des indépendances ukrainiennes temporaires et parcellaires, avant la proclamation de l’actuelle république d’Ukraine. Il s’exprime enfin avec des caractéristiques communes à tous les Ukrainiens mais aussi avec des oppositions issues des orientations historiques, occidentale ou orientale.

1. LES COSAQUES ONT EXPRIME UNE PREMIERE FORME DE VOLONTE AUTONOME UKRAINIENNE

Dans l’histoire ukrainienne, la cosaquerie occupe une place singulière qui en ferait l’expression primitive et fondatrice d’une identité propre. Les Cosaques zaporogues vont effectivement cristalliser les mécontentements d’une population sous domination étrangère. Deux hetmans, Khmelnytskyï puis Mazeppa, en sont l’expression la plus vivante. Toutefois, il faut mesurer la portée de ces mouvements, leurs limites et leur véritable caractère d’affirmation d’une identité ukrainienne.

Des premiers Cosaques à la révolte de Bogdan Khmelnytskyï

Les premières « républiques cosaques »

Initialement, au XVIème siècle, les Cosaques constituent des corps de mercenaires en demi-indépendance. Ce groupements sont soumis à une forte discipline et organisés en sotnias (centuries). Ce phénomène n’est d’ailleurs pas spécifique à l’Ukraine avec ses Cosaques zaporogues car existent aussi par exemple des Cosaques du Don. Se développent donc dans les steppes du bas Dniepr des républiques anarchiques, qualifiées de républiques cosaques. La paysannerie y est certes libre mais c’est l’interprétation historique postérieure qui idéalisera cette organisation. L’historien Kostomarov les qualifie de « pépinières de la liberté ukrainienne ».

En fait, le territoire sur lequel elles apparaissent est constitué de la steppe du sud, ces « champs sauvages » où aucune souveraineté n’est véritablement affirmée. Ni la Pologne, ni la Russie, ni l’empire ottoman ne s’y sont encore implantés. La menace des raids Tatars a fait fuir les populations et seule une petite paysannerie y demeure libre. Toutefois la pression polonaise sur le monde ukrainien paysan entraîne, à partir du XVIème siècle, un repeuplement de ces steppes. Ces colons s’organisent alors de manière autonome et se soumettent à l’autorité d’un chef élu, l’ « hetman ». La forteresse de la Siètche (ou Sitch) est construite sur une île du Dniepr et constitue la base administrative et presque politique des Cosaques Zaporogues.

La rencontre avec les Polonais est dans un premier temps presque consensuelle. La Pologne reconnaît les privilèges particuliers des Cosaques sur une zone qu’elle ne maîtrise pas encore. De leur côté, les hetmans constituent l’autorité suprême et contrôle les voies de communication à travers la steppe. Par ailleurs, ils sécurisent une sorte de zone tampon entre la Pologne et les Tatars. Toutefois cette trop grande liberté ennuie la Pologne, tout comme la Russie, et ces deux puissantes vont tenter de rogner ce privilège cosaque.

La révolte de Bogdan Khmelnitsky, première tentative d’indépendance ?

La légende ukrainienne fait de la révolte menée par l’hetman Khmelnitsky la première occasion manquée pour l’Ukraine de devenir indépendante.

L’avancé polonaise au cours du XVIème siècle provoque plusieurs soulèvements des paysans libres et des Cosaques. En effet, ceux-ci cristallisent les oppositions sociales et religieuses. L’exemple des privilèges cosaques présente un danger pour les nobles polonais dont les paysans pourraient s’inspirer. Par ailleurs, le gouvernement polonais s’étant refusé à reconnaître la hiérarchie orthodoxe, les Cosaques représentent le rempart de l’Eglise orthodoxe. Deux aspects de l’identité ukrainienne s’affirment donc par les Cosaques : un monde paysan et libre, la religion orthodoxe. La conséquence naturelle est le rapprochement de la Moscovie par opposition à la Pologne. En 1625, le métropolite de Kiev et les Cosaques demandent la protection du tsar de Moscovie.

