*La crise en Ukraine*, Margaux Schmit

Par Margaux SCHMIT, le 10 novembre 2015, diploweb

Margaux Schmit est étudiante en Sciences Politiques à Paris II Panthéon Assas après l’obtention d’une Licence de Droit franco-allemand de l’université du même nom.

Alors que la Russie fait tout pour faire passer l’Ukraine au deuxième plan - en intervenant militairement en Syrie - il importe de ne pas perdre de vue ce conflit qui reste majeur pour l’Europe. Cette fiche présente la naissance du conflit, les parties directes au conflit et les acteurs extérieurs. Puis elle ouvre sur les perspectives de résolution. Avec une carte inédite sous deux formats, JPEG et PDF.

LA NAISSANCE DU CONFLIT

A propos de l’embrasement de l’Ukraine à partir de novembre 2013, l’ancien ambassadeur de France à Kiev, Philippe de Suremain, confiait le 5 juin 2014 à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) : « on n’avait rien vu venir ». [1]


CHRONOLOGIE

21/11/2013
Le gouvernement ukrainien annonce qu’il ne signera pas l’accord d’association avec l’UE. Début des manifestations pro-européennes du mouvement Maïdan qui regroupent notamment 300 000 personnes à Kiev trois jours seulement après ledit refus du gouvernement.

22/02/2014
Le Président V. Ianoukovitch, destitué par le parlement ukrainien, prend la fuite.

28/02/2014
Début d’une opération des forces spéciales russes pour prendre le contrôle de la Crimée, rattachée à l’Ukraine.

16/03/2014
Selon les chiffres russes, la Crimée se prononce à 97% en faveur du rattachement à la Russie.

1/04/2014
L’OTAN décide de suspendre sa coopération civile et militaire avec la Russie.

27/04/2014
L’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution non contraignante dénonçant le rattachement de la Crimée à la Russie.

12/02/2015
Accords Minsk 2 entre P. Porochenko, F. Hollande et V. Poutine qui réaffirment la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine sur les Oblasts de Donetsk et Lougansk.


La crise en Ukraine
La carte du conflit ukrainien
Conception : L. Chamontin, M. Schmit. Réalisation : C. Bezamat-Mantes, M. Schmit pour Diploweb.com

A. Contexte de la région

En vertu du Droit international, l’Ukraine n’a connu l’indépendance que deux fois, de 1918 à 1920 et de 1991 à aujourd’hui. Anciennement République Socialiste Soviétique (RSS) d’Ukraine annexée en 1945 par Joseph Staline, le pays regroupe plusieurs régions dont la Crimée qui lui a été rattachée en 1954 par Nikita Khrouchtchev, d’origine ukrainienne. Sur le plan linguistique, la langue ukrainienne n’est donc la langue maternelle que de 68,5 % de la population : un nombre important de personnes se déclarant de nationalité ukrainienne se considère de langue maternelle russe. Plus encore, la situation géographique de la région en fait un enjeu entre les Eglises chrétiennes orthodoxe et catholique. Parvenir à l’unité de régions historiquement aussi diverses s’annonce donc complexe. [2]

Vue de Russie, l’Ukraine présente quatre enjeux :

. elle donne une profondeur stratégique grâce à laquelle la Russie s’est historiquement défendue des invasions ;

. l’Ukraine joue un rôle d’intermédiaire culturel comme économique entre la Russie, riche en gaz, et l’Union européenne, consommatrice d’énergie [3] ;

. le contrôle du territoire ukrainien est celui d’un accès supplémentaire aux mers chaudes ;

. également un enjeu d’une bataille mémorielle [4].

B. Le conflit en 2014-2015 : le recours aux urnes comme aux armes

Le point de départ du conflit prend ses racines lors de la volte face du président ukrainien fin 2013. Un accord d’association devait signer un rapprochement avec l’Union européenne mais Viktor Ianoukovitch, habituellement proche du pouvoir russe suspend les négociations avec Bruxelles. De Kiev, le mouvement « Euromaïdan » se propage à l’ouest où la population est largement pro-européenne. En février 2014, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre à Kiev font une centaine de morts. Rapidement, des tensions se développent également à l’est du pays, dans les provinces de Donetsk et de Lougansk, ainsi qu’en Crimée.

