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Bosnie-Herzégovine : « l’idée délirante » d’une sécession de la Republika Srpska

| Propos recueillis par Omer Karabeg | mercredi 9 février 2022

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Qui a donc intérêt à agiter le sceptre de la sécession de la Republika Srpska ? Pourquoi les politiciens corrompus et les médias jouent-ils sur la hantise d’une nouvelle guerre ? Les citoyens sont-ils prêts à défendre l’intégrité de la Bosnie-Herzégovine ? Dialogue au micro d’Omer Karabeg.

Traduit et adapté par Nikola Radić (article original)

Mirsad Tokača est directeur du Centre de recherche et de documentation de Sarajevo. Branko Todorović est directeur exécutif du Comité d’Helsinki pour les droits de l’Homme, à Bijeljina. Ils répondent aux questions d’Omer Karabeg.

Omer Karabeg (O.K.) : La peur de la guerre qui règne aujourd’hui en Bosnie-Herzégovine rappelle-t-elle celle que les gens ressentaient en 1992 ?

Mirsad Tokača (M.T.) : La situation a considérablement changé et n’a rien à voir avec celle de 1992. À l’époque, les gens ne croyaient pas du tout que la guerre fût possible. Aujourd’hui, nous croyons profondément que c’est une hypothèse tout à fait envisageable. Il n’y a pas de peur, mais de l’inquiétude. Je parle d’expérience, car j’ai discuté avec de nombreuses personnes ces derniers mois.

O.K. : Qui répand le plus la peur de la guerre aujourd’hui ?

M.T. : Il y a deux acteurs clés : les ethnonationalistes ou les chauvins et les médias. La peur propagée par les médias ne correspond pas à la réalité. Je parle sur la base de contacts que j’ai eu avec diverses personnes, des généraux, des membres des Bérets verts ou de la Ligue patriotique, des responsables politiques et des militants de la société civile... Le peuple est prêt à se battre pour l’État de Bosnie-Herzégovine, son intégrité, sa souveraineté et son unité. Croyez-moi, un grand nombre de personnes sont prêtes à défendre cela.

Branko Todorović (B.T.) : La peur de la guerre est surtout propagée par des politiciens corrompus, des oligarques qui ont détourné des milliards au cours des dix ou quinze dernières années à travers diverses formes de corruption et d’abus de pouvoir. L’état de peur, de méfiance interethnique et interreligieuse, de haine et de suspicion leur convient.

La peur et les conflits politiques imaginaires détournent les citoyens de la situation difficile dans laquelle se trouve le pays.

La peur et les conflits politiques imaginaires détournent les citoyens de la situation difficile dans laquelle se trouve le pays. De l’état catastrophique de l’éducation, de la santé et de l’économie provoqué par les gangsters corrompus au pouvoir. Certains les appellent des politiciens parce qu’ils occupent des postes dans des institutions politiques, mais ce sont avant tout des bandits, des criminels de temps de paix. Ils veulent à présent sauver leurs millions pillés en propageant la peur de la guerre afin de distraire l’attention de leur propre corruption, de leurs crimes et de leurs abus. Afin de dissimuler leur malhonnêteté, qui se traduit par l’appauvrissement brutal des citoyens de Bosnie-Herzégovine, ils produisent des conflits politiques inexistants en disant que certaines nations seraient discriminées. J’ai récemment parlé à de nombreux citoyens. Les Serbes n’ont pas le sentiment que leurs droits leur ont été enlevés, qu’ils ont été victimes de discrimination, qu’ils sont des citoyens de second ordre. Au lieu de résoudre les problèmes, les dirigeants en inventent de nouveaux pour dissimuler leur corruption. En répandant la peur de la guerre et la méfiance interethnique, ils créent une situation conflictuelle avec le risque très plausible que des incidents dégénèrent en quelque chose qui serait très difficile à contrôler.

M.T. : Je suis d’accord. Une grande partie des politiciens corrompus, qui ne devraient pas tarder à aller en prison, alimentent les tensions. Cependant, ne faisons pas semblant d’être naïfs. Les objectifs de guerre de la Grande Serbie et de la Grande Croatie sont toujours bien vivants. Nos voisins exercent toujours une forte pression sur la Bosnie-Herzégovine. Il y a aussi une obstruction politique des institutions de l’État. Cela crée un climat négatif. Si le problème se limitait aux politiciens corrompus, il pourrait se résoudre, mais il est plus profond. Les criminels au pouvoir utilisent la situation avec habileté, instrumentalisant les sentiments ethniques et religieux pour maintenir un état de tension permanente, parce qu’ils ne veulent pas résoudre les vrais problèmes.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est l’impuissance des représentants de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine.