En 1637, une guerre oppose les Cosaques aux Polonais sur la rive droite du Dniepr. Elle tourne à l’avantage de la Pologne qui soumet les Cosaques de cette région. Elle nourrit les revendications et les ressentiments cosaques en termes de liberté, de protection des paysans et d’indépendance religieuse. Bogdan Khmelnitsky, un noble cosaque qui avait déjà combattu sous la bannière de Condé à Dunkerque en 1645, se fait élire hetman en janvier 1648. Il entame une campagne contre les Polonais et les oblige à négocier alors qu’après avoir pénétré en Galicie, il assiège Lvov. Ses succès l’inclinent à exprimer les attentes de ces Ukrainiens que pourraient être les Cosaques. Le traité de Zborov en août 1649, octroyé par « sa Grâce royale aux armées zaporogues », offre un espace d’expression à une identité ukrainienne slave et orthodoxe. Les cosaques enregistrés résident dans les voïvodies de Kiev, Braclav et Tsernyhiv, interdits à l’armée polonaise, l’union des Eglises est abolie et les nobles orthodoxes assurent l’administration.

L’ambition de l’hetman et la persistance d’un modèle social contraignant pour la paysannerie poussent les cosaques à négocier avec Moscou et à affronter à nouveau l’armée polonaise. Ces nouvelles guerres, en 1651 et en 1653, sont désastreuses pour les Cosaques. Ces derniers redemandent donc la protection du Tsar qui aboutit au traité de Pereislav en janvier 1654. Par ce traité, les cosaques espèrent une alliance avec la Moscovie mais entérinent en fait leur allégeance à une nouvelle puissance dominante. Le gouvernement russe reconnaît certes un statut d’autonomie à cette armée irrégulière des Cosaques mais impose sa domination aux territoires ukrainiens et à leur population non cosaque.

Mazeppa prend le relai et exprime une première volonté politique propre

Pour les nationalistes ukrainiens, Ivan Mazeppa est plus qu’un héros de l’indépendance ukrainienne, le créateur d’un premier Etat ukrainien. Héritier de la situation de Pereislav, ce noble cosaque commence par collaborer avec l’empire russe. Il soutient ainsi les expéditions de Pierre le grand en Crimée et contre la Suède. Il est plus qu’un hetman à l’image de ses prédécesseurs : il bénéficie de l’appui de l’Eglise dont il se veut protecteur, il encourage les manifestations artistiques. Surtout, il apparaît comme un véritable homme d’Etat avec de réels objectifs politiques. A l’intérieur, il légifère comme un souverain par ses Universal (règlements) vis-à-vis des cosaques. Il mène aussi un embryon de politique extérieure vers l’autre rive du Dniepr pour réunifier l’Ukraine. La guerre que mène Pierre le Grand contre la Suède éloigne cependant les Cosaques de leurs terres.

Mazeppa fait alors un pari risqué en abandonnant le camp russe qui subit quelques défaites. En 1703, il prend contact avec le Stanislas Lescynski, roi de Pologne, pour atteindre Charles XII de Suède. Après négociations, deux troupes devraient prendre les Russes en étau : les Suédois par le Nord et les Cosaques de Mazeppa par le Sud. Mazeppa ne réussit cependant pas à rallier toute l’Ukraine et n’est suivi que par ses cosaques zaporogues. L’alliance suédoise est incomprise et même le clergé lance l’anathème contre Mazeppa. Mazeppa échoue à Poltava en 1709 et doit s’exiler. Le destin de la cosaquerie est désormais scellé.

Malgré cet échec qui permettra le renforcement de la mainmise russe sur l’Ukraine, l’épisode Mazeppa exprime une première volonté politique ukrainienne.

2. L’EVEIL DU SENTIMENT NATIONAL UKRAINIEN APPARAIT SUR LES DEUX RIVES DU DNIEPR

À la fin du XVIIème siècle, l’Ukraine est toujours divisée mais la majeure partie de son territoire est soumise à ...

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