Devant l’embrasement, plusieurs partenaires occidentaux se rendent sur place et négocient une élection présidentielle anticipée mais la fuite du Président V. Ianoukovitch précipite les choses. Un gouvernement d’intérim se met en place, et annonce fort maladroitement l’abrogation de la loi sur les langues qui réinstaure l’ukrainien comme seule langue d’État. Vladimir Poutine dénonce un coup d’Etat et déclare le 4 mars 2014 que « la Russie se réserve le droit de recourir à toutes les options disponibles, y compris la force en dernier ressort ». Avec sa base navale et ses deux aéroports militaires, la Crimée représente un territoire stratégique. A la suite d’une opération militaire et d’un référendum d’auto-détermination organisé précipitamment en Crimée le 16 mars 2014, la Russie a repris le contrôle de ce territoire et des bases militaires ukrainiennes, et ce malgré la résolution votée le 27 mars 2014 par l’Assemblée des Nations unies déclarant ledit référendum comme n’ayant « aucune validité ». Les administrations locales des régions frontalières de Donetsk et de Lougansk sont prises d’assaut par des « séparatistes » et passent sous leur contrôle : des élections sont organisées et le 11 mai 2014, la victoire du « oui séparatiste » est écrasante pour ces régions à la frontière orientale annonçant vouloir s’émanciper de l’Ukraine et s’aligner sur la politique russe. Kiev redoute une invasion russe. Le 25 mai 2014, l’Ukraine élit un nouveau président, Petro Porochenko qui refuse que l’est du pays connaisse le même sort que la Crimée. Les combats meurtriers se multiplient. Dans le même temps, l’armée russe se déploie tout autour de l’Ukraine.

Le 17 juillet 2014, le vol MH17 de la Malaysia Airlines est abattu alors qu’il survolait l’est de l’Ukraine et fait 298 morts : Kiev accuse les « rebelles pro-russes ». Cet événement donne une nouvelle dimension au conflit. Une nouvelle série de sanctions est alors mise en place contre la Russie par les Occidentaux qui, en parallèle, redoublent d’effort pour trouver un terrain d’entente. Le 5 septembre 2014, l’Ukraine et les « rebelles pro-russes » signent une trêve à Minsk mais les combats se poursuivent. Le 26 octobre 2014, les partis pro-européens remportent haut la main les élections législatives ukrainiennes. Mais le 23 janvier 2015, Alexandre Zakhartchenko, dirigeant de la République autoproclamée de Donetsk, déclare qu’il ne s’estimait plus lié par les accords de Minsk et qu’il entamait des opérations offensives jusqu’à ce que ses forces aient atteint les frontières administratives de Donetsk. C’est dont l’échec de Minsk 1. S’ensuit la signature de l’accord Minsk 2 [5] le 12 février 2015, avantageant la Russie et profitant largement aux forces « séparatistes » du Donbass. Le nouveau texte élargit la zone tampon sur le territoire ukrainien et prévoit notamment la « décentralisation » des régions de Donetsk et de Lougansk. Pour V. Poutine, l’accord éloigne un prochain train de sanctions et lui permet de se présenter en faiseur de paix.


L’Ukraine en chiffres : quand le terme « séparatiste » révèle sa vraie nature

Résultats de sondages menés courant 2014 en Ukraine, commentés par V. Paniotto et V. Khmelko de l’Institut International de Sociologie de Kiev [6] :

. 77% des Ukrainiens de l’est sont opposés à l’occupation armée des bâtiments administratifs, et 70% à l’annexion de la Crimée ; 10% environ soutiennent les « séparatistes ».

. Crimée : 18% voulaient le rattachement à la Russie il y a un an, la propagande de V. Yanoukovitch a fait monter ce taux à 40% en février 2014 ; ensuite la télévision ukrainienne a été bloquée, le pourcentage a dû monter à 65% sous l’effet de la propagande russe, ce qui correspond sans doute aussi au chiffre non falsifié du référendum.

. L’Ukraine dans son ensemble est pour le rapprochement avec l’UE, sauf la région de Donetsk qui privilégie l’Union douanière avec la Russie (72,5% à Donetsk même).

Ces chiffres ne permettent pas de conclure à un mouvement séparatiste massif comme c’est le cas en Catalogne : en Ukraine, Ukrainiens ukrainophones et Ukrainiens russophones vivent dans une culture d’intercompréhension. Le terme de « séparatiste » est donc à utiliser avec précaution car il s’agit très probablement d’un acte politique issu de la propagande du Kremlin pour instrumentaliser ce multi-linguisme et donner l’impression d’un clivage ethnique.

De plus le mouvement Leninopad commencé en 2013 comptait le démontage de statues de Lénine dans 90 villes réparties sur l’ensemble du territoire ukrainien en 2014. Plus révélateur encore de la popularité du mouvement Maïdan, plusieurs monuments de Lénine ont été déboulonnés le 17 avril 2015 dans la ville de Kharkiv (Kharkiv), Kramatorsk (Donetsk), et à Stanitsa Louganska (Lougansk) trois Oblasts de l’Est russophone du pays.