B.T. : Bien sûr, de nombreux problèmes en suspens pourraient et devraient être résolus au sein des institutions. Mais ce qui est particulièrement préoccupant, c’est l’impuissance des représentants de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, dont les citoyens attendent à juste titre soutien et assistance pour construire une société normale et démocratique. Je pense que les citoyens de ce pays méritent des réponses concrètes de Bruxelles, et surtout du Bureau du Haut-Représentant et du Conseil de mise en œuvre de la paix.

O.K. : La célébration agressive de la Journée de la Republika Srpska, le 9 janvier dernier, avec un défilé de policiers et d’une unité anti-terroriste lourdement armés a-t-elle provoqué la peur parmi les réfugiés qui sont revenus en Republika Srpska ?

M.T. : Un malaise, sûrement. Cette violation flagrante de la Constitution et de la décision de la Cour constitutionnelle qui interdit cette célébration est une tentative de maintenir le statu quo en Republika Srpska, une entité exclusivement serbe. Le processus de retour des réfugiés en Republika Srpska a été stoppé et ceux qui sont revenus sont même victimes de provocations brutales ces derniers temps. Si vous faites savoir de manière très agressive que vous êtes prêt à utiliser la force pour déclarer qu’un territoire vous appartient exclusivement, cela crée bien évidemment peur et malaise, puis une contre-réaction de l’autre côté. Personne n’est assez naïf pour croire qu’il n’y a pas de gens prêts à répéter ce qui s’est passé durant la période 1992-1995.

O.K. : La sécession de la Republika Srpska mènerait-elle à la guerre ? Milorad Dodik affirme que non et parle d’une séparation pacifique.

M.T. : Il peut dire ce qu’il veut, mais une séparation pacifique n’est tout simplement pas possible. S’il se lançait dans cette aventure, la guerre serait inévitable. Je l’ai déjà mentionné : la préservation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’État de Bosnie-Herzégovine passe au-dessus de tout. Je suis désolé d’avoir à le dire, mais j’aimerais que ce pays vive longtemps en paix. Pas dans la paix que nous avons aujourd’hui, mais dans une paix positive, qui apporte prospérité et croissance économique. Or, si quelqu’un essaie de morceler le pays et de faire sécession, il se heurtera à de vives résistances. Ce sera alors la guerre. Une grande partie de la population, certainement 60 à 70%, est prête à défendre ce pays par tous les moyens possibles, y compris un conflit armé. Quiconque se lance dans une telle aventure, ce que je lui déconseille, doit être conscient qu’il se heurtera à de la résistance. Nous devons nous tourner vers nous-mêmes et nos relations au sein de la Bosnie-Herzégovine et vivre conformément à la tradition de notre pays.

B.T. : L’idée de la sécession de la Republika Srpska est irréaliste, immature et, pour le moins, délirante. C’est une idée idiote qui pourrait surtout causer d’énormes dommages aux citoyens de la Republika Srpska. Comment la Republika Srpska ferait-elle sécession de la Bosnie-Herzégovine ? Où irait-elle ? Essaiera-t-elle d’exister en tant qu’État indépendant, ce qui est impossible, ou sera-t-elle être rattachée à la Serbie, comme le souhaitent certains ? Pour le moment, Belgrade n’est même pas en mesure de s’occuper de nombreuses régions de Serbie, notamment du sud du pays, où les gens sont très pauvres, livrés à eux-mêmes, le niveau de vie est très bas et le chômage si élevé qu’un grand nombre de citoyens quittent le pays. Si Belgrade n’est pas en mesure de s’en occuper, on peut imaginer ce qui se passerait à Trebinje, Nevesinje, Prijedor ou dans d’autres communes...

L’idée de sécession est un non-sens incroyable et je pense que la majorité des citoyens de la Republika Srpska ne la soutiendraient pas.

L’idée de sécession est un non-sens incroyable et je pense que la majorité des citoyens de la Republika Srpska ne la soutiendraient pas. Ils doivent réclamer aux institutions de la Bosnie-Herzégovine la mise en œuvre de leurs droits civils, humains et autres. Ces institutions pourraient fonctionner si elles n’étaient pas obstruées par quelqu’un de Banja Luka. Si les problèmes politiques ne sont pas ouverts au sein des institutions, ils sont résolus en coulisses et dans des kafanas entre hommes politiques, milliardaires, criminels et mafieux qui décident du sort de tous les peuples de Bosnie-Herzégovine. Cette idée de sécession de la Republika Srpska sert les hommes politiques à tromper les citoyens et à les manipuler. Comme je l’ai dit, c’est aux citoyens de la Republika Srpska qu’elle inflige les plus grands maux.