Au delà de la propagande médiatique, aucun élément solide ne montre l’implantation durable et étendue d’un mouvement « séparatiste » avant l’intervention officieuse du FSB en mai 2014 : si l’Ukraine est toujours debout, c’est très probablement que le pari russe sur l’existence dudit clivage est en train d’échouer.


II. LES PARTIES DIRECTES AU CONFLIT

. Rapport de forces armées : Les forces ukrainiennes comptent environ 130 000 hommes en service actif et un million de réservistes contre environ 845 000 soldats russes.

. Nombre de civils tués et réfugiés  : Selon les chiffres publiés le 8 septembre 2015 par les Nations unies, au total, 7 962 personnes ont été tuées et 17 811 ont été blessées depuis le début du conflit dans l’Est du pays en avril 2014. Dans le rapport établi par la Commission européenne basé sur des chiffres du MoSP et de l’OCHA (le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU) de 29 juin 2015, il y aurait plus d’1,3 millions de déplacés internes et plus de 860 000 réfugiés dans les pays voisins.

III. LES ACTEURS EXTÉRIEURS

A. Poids de l’ONU et du Droit international

En vertu de l’article 2 §4 de la Charte des Nations unies, le Droit international reconnaît les principes de l’inviolabilité des frontières, du respect de l’intégrité territoriale des Etats et de l’interdiction du recours à la force. En annexant la Crimée le 21 mars 2014, V. Poutine a ainsi violé :

. les textes fondamentaux des Nations unies,

. les statuts du Conseil de l’Europe – dont est membre la Fédération de Russie,

. deux traités régionaux organisant la paix en Europe [7],

. deux traités bilatéraux signés avec l’Ukraine [8],

. les constitutions d’Ukraine et de Crimée.

De lege lata, aucun argument ne saurait justifier une telle transgression. Pourtant, V. Poutine ne considère pas qu’il s’agisse d’une « ingérence » dans un Etat souverain. Par ailleurs, lors d’une interview avec des citoyens russes et des experts donnée en avril 2014, V. Poutine a déclaré qu’il espèrait ne jamais utiliser son droit à l’envoi de l’armée russe en Ukraine : pour lui, la guerre n’a pas eu lieu.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé dans une déclaration unanime, le 17 février 2015, les belligérants dans l’Est de l’Ukraine « à cesser immédiatement les hostilités ». La résolution reconnaît la souveraineté de l’Ukraine et son intégrité territoriale mais ne fait cependant pas référence au sort de la Crimée passée sous giron russe. [9]

B. Poids de l’Union européenne et des Etats-Unis

Selon José Manuel García Margallo, les sanctions économiques prises par l’UE à l’encontre de la Russie de juillet 2014 à l’été 2015, ont entrainé un manque à gagner de 21 milliards d’euros pour les exportations européennes. Réunis en urgence à Bruxelles en janvier 2015, les ministres des Affaires étrangères de l’UE se sont accordés pour que l’UE rajoute, début février 2015, de nouveaux noms à sa liste noire de personnes sanctionnées pour leur implication dans le conflit. Si l’UE traite du conflit, certains Etats-membres développent également des actions indépendamment de la politique européenne. La démarche conjointe et inédite de François Hollande et d’Angela Merkel de se rendre ensemble à Kiev puis à Moscou en février 2015 souligne l’implication franco-allemande plus qu’européenne dans le conflit, déjà visible lors du « Format Normandie », réunion semi-officielle du 6 juin 2014 destinée à trouver une solution au conflit. Dans une nécessité de crédibilité et de responsabilité à l’égard des partenaires européens, le Parlement français a approuvé en septembre 2015 l’annulation de la vente de deux navires de guerre « Mistral » à la Russie.

De son côté, la Pologne, avec ses 526 km de frontières communes avec l’Ukraine, reste un acteur majeur diplomatique du conflit autour duquel s’est progressivement développée une politique étrangère défendant les intérêts des Etats-membres de l’Est. La Sous-secrétaire d’Etat polonaise chargée des Affaires européennes, Henryka Moscicka Dendys, a par ailleurs fait état de ses craintes concernant la politique de conquête russe en janvier 2015, rappelant le proverbe russe « le poulet n’est pas un oiseau, la Pologne n’est pas un pays étranger » et la phrase de V. Poutine prononcée à l’occasion d’un discours à la Nation en 2005 « la chute de l’URSS a été la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle ». A cet effet, Varsovie qui affirme que la Russie pourrait présenter un danger pour la sécurité en Europe a appelé l’OTAN à maintes reprises à renforcer les activités militaires dans la région.

Saluant les décisions de l’UE, les Etats-Unis ont eux aussi sanctionné la Russie, recentrant partiellement l’attention américaine sur la Russie malgré une politique voulue de « pivot vers l’Asie ». En se rendant en Estonie à la veille de l’ouverture du sommet de l’OTAN, le 4 septembre 2014 au Pays de Galles, Barack Obama a lancé une sévère mise en garde à la Russie, l’accusant de menacer la « liberté » et la « paix » en Europe par la poursuite de son « agression contre l’Ukraine ».

IV. VERS UNE RÉSOLUTION ?

Alors qu’au début des évènements les Européens ont imposé leur opération d’association avec l’Ukraine en laissant maladroitement la Russie hors de la table des négociations, la situation semble s’être totalement inversée en 2015. Comme l’a relevé Alexandre Mercouris, l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE ne prévoyait pas d’être un simple accord de libre-échange. En réalité c’était un dispositif pour faire de l’Ukraine une partie de l’Espace économique européen et du Marché unique, soumis à la réglementation de la bureaucratie européenne et à la Cour de Justice de l’Union européenne. En clair, un traité visant à séparer pour de bon Ukraine et Russie. En se positionnant ainsi face à la Russie, l’UE a réveillé le legs du passé d’une confrontation Est-Ouest, semblable à une guerre d’usure que reconnaît implicitement la France en annulant la vente de « Mistral » passée avec la Russie. Pourtant, la question militaire ne saurait être résolue sans trouver une solution diplomatique durable répondant aux intérêts russes.

Si le conflit s’étend, il peut continuer à affaiblir le pouvoir central et contribuer à approfondir la récession : Marioupol abrite plusieurs grandes entreprises industrielles avec d’importants contrats à l’exportation, Kharkiv est au centre du complexe militaro-industriel, et l’Est du pays dans son ensemble joue un rôle crucial dans l’économie ukrainienne. Mais si la guerre a affaibli l’Etat, elle a aussi donné la possibilité d’une impulsion pour une reconversion à l’image des économies centre européennes à la fin des années 1980 telle que la Pologne.

Pratiquement, trois questions clés dessinent les contours d’une guerre d’usure : la Russie parviendra-t-elle à mettre en place une stratégie tournant le dos à l’UE malgré les sanctions ? L’Ukraine dépassera-t-elle son statut actuel d’Etat faible économiquement et dépendant de la Russie ? Les Occidentaux trouveront-ils des ressources financières et une politique commune pour soutenir efficacement l’Ukraine ? En attendant, le Tribunal international de Stockholm saisi par Kiev et Moscou devra se prononcer sur le conflit fin 2016.

Copyright Novembre 2015-Schmit/Diploweb.com


La carte du conflit ukrainien en haute qualité au format pdf

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Carte. Le conflit ukrainien
Conception : L. Chamontin, M. Schmit. Réalisation : C. Bezamat-Mantes, M. Schmit pour Diploweb.com

Sources

. « Le conflit ukrainien, des enjeux géopolitiques et géoéconomiques » de Pascal Marchand – http://echogeo.revues.org/

. La crise ukrainienne : une prise de risque calculée pour Vladimir Poutine » de Thomas Flichy de La Neuvillle – Revue Conflits #2.

. « Retour en Ukraine » de Pascal Gauchon – Revue Conflits #2.

. « De la crise à la guerre : un an de conflit en Ukraine en 5 minutes » par Anna Moreau – LeMonde.fr

. « Les conséquences stratégiques de l’accord de Minsk 2 pour l’Ukraine » de Mathieu Boulègue – http://www.euractiv.fr

. « Les accords de Minsk sur l’Ukraine sont ils voués à l’échec ? » de Tatiana Kastoueva-Jean (IFRI), dans La Croix, propos recueillis par François d’Alançon.

. « Ukraine : le détail des principaux points de l’accord de paix Minsk 2 », source AFP – LePoint.fr

. « Ukraine : comment concilier défense territoriale et réforme de l’Etat » d’Annie Daubenton – Revue Diplomatie n°74.

. « Selon l’ONU, le conflit dans l’est de l’Ukraine a fait près de huit mille morts », LeMonde.fr avec AFP.

. Fiche-info echo de la direction de l’Aide humanitaire et protection civile de la Commission européenne.

. « Conflit en Ukraine : la Pologne en 1ère ligne » de Véronique Auger, Geopolis (02/02/2015).

. « Les députés disent oui à l’accord franco-russe sur les Mistral » de Marianne Davril, Boursier.